Théâtre et Histoire …
Comment redécouvrir (avec des pincettes) des grands moments de l’histoire culturelle par le biais du cinéma, tout en bénéficiant d’une relecture du moment historique au vu de notre vision actuelle de l’évènement … tant de thématiques qui font se croiser histoire et théâtre.
Edmond. Une monumentale claque qui réconcilie deux de mes passions, le théâtre et le cinéma. C’est l’histoire romancée de la genèse de Cyrano de Bergerac, dans un Paris du XIXe fantasmé qui tient du décor de théâtre. Cyrano étant une de mes pièces préférées j’étais très attentive au fait de ne pas la voir massacrée … je n’ai pas été déçue.
Les acteurs sont exceptionnels, avec cette coloration théâtrale intelligemment proposée qui matérialise la passerelle entre cinéma et théâtre. Le film est d’une délectable justesse, tant historique que dans le jeu des acteurs, la représentation de la machine théâtrale couplée de sa mise en abîme, le rapprochement voulu et maîtrisé avec le théâtre quitte à artificialiser un peu le jeu des acteurs pour lui donner cette coloration vaudeville, etc. C’est le théâtre qui se raconte par la convocation de poncifs du théâtre : des auteurs et figures emblématiques, du deus ex machina, du marivaudage, du grotesque et du grandiloquent, du comique de répétition, du comique de situation, du comique de gestes, du comique de mots, de la satire, des acteurs qui jouent « comme au théâtre », un langage ampoulé et poétique, etc.
Une délectation pour qui aime le théâtre, mais aussi (et c’est là tout le génie d’Alexis Michalik), pour qui aime le cinéma : les plans sont chiadés, je pense notamment aux pas dans la neige de Rostand filmés du dessus dès les premières minutes du film, laissant voir à l’écran de sublimes parallèles (la rue, la neige, la démarcation du trottoir, le toit) marquées de ses empreintes, métaphore de ce que va faire Rostand avec Cyrano de Bergerac : s’ancrer dans la continuité de la vie, qui continue toujours, même quand ses empreintes se seront effacées, même si elles sont fragiles à ce moment là (dans la neige) parce que l’idée de la pièce n’est pas encore trouvée (ou parce que la culture est une chose si volubile, qui sait ?). Le cinéma s’éloigne ainsi un peu de la mimesis pour se rapprocher de la catharsis théâtrale de manière subtile. Le dernier acte de la pièce (et du film) en est d’ailleurs un fondu parfait. Celui de l’imagination, de la réalité, de la représentation et de l’expectation. Un mélange parfait des deux arts que sont le théâtre et le cinéma. Une collaboration que l’on aimerait voir tellement plus souvent ! (et non pas qu’à travers seulement du « théâtre filmé » sur France 2 à une heure du mat’ tous les premiers mardis du mois, cette sorte d’hérésie qui écorche le spectacle vivant, qui lui enlève quelque chose sans rien lui rajouter …). Ici on crée une nouvelle manière de filmer le théâtre. Et c’est jouissif !
On aime aussi le côté sensoriel et terriblement « effet de réel » du décor et des accessoires (costumes (de théâtre ?), lieux), ainsi que des lumières (elles ressortent très naturelles). On se sent plongé dans l’appartement poussiéreux et triste de Rostand, on a presque froid dans ce grand espace peu inspirant, on pourrait presque toucher les costumes, les fauteuils rouges du théâtre, etc.
C’est aussi la maîtrise parfaite du bis repetita placent, « les choses répétitives plaisent », tant dans ce que le film raconte (le défi d’un jeune dramaturge qui s’évertue à composer en vers alors même que la période est à l’innovation et qui ancre ainsi son oeuvre dans une continuité théâtrale entre classicisme et modernité) mais aussi dans ce qu’il montre (le bis repetita est la chose attendue par les acteurs, ces mêmes acteurs qui « répètent » inlassablement tout au long du film) et ce qu’il suggère (la vie est un bis repetita, non ? et Cyrano doit être l’une des pièces les plus jouées du répertoire français, martelée, répétée à des générations entières d’humains. Et toujours aussi actuelle avec ses thèmes « répétitifs » : l’amour, la peine, la mort, la frustration, l’honneur, l’humour, etc.).
C’est un vent de fraîcheur sur Cyrano, c’est une manière fabuleuse de le faire connaître à ceux qui ne le connaissent pas encore.
Bref, un chef d’oeuvre, j’adore, j’en redemande, bis repetita !