En ce samedi matin, face à une salle comble, Pierre Texier présente les premiers résultats d’une thèse en cours sur la dimension spatiale des mobilisations à travers deux objets : les mégabassines et les coupes rases en forêt (GEOLAB, Université de Limoges). Ses terrains de recherche sont les bassines et projets de bassins dans le bassin du Clain, dans la Sèvre Niortaise et les forêts de l’Est du Limousin. Nicolas Maïsetti, Directeur du programme POPSU Transitions anime les échanges.

Emergence des mobilisations autour des bassines et des coupes rases

Pierre Texier rappelle tout d’abord que les collectifs d’habitants et les associations à l’initiative des luttes contre les bassines (exemple du collectif « Bassins, non merci ») ont un historique de lutte sur les questions d’irrigation agricole, dénonçant les prélèvements dans les nappes phréatiques. On rencontre ce même type d’acteurs dans le cas des mobilisations contre les coupes rases : les luttes locales contre deux projets industriels de fabrication de granulés pour le chauffage se doublent d’autres luttes forestières (association « Canopée Forêts vivantes » par exemple).

L’empreinte environnementale de ces projets

Pierre Texier s’attarde sur l’échelle de la parcelle pour montrer que ces actions ont un fort impact environnemental. Pour ce qui est des bassins, l’eau est pompée en hiver dans les nappes lorsque la ressource est abondante pour être mise en réserve pour l’été, à des fins d’irrigation de cultures céréalières. Ce socio-hydrosystème se matérialise par une empreinte physique forte, à grands renforts de systèmes de tuyaux et de pompes. Ainsi, les 16 projets de bassins en Sèvre Niortaise engendrent une artificialisation des sols agricoles à hauteur de 175 hectares.

Dans le cas des coupes rases (abattage de l’ensemble des arbres sur une parcelle forestière), les actions sont menées aussi sur des terrains en pente, ce qui aggrave les aléas d’érosion et de ravinement, tout en diminuant les capacités de stockage du carbone. Les habitants et collectifs critiquent aussi les trouées qui modifient le paysage.

L’arbre qui cache la forêt : vers une politisation des mobilisations environnementales

Au-delà des mobilisations contre les méga-bassines et les coupes rases, les collectifs et habitants critiquent surtout les aspects politiques et économiques sous-jacents à ces projets. C’est ainsi que le modèle agricole et sylvicole productiviste est remis en cause, de même que le drainage des zones humides ou le recul de l’élevage face à la céréaliculture, dans un contexte de compétitivité accru sur les marchés agricoles mondiaux.

Une diversité des modes d’action pour réparer la terre

Un lourd travail de recherche de données sur la propriété des parcelles conditionne les modes d’action choisis par les collectifs, d’après les observations de Pierre Texier. Cette récolte s’opère par les enquêtes publiques mais aussi le fait d’habiter le territoire au quotidien, ce qui permet d’alerter sur des démarrages de chantiers. Ces identifications sont renforcées par des acteurs relais dans les conseils municipaux, départementaux et les agences de l’eau.

L’un des premiers modes identifiés dans les travaux de Pierre Texier relève des recours juridiques. Pour les bassines, 93 recours ont été formulés avec succès par des associations environnementales mais le temps de la justice se mesure en années. Le tribunal administratif de Poitiers a ainsi annulé six projets de bassines en raison d’un prélèvement trop élevé et d’une absence d’intégration des effets du changement climatique par les porteurs de projet. Dans le cas des coupes rases, les interventions juridiques sont plus indirectes (vide juridique sur la définition d’une coupe rase dans le code forestier) et visent par exemple le franchissement illégal de cours d’eau ou bien des défauts de forme dans la construction de rampes de débardage.

Les manifestations avec occupation physique des parcelles représentent le second mode d’action, plus visible. Lors de la manifestation de Sainte-Soline en mars 2023, 30000 personnes s’étaient rassemblées et ont subi une répression importante dénoncée dans un rapport de la Ligue des Droits de l’Homme. Pour les coupes rases, les mobilisations consistent à stopper physiquement des chantiers mais aussi à manifester auprès des lieux de pouvoir (actions symboliques devant les préfectures).

Manifestation du 25 mars 2023 à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Source : Soulèvements de la terre, 2023

Dépasser la critique des projets et repenser le « droit à la terre »

Selon Pierre Texier, les collectifs proposent aussi de nouvelles pratiques, souvent inspirées de l’agroécologie, pour replanter des haies, favoriser la diversité des essences et surtout mieux adapter la production aux besoins des territoires.

Des innovations sont également proposées en termes de gouvernance avec la création de regroupements forestiers citoyens, pour gérer la forêt différemment et fournir une éducation populaire à l’environnement.

Au final, Pierre Texier souligne que ces mouvements proposent une mise en réseau transcalaire (du local au global) des questions environnementales, dans le but de produire une attention nouvelle aux terres.