Les trois intervenants de cette table ronde sont évidemment particulièrement qualifiés pour aborder ce sujet qui apparaît comme étant au cœur de la question de l’autonomie stratégique de l’union européenne. Stéfan Seidendorf est le directeur adjoint de l’institut franco-allemand, une association qui a été créée en 1948, avant même la naissance de la république fédérale en 1949. Thierry Garcin, actuellement chercheur associé à l’université Paris Descartes, a été l’animateur de cette émission majeure du service public, « les enjeux internationaux », qui a été interrompu en 2017, après 33 années d’existence. Jean-Jacques Roche est directeur de formation et de recherche à l’institut des hautes études de Défense nationale, et il nous a fait l’amitié de nous confier la présentation de sa conférence.

Il est particulièrement difficile de rendre compte de la richesse de ces échanges, car les trois spécialistes du sujet auraient pu largement animer un colloque entier, même s’ils ont réussi la performance de dire l’essentiel dans un temps forcément limité.

Jean-Jacques Roche a rappelé un certain nombre d’éléments concernant l’ambiguïté de la question posée par le sujet même de cette table ronde, puisque la position française relève davantage de l’ Europe de la défense, basée sur des coopérations spécifiques, tandis que pour l’Allemagne, il s’agit davantage d’une défense de l’Europe. Une bonne partie des difficultés repose sur l’ambiguïté de ces deux termes. La différence d’approche entre la France et l’Allemagne s’explique, comme l’a rappelé Stéfan Seidendorf, par le poids de l’histoire évidemment, mais également par des différences constitutionnelles. L’intervention de quelques soldats allemands en Somalie suppose un vote du Parlement, tandis que pour ce qui concerne la France, la capacité de décision du président de la république, chef des armées est extrêmement importante. La réforme constitutionnelle de 2008 a permis au Parlement d’avoir un droit de regard, au bout de quatre mois, sur les interventions militaires, mais la rapidité de décision, la capacité d’intervention et de projection de l’armée française permet à la France d’être en première ligne lorsque la nécessité s’en fait sentir, comme on a pu le constater au Mali.

Des convergences sont possibles, comme l’ont rappelé Jean-Jacques Roche et Stefan Seidendorf et le traité d’Aix-la-Chapelle a montré que des avancées avaient pu être réalisées. En même temps, et davantage pour des raisons de politique intérieure, certaines déclarations de Annegret Kramp-Karrenbauer, candidate à la succession d’Angela Merkel, semait un certain trouble, à propos de cette coopération franco-allemande à laquelle chacun s’accorde à souligner la nécessité. On peut toutefois, notamment avec Thierry Garçin, remettre ces questions en perspective, et notamment sur les tensions géopolitiques qui existent aujourd’hui, à proximité de l’Europe, voire en Europe même:  comment l’Europe peut-elle aborder ces problématiques de défense et de sécurité, en dehors du cadre de l’OTAN ? Comment envisager la mise en œuvre d’une politique de défense commune sans que l’on ne puisse se mettre d’accord, de façon préalable, sur une politique étrangère commune?

Sur tous ces sujets, les trois intervenants ont rappelé que l’Europe était fondée sur de grands principes, et notamment sur la primauté du droit et sur sa capacité à poser des normes. Cela est évidemment possible sur les questions économiques, mais peut-être également envisagé sur les questions diplomatiques, et par voie de conséquence, si nécessaire, en termes de politique de puissance.

Mais Thierry Garcin a rappelé le poids de l’histoire. Un axe franco-allemand de la défense serait peut-être perçu avec une certaine inquiétude, en Pologne, mais également en République tchèque, voire en Slovaquie. Il est vrai que la montée des populismes dans ces pays peut également troubler la perception des opinions publiques. Thierry Garcin qui a publié en 2018 un ouvrage sur la fragmentation du monde, avec comme sous-titre, la puissance dans les relations internationales, a rappelé que les sociétés européennes étaient  désormais devenues instables. À cet  égard, ce qui concerne l’Europe, c’est bien à un renouvellement de la notion de puissance qu’il faudrait s’atteler. Le cadre traditionnel demeure sans doute la puissance économique et la puissance militaire, mais il convient de s’intéresser également à ce qui est appelé la puissance « diffuse ». Jean-Jacques Roche a d’ailleurs insisté sur le rôle de l’OTAN, non seulement en termes de hard power pour la puissance américaine, mais également en termes de soft power. C’est bien la pensée stratégique anglo-saxonne qui s’est imposée, et il semble difficile désormais de sortir de ses cadres.

Très sportivement, on pourrait le dire, Jean-Jacques Roche a rappelé que Pascal Boniface avait une tout autre approche, et notamment tout ce qui peut relever de l’autonomie stratégique européenne qui serait selon lui possible, si tant est, toujours selon Pascal Boniface, l’Europe en ait la volonté politique.

On ne peut éviter un certain sentiment de frustration, à la fin de ces interventions, puisque la question ouverte le demeure forcément. Encore une fois, il pourrait y avoir tout un colloque autour de ce sujet, mais cette table ronde a le mérite de susciter une réflexion particulièrement fructueuse, qui reste bien évidemment à poursuivre.

 

 

 

 

Coopération franco-allemande en matière de Défense

La relation bilatérale entre la France et l’Allemagne est intense et dynamique et reste essentielle pour leurs objectifs stratégiques, notamment en ce qui concerne l’Europe de la défense et la rénovation de l’OTAN. Initiée sous le sceau de la réconciliation, elle garde un caractère spécial par son volume et sa qualité. Elle se fonde sur les intérêts communs et la confiance réciproque.

La coopération militaire franco-allemande est fortement structurée et son périmètre d’action très vaste. Elle trouve son expression au travers du Conseil Franco-Allemand de Défense et de Sécurité (CFADS) qui réunit le Président et la Chancelière avec les ministres de la défense et des Affaires étrangères ainsi que les chefs d’Etat-Major des Armées tous les six mois.

La coopération franco-allemande en matière de défense est caractérisée par les institutions et les activités suivantes :t

- la Brigade franco-allemande (BFA), créée en 1989, dont l’état-major, ainsi que le bataillon de commandement et de soutien mixte,e sont implantés à Müllheim et compte 5 000 soldats français et allemands ;

- l’Eurocorps, qui comprend des soldats français, allemands, belges, espagnols et luxembourgeois, qui peut être engagé dans le cadre de l’UE et de l’OTAN ;

- l’échange et la formation conjointe d’officiers ;

- les Écoles franco-allemandes du Tigre (EFA), dont les volets pilotage et formation tactique s’effectuent au Luc en France tandis que la formation technique se déroule à Fassberg en Allemagne ;

- le centre de formation franco-allemand de contrôleurs aériens avancés (CFAA de Nancy), qui est le seul en Europe à former des contrôleurs avancés jusqu’au niveau « combat ready » selon les standards de l’OTAN ;

- la force navale franco-allemande (FNFA), constituée annuellement lors de grands rendez-vous à la mer des deux marines.