Analyse du documentaire de France 5 : DAECH, dans le cerveau du monstre de Kamal Redouani
Dans cette conférence à la Maison de la Magie, une table ronde réunit Gilles Kepel, le célèbre spécialiste français de l’islam contemporain, Isabelle Veyrat Masson, chercheuse au CNRS, spécialiste des médias télévisés et Kamel Redouani , grand reporter qui a fait le documentaire.
L’action du documentaire se passe à Syrte, en Libye, l’ancien fief de Kadhafi. Cette ville déchue laisse entrer Daech, pour avoir des combattants qui la protègent des rivaux rebelles anti-kadhafistes de Misrata. On est en 2015, année où 21 coptes égyptiens seront décapités par Daech, tout près de Syrte, au bord de la mer, pour signifier que Daech est aux portes de l’Europe et « qu’il n’y a plus que la mer entre nous »; et aussi qu’il « faut rougir du sang chrétien la Mer où le cadavre de Ben Laden a été jeté par les Américains en mai 2011 ». Ces 21 otages ont la tenue orange des prisonniers de Guantanamo (prison américaine sur l’île de Cuba où les Américains torturent les terroristes).
Gilles Kepel démontre que Daech, en présentant le réel comme une fiction, verse dans une obscénité macabre et pornographique et amène une « jouissance devant la souffrance ». Ces images seront envoyées et utilisées pour faire se rendre des villages syriens et irakiens devant les forces de Daech. Ce djihadisme de TROISIEME GENERATION a une dimension géopolitique évidente. Elle veut rappeler les pirates barbaresques face aux navires chrétiens et désinhiber le rapport à la mort et au meurtre.
Isabelle Veyrat Masson nous rappelle que la construction d’images atroces date des deux guerres mondiales et du Vietnam. Mussolini a voulu rendre les Italiens méchants par sa propagande et ses images. Enfin, Hitler et Eva Braun ont vu des images de leur vie privée diffusées comme ici un djihadiste, sa femme et ses enfants en train de jouer et de se baigner.
On voit le contraste entre cette vie quotidienne « normale » et les images de décapités pour terroriser les civils.
Gilles Kepel insiste sur le fait que peu de forces de résistance à Daech viennent du monde sunnite, mais des kurdes dits apostats et non arabes, des « hérétiques chiites ou alaouites » et des chrétiens. En Libye, le conflit est tribal entre Syrte et Misrata. Daech utilise l’islam et n’en a pas rien à voir; il y a toutes sortes de porosité avec l’islam sunnite salafisé. Une partie de la population de Syrte a donc coopéré avec Daech, pour redonner du pouvoir à leur ville !
Dans le dernier extrait du documentaire, une femme se fait exploser au milieu de femmes et d’enfants quand la ville est en train de tomber. Kamal Redouani avait repéré son visage découvert et sa tenue colorée, mais ces alertes ont été trop tardives et le drame est survenu. Cette femme «kamikaze» (nom japonais des pilotes d’avions en 1945 se faisant exploser sur les bateaux américains) est en réalité une « shahid », martyre ou «fedayin», se sacrifiant pour une cause. Une controverse touche les islamistes : a t-on le droit de se suicider sans aller en enfer si on le fait comme un acte de guerre sainte ?
En France en 2016, un émir de Daech franco algérien veut utiliser des «femmes kamikazes», il échoue et est désavoué par les autorités de Daech. 2015 marque l’apogée de Daech, puis son déclin s’amorce et s’accélère…
En conclusion, le «logiciel de Daech» s’est enrayé depuis 2017/2018. La chute de Mossoul en Irak puis de Raqaa en Syrie, le 17/10 2017, marque la quasi fin du califat islamique sur un vaste territoire entre Syrie et Irak et Daech se replie sur le Yémen et le désert du Sinaï en Egypte. Quelle sera la nouvelle phase du djihadisme ? Comment combattre sans utiliser Internet pour ne pas se faire repérer ? Comment Daech veut-il continuer à utiliser la PUISSANCE des IMAGES ?