L’objectif ZAN, ou zéro artificialisation nette, fixé à 2050 par la loi Climat et résilience votée en 2021, fait l’objet de nombreux débats. Cette conférence en présentera les principaux enjeux, notamment la mise en cause du modèle dominant de développement dans les territoires ruraux, les rapports entre les collectivités locales et l’Etat, ou encore l’avenir de l’habitat pavillonnaire.
Eric Charmes est géographe, urbaniste et directeur de recherche à l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat (ENTPE) de Vaulx-en-Velin. Auteur entre autre de Villes rêvées , Villes durables (Gallimard, 2009) avec Taoufik Souami, de La Revanche des villages (Editions du seuil, 2019) et de Métropoles et éloignement résidentiel (Autrement, 2021), il s’attache à observer la fabrique de la ville contemporaine notamment à travers le phénomène de périurbanisation.
L’origine de la lutte contre l’artificialisation des sols
Dès 2013 et la publication de sa feuille de route pour l’environnement et le climat, l’Union Européenne présente la lutte contre l’imperméabilisation des sols comme une problématique commune de ses état membres. Le terme plus général d’ « artificialisation » remplace celui d »imperméabilisation au fil de la décennie dans la sphère scientifique et se popularise jusqu’à préoccuper le grand public comme nous le prouve la proposition de la Convention citoyenne pour le climat en juin 2020 visant à limiter l’urbanisation afin de préserver les terres naturelles et agricolesEric Charmes note à ce sujet que la contrainte s’accompagnait d’une contrepartie essentielle : l’amélioration de l’attractivité des villes et villages. Cette proposition semble aujourd’hui absente dans la transcription législative. La transcription législative de cette proposition dans la loi Climat et résilience de 2021 est l’énoncé de l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) d’ici 2050. L’Etat souhaite ainsi maîtriser l’urbanisation en fixant un premier objectif sur la période de 2021 à 2030 imposant de réduire d’au moins de moitié la consommation foncière des Espaces Naturels, Agricoles et Forestières (ENAF) observée entre 2011 et 2020 sur son territoire. La période de 2031 à 2050 s’attachera quant à elle à stopper l’artificialisation de ses sols à l’échelle de la FranceLa précision « Nette » est essentielle à la mesure puisqu’elle n’empêche pas l’urbanisation mais impose des compensations. Le phénomène de métropolisation pourrait par exemple persister si l’équilibre est atteint à l’échelle du grand territoire, un objectif ambitieux tant il paraît remettre en cause le modèle d’aménagement dominant.
Une convergence d’intérêts
Eric Charmes rappelle que la France fait partie des pays les moins densément urbanisé des états membres de l’Union Européenne et que l’adoption de l’objectif ZAN, plus contraignant même que la proposition de la Convention citoyenne doit nous interroger. La loi Climat et résilience doit selon lui son adoption à une convergence « rare » d’intérêts écologiques, urbains et agronomiques.
- L’intérêt agronomique : Eric Charmes explique que le principal promoteur de la l’objectif ZAN a été le ministère de l’agriculture. La valeur productive du foncier agricole est, dans le système de valeur actuel, perçue comme moindre par rapport à sa potentielle constructibilitésa valeur s’estime aujourd’hui à 6 000 €/ha, contre 100 €/m² en moyenne pour le foncier urbanisable. La limitation de l’artificialisation a donc comme premier objectif de limiter les tentations des collectivités et aménageurs au profit de la production alimentaire, quelle soit destinée à l’autonomie alimentaire française ou tournée vers l’exportation. Rappelons à nos lecteurs qu’il est estimé que seulement 15% des terres émergées du globe sont fertiles pour l’agriculture et les 27 millions d’hectares cultivables en France constituent une ressource non-renouvelable stratégique.
- L’intérêt urbain : La transformation des villes en aires urbaines de plus en plus étendues pose en premier lieu une question de coût mais également une question sociale. La démultiplication de la longueur des réseaux, le coût de leur entretien mais également le rallongement des temps de trajets, la dépendance à la voiture et la disparition des services de proximité en sont des exemples parmi d’autres. La lutte contre l’étalement urbain et la promotion d’aires urbaines plus denses soutiennent l’économie d’échelle et permettant d’optimiser les services de proximité et les équipements au bénéfice du plus grand nombre.
- L’intérêt écologique : Le sol constitue par ailleurs un réservoir de biodiversité essentiel pour la vie sur terre. Constitué par la dégradation de la matière organique, il permet la fertilisation des plantes et sert autant d’habitat que de source d’alimentation pour les animaux. Le sol a également une fonction climatique importante en stockant le carbone et l’eau, régulant ainsi la température. La préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers joue un rôle essentiel dans la lutte contre le dérèglement climatique, la prévention des aléas et la protection des espèces faunistiques et floristiques.
Une mise en œuvre critiquable
Si l’objectif de freiner l’artificialisation des sols a rencontré un large consensus et n’est aujourd’hui pas mis en cause, les modalités de son exécution sont elles sujettes aux critiques. Eric Charmes désapprouve l’interprétation comptable du problème qui réduirait aujourd’hui le ZAN a une question « quantitative » sans plus se préoccuper des enjeux « qualitatifs » d’attrait des villes et du vivre ensemble, pourtant essentiels à la réussite de l’objectif selon le chercheur. Ce dernier fait également état de critiques publiques récurrentes :
- La remise en cause du modèle d’aménagement dominant : Eric Charmes rappelle le processus de périurbanisation avec la migration de la classe moyenne vers les villes et villages périphériques aux fiscalités plus attrayantes. L’accession à la propriété reste aujourd’hui un modèle de réussite sociale et l’imaginaire commun de « la ville à la campagne » se diffuse et rend en comparaison peu enviable la densité sous-jacente à l’objectif ZAN. Eric Charmes fait état à ce sujet de la recherche de William Fischel The Homevoter Hypothesis traçant un lien direct entre les propriétaires immobiliers et les politiques d’aménagement.
- Les indicateurs de mesure choisis et l’inquiétude d’une « mise sous cloche » : L’objectif intermédiaire de 2030 prévoyant de réduire de moitié la consommation foncière des dix précédentes années à l’échelle de chaque commune, celles ayant été économes dans leur aménagement pourraient se sentir défavorisées. L’impact de la mesure se ferait également plus sentir à l’échelle de petites communes disposant de peu de population. Selon un certain nombre de maires ruraux, le ZAN supprimerait la principale source d’attractivité des villages, ainsi « mis sous cloches ». En réponse, le législateur a introduit en 2023 le principe de « garantie rurale » permettant à chaque commune d’urbaniser 1 hectare au cours de la prochaine décennie. Le Centre d’Etudes et d’expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement (CEREMA) a alerté sur le potentiel effet rebond de la mesure qui pousserait les communes à urbaniser précipitamment dans ce sursis.
- L’augmentation du coût du logement : Induit par la raréfaction du foncier disponible, le coût d’acquisition des terrains à bâtir devrait augmenter et pourrait être reporté par les promoteurs sur le prix du mètre carré habitable si ces derniers souhaitent conserver leurs marges d’investissement actuelles. Par ailleurs, la typologie collective tendant à se généraliser, Eric Charmes explique que bien que construire en collectif permette de partager la coût du terrain, l’investissement individuel est plus importantLe chercheur donne l’exemple du « Mouvement des castors » qui vise à acquérir une maison individuelle hors d’eau et hors d’air mais sans aucune finition de second oeuvre et qui permet actuellement aux ménages modestes d’accéder à la propriété en adaptant leur investissement sans nécessité d’emprunt.. Acheter un lot dans une copropriété existante semble également un investissement plus risqué que celui d’une maison individuelle au regard du taux de vétusté du parc à l’échelle nationale.
L’enjeu des jardins privés
Les critères permettant de définir une surface artificialisée sont pour Eric Charmes le curseur à régler. Il concentre son exemple sur la réserve foncière cruciale des jardins privés en zone urbaine, aujourd’hui considérés comme artificialisés. Le décret d’application indique en effet un seuil de référence de 500 m² pour la mesure de l’artificialisation des surfaces autres que bâties en zone construite, considérant que ces surfaces sont affectées à l’usage résidentiel. Le regroupement des polygones par l’outil informatique de l’OCS GE invisibilise ainsi toutes les surfaces non perméables inférieures au seuil.
Pour Eric Charmes, l’Etat prévoit déjà la densification de ces espaces, situés communément en zone constructible, dans un contexte de vieillissement de la population, de croissance démographique et de desserrent des ménages. Pourtant, ces espaces contribuent à la préservation de la biodiversité et de la fraicheur urbaine comme peut le présenter l’article de Morgane Flégeau Formes urbaines et biodiversité.
Le support visuel de la conférence : diaporama_echarmes fig2024