Quelques points forts ressortent de cette journée, répondant aux questions que les trois associations WebLettres, Sésamath et les Clionautes se sont posées :
– A quoi rime notre évolution ? Y a-t-il un but, un accomplissement au travail que fournissent nos associations ? Y a-t-il un modèle qui se répète, se réplique ?
– Quels sont nos modes de travail ? Le travail collaboratif est-il un but en soi ? Un modèle à suivre ? Y a-t-il une méthode pour que ça marche ?
– Nos associations sont-elles des exceptions ?
– Comment mobiliser davantage ?
Nous sommes cependant ressortis avec plus de questions que de réponses, ce qui est plutôt prometteur !
La structure des associations
Il y a une claire différence entre la façon dont les membres les plus actifs voient leur association, et la façon dont la structure est perçue de l’extérieur, et ce n’est pas sans donner des pistes pour agrandir le cercle des participants. Les trois présidents voient leurs associations comme des organismes à structure concentrique, en trois cercles contenant des adhérents très actifs au centre, des adhérents participants ensuite, et un large cercle de sympathisants qui lisent et utilisent sans participer.
En revanche, les extérieurs voient surtout les projets. Cela correspond à l’analyse de JM Dalle, économiste (Jussieu, Agoranov), qui montre qu’il existe dans les communautés des « points focaux » (« Stygmergic ») qui émergent et sur lesquels s’agrègent les membres extérieurs de la communauté. Cela conforte dans l’idée que plus les projets sont visibles, plus le cercle des actifs s’agrandit parce que de nouvelles bonnes volontés s’y impliquent.
Sur les modes de fonctionnement, il ressort que toutes les trois nous avons été initiées par quelques profs mutualisants, qui ensuite ont commencé à travailler coopérativement (pour organiser le travail mutualiste en créant l’association, les sites, la modération de la liste par exemple) et en agrégeant autour d’eux un cercle plus large d’autres profs qui mutualisent. Ensuite, le noyeau central passe au travail collaboratif (Sésamath et son manuel par exemple, ou le comité de pilotage de Navidis pour nous, plus modestement, ou la construction de Cliophoto). Mais la question du rapport entre l’intérieur et l’extérieur des assos se pose. Bastien Guerry (OLPC) notamment a soulevé des pistes fort intéressantes à ce propos au travers de l’expérience OLPC (One Laptop per Child). Il pose la question du niveau d’entrée qui est fixé par les assos : niveau technique, niveau de connaissances et de compétences en général. Plus celui-ci est bas, plus on peut toucher de monde, les former ensuite et prétendre à un « produit » de sortie (que ce soit un site, un projet précis) de qualité, la communauté étant responsable du niveau de qualité exigé en sortie.
Il faut donc faire attention à ne pas donner l’illusion que pour être clionaute, il faut être super fort en informatique par exemple. D’où la nécessité pour nous de communiquer sur les qualités d’un clionaute : historien(ne), géographe, ouvert, attentif à la réussite de ses élèves…
Le rôle des associations
– Formation : Le rôle des associations dans la formation des collègues, dans l’évolution de leur carrière (repérage par l’institution, valorisation des compétences…) et surtout dans la qualité de leur développement professionnel, à partir du partage d’expérience, est un phénomène que Luc Trouche (EducTice, INRP) et Ghislaine Geudet (CREAD, IUFM de Bretagne) ont qualifié d’évident. Pour nous, ce sont les UAC, les ateliers de Blois ou d’ailleurs mais aussi plus simplement et plus largement les discussions sur H-francais.
– La production de ressources est un élément important de nos activités (même quand il s’agit de partage) et représente un élément essentiel pour notre positionnement dans le monde de l’éducation. C’est notamment sur cet aspect de notre travail que le ministère nous a contactés l’hiver dernier. Pour produire des ressources de qualité (c’est-à-dire : en prise avec l’actualité et adaptables à d’autres enseignants ou situations d’enseignement) il faut pouvoir concevoir dans l’usage et prendre en compte les avis des utilisateurs, voire même produire ce qu’ils ont appelé un « meta design », c’est-à-dire des sortes de guides ou d’aide méthodologiques plus ou moins formalisés pour aider à la conception de ressources. Il semble que nos associations ont donc toutes les qualités requises pour produire des ressources numériques, mais qu’un peu de méthodologie est nécessaire.
Eric Bruillard (UMR STEF ENS Cachan – INRP) évoque la récente pratique de « validation » des ressources numériques (Label RIP…). Cette pratique s’oppose à la tradition enseignante : Jules Ferry a donné aux enseignants le libre choix des manuels, par exemple. Les associations se trouvent en dehors de cette validation hiérarchique, la validation se fait dans l’usage. Cependant, à la différence des logiciels libres, autre lieu de pratiques collaborative dans lequel la qualité des ressources est facile à évaluer (ça marche ou ça marche pas !), comment évaluer la qualité d’une ressource pédagogique ?
Le travail collaboratif chez les enseignants
Le travail collaboratif est-il un élément de l’identité professionnelle ? Au contraire des chercheurs de l’INRP qui voient plutôt dans les établissements scolaires des pratiques individualistes, Alain Chaptal (MSH) affirme que c’est cette culture collaborative qui différencie les enseignants des autres professions. Il en prend pour preuve de la pratique, ancienne pour les enseignants, d’adapter des ressources pour leurs pratiques. Eric Bruillard souligne qu’aujourd’hui, dans les entreprises, c’est ce mode de travail qui est valorisé, voire portée aux nues. Dans nos associations, nous ressentons comme un tournant : la mutualisation ne suffit plus, et nous tendons tous vers le travail collaboratif (Sésamath est déjà « tombé » dedans, depuis longtemps !). Sésamath est très sollicité pour modéliser son mode de fonctionnement, afin qu’il soit applicable ailleurs. Mais est-il possible d’appliquer ailleurs le modèle Sésamath ? Il ne s’agit pas de manuel, mais de méthode de travail : travail sur projet, organisation du travail collectif, différents niveaux de participation, du plus chronophage au moins prenant, pour un même projet (de la conception des ressources à la relecture, par exemple).
Pas de déterminisme technique : le travail collaboratif existait bien avant les outils web2.0 même si on ne peut nier que les outils de communication d’aujourd’hui facilitent la collaboration entre profs. Cependant pour Eric Bruillard, ces outils intègrent une dimension importante, celle de l’historique de la ressource. Cela signifie concrètement que les outils ne déterminent pas la réussite ou l’échec d’un travail en commun, mais qu’ils le facilitent.
La collaboration via internet, une question de génération ?
Les usages des outils de communication varient non pas avec la génération (Alain Chaptal conteste l’existence d’une génération de « digital natives »), mais plutôt avec la tranche d’âge. Ils varient selon les besoins également, selon les investissements publics dans l’équipement et aussi dans la recherche. D’ailleurs, en France, le succès de Sésamath s’explique peut-être, d’après Luc Trouche et Ghislaine Geudet, chercheurs en didactique des mathématiques, par le rôle des IREM qui a mis en oeuvre chez les profs de maths les pratiques collaboratives.
Quels sont les facteurs qui favorisent le travail collaboratif ?
– L’accompagnement technico pédagogique : A. Chaptal montre qu’au Royaume Uni, dans le primaire et dans le secondaire britannique, il existe un accompagnement technico-pédagogique auprès duquel les enseignants peuvent chercher conseil. Presque la moitié des enseignants sont créateurs de ressources numériques dont une partie sont échangées. Cependant ces pratiques collaboratives entre profs ne débouchent pas sur la mise en place d’une collaboration entre élèves.
– Les enjeux : Dans les pays africains, la collaboration existe autour notamment de projets comme TESSA, plateforme qui fait collaborer des enseignants de 9 pays pour la mutualisation de ressources (ressources proposées, révisées, mises en ligne, révisées de nouveau après les retours de utilisateurs.) Les enjeux sont importants et expliquent le dynamisme de ce projet : il s’agit de produire des ressources éducatives libres, locales et adaptées, dans une coopération Sud-Sud, et de former les enseignants. Une des difficultés essentielles réside dans la faiblesse des salaires : obligés d’avoir un deuxième emploi pour vivre, les enseignants n’ont plus guère le temps de collaborer.
– Le travail collaboratif demande une culture commune. Une façon de voir les choses, des centres d’intérêts, des méthodes de travail… C’est ce qu’affirment à la fois Eric Bruillard pour la recherche et Jean-Paul Moiraud, professeur associé à l’INRP (EducTice) venu présenter une expérience dans une section design textile.
L’avenir ?
Des inquiétudes sur l’évolution au royaume Uni et en France sont évoquées par A. Chaptal : les enseignants anglais sont sous pression, ils doivent rendre des comptes et sont évalués sur leurs résultats, les établissements sont mis en concurrence… autant d’idées qui sont reprises par les autorités françaises ces derniers temps.
Luc Trouche et Ghislaine Geudet lancent des pistes pour poursuivre la réflexion autour du travail collaboratif dans les associations : Ils proposent quelques chantiers à creuser pour affirmer le partenariat entre chercheurs et associations :
– des sessions de formation co-construites entre l’INRP et les associations.
– La constitution d’une bibliographie collaborative : problématiques, analyses d’expériences, éthodologies, cadres théoriques.
– Des réponses communes aux appels d’offre du ministère ou des instances européennes : cela a déjà été entrepris avec Sésamath sur P@irformance et Inter2géo.
– La co-construction de questions de recherche, des publications communes.
Il faut donc continuer, à la fois pour améliorer l’enseignement et pour améliorer les conditions de travail des enseignants, ce qui est finalement notre objectif à tous. Leur slogan : partager + pour comprendre +.