À la suite de la conférence introductive du PNF de Bruno Lecoquierre, Frank Tétart, géographe et enseignant-chercheur spécialiste du golfe persique, nous propose une focale régionale sur les déserts d’Abou Dhabi et de Dubaï.
La photoToutes les illustrations de cet article sont extraites du diaporama projeté par le conférencier. présente un désert hyper-aride au sud de l’oasis de Liwa, dans le sud des Émirats arabes unis. On se trouve dans le « Désert des Déserts », pour reprendre le titre de l’ouvrage de l’explorateur anglais Wilfred Thesiger. Ce « Empty Quarter », ce « quart-vide » (Rub-al-Khali en arabe) est un vaste territoire, de la taille de la superficie de la France.
Pour accompagner cette photographie, Frank Tétart lit un extrait du livre de Wilfred Thesiger :
« Dans les déserts de l’Arabie du sud, il n’y a pas de rythme des saisons, pas de montée de sève, il n’y a que des étendues désertiques où seuls les changements de températures indiquent le passage des années. C’est une terre ingrate, desséchée, qui ignore la douceur et la facilité. Pourtant des hommes y vivent depuis des temps immémoriaux. Les générations qui s’y sont succédé ont laissé, à l’emplacement des campements, des pierres noircies par le feu, quelques traces lisses, à peine visibles, sur les plaines de gravier. Ailleurs, les vents ont effacé l’empreinte de leurs pas. »
L’homme a séjourné, a passé, a vécu, au départ dans des sociétés plutôt nomades. Aujourd’hui nous sommes dans des espaces où la sédentarité est véritablement marquée. La globalisation est très forte.
Frank Tétart va s’attacher à démontrer que, dans le cas des Émirats arabes unis, la contrainte de l’aridité a largement été dépassée, vaincue, par les investissements engagés et l’exploitation des ressources pétrolières.
Ce désert est habité. On observe une très forte littoralisation du territoire. La mer permet une ouverture de cet espace. Le littoral a donc joué un rôle considérable dans le développement de ces sociétés.
On compte environ 9 millions d’habitants. En raison du Covid, beaucoup de personnes sont parties. Les Émiriens sont minoritaires. 85 % de la population est d’origine étrangère. Ce fait est lié au modèle de développement qui a été choisi. L’exploitation et la production de pétrole ont rendu nécessaire cet afflux de population sur les chantiers. L’État reste donc très dépendant de cette main d’œuvre étrangère.
A côté du désert sableux, il existe aussi des massifs montagneux dans le sud, comme à Al Aïn.
Ce monde de bédouins, tournés vers le désert, pratique le nomadisme. Mais un phénomène de semi-sédentarisation se diffuse, avec un va-et-vient entre l’intérieur, les oasis, et le littoral, dès le XVI-XVIIe siècle avec l’économie de la perle.Des tribus se rendent une partie de l’année sur ces littoraux pour extraire les perles. On remarque que les bâtisses sont construites avec des matériaux locaux, en feuilles de palmier. La pierre n’est pas encore très fréquente.
Pour ces populations du golfe persique, la mer est donc fondamentale dans leur construction identitaire.
À partir des années 60, grâce à la richesse pétrolière du sous-sol, on assiste à un développement économique fulgurant, dépassant la contrainte de l’aridité. L’Arabie saoudite n’est plus la première réserve de pétrole du monde. Elle en détient 18 %. Le Venezuela dépasse aujourd’hui l’Arabie saoudite.
Grâce à ces concentrations très fortes, les États du golfe ont pu engager des politiques de développement économique et la réalisation d’infrastructures, qui se traduisent par une urbanisation très importante. L’accès au soin et à l’éducation a significativement progressé.
Pour échanger avec le reste du monde, des infrastructures portuaires ont été construites. A Dubaï, le grand port de Djebel Ali, en occupant le 8e rang mondial, souligne bien son insertion dans la mondialisation. Son aéroport est le plus fréquenté au monde (avant Covid).
À Dubaï, Sheikh Zayed Road s’est développée sur un axe de 45 km entre l’aéroport et le port de Djebel Ali. L’urbanisation s’est faite sur le modèle américain du tout automobile et de la ville très étendue, autour de cette artère principale.
Dubaï constitue par ailleurs le premier port iranien, en raison des sanctions économiques. Une grande partie du commerce de l’Iran passe donc par Dubaï. De nombreuses familles qui vivent dans cette métropole ont des origines iraniennes.
Dubaï compte environ 2 millions d’habitants.
Abou Dhabi était au départ une île. Les premiers pêcheurs de perles étaient installés dans le secteur nommé « Corniche » (voir carte ci-dessus), cœur historique de la ville, aujourd’hui le CBD. L’urbanisation s’est faite autour d’un axe correspondant à la route de l’aéroport (« Airport road »). L’aéroport international s’est agrandi depuis les années 90. L’expansion urbaine se poursuit au-delà de cette île historique avec la construction de deux ponts, afin de la relier au reste du continent. Ainsi s’ouvrent de nouveaux quartiers.
Par exemple, Masdar représente un emblématique quartier écologique, avec des ambitions de développement durable. Cette ville nouvelle (2008) rassemble des bureaux de recherche. L’Agence internationale des énergies renouvelables a son siège à Masdar city. Cet espace urbain cherche à se projeter, à rayonner sur la scène internationale en ayant recours au City branding, qui consiste à faire la publicité de la ville à travers de grands événements sportifs, l’exposition universelle…
Le développement porte sur l’aménagement d’autres îles, à vocation culturelle ou éducative, à l’exemple du Louvre Abou Dhabi, et de la Sorbonne. Afin d’anticiper l’érosion des ressources pétrolières, la diversification économique s’avère de plus en plus marquée par une approche culturelle.
L’empreinte écologique montre que ces États sont très mal classés.
On peut observer un phénomène de ségrégation socio-spatiale et de spécialisation par nationalités. Sur l’île d’Abou Dhabi se concentrent des populations nationales, les Emiriens, souvent des cadres. Le long de la Corniche habitent des expatriés européens, libanais, syriens, indiens. La masse ouvrière venant du Pakistan, du Bangladesh, du Sri Lanka, qui travaille sur les grands chantiers, vivent à Mussaffah, dans des très vieux quartiers au sud de la Corniche. D’autres logent à l’extérieur de la ville au-delà de l’aéroport international dans des campements ou au pied des chantiers.