Plusieurs sujets qui viennent à la Une de l’actualité posent question aux professeurs d’histoire, de géographie et d’éducation civique. Cette semaine ne fait pas exception.
Nos réflexions, ce qui nous suivent ont pu le constater, vont bien au-delà de l’enseignement secondaire, elles s’inscrivent dans une démarche qui vise à intervenir dans le débat public dès lors que nous disciplines enseignées sont concernées.
Cela amène ces quelques réflexions concernant l’affaire Cahuzac et la façon dont nous pourrions être amenés à évoquer ces questions avec une responsabilité particulière. Dépositaires d’une parole magistrale dans nos classes, nos amphithéâtres, nous devons dépasser le stade du café du commerce.
Ces tourbillons récents de l’actualité nous amènent à observer avec un autre regard cette question du programme de terminale :
« médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus ».
Il est clair que dans cette affaire, nous devons attirer l’attention de nos élèves sur deux aspects différents de la question :
– l’histoire des relations opaques entre milieux d’affaires et personnel politique. Et de ce point de vue notre pays, pas plus mais pas moins que d’autres, a connu de nombreuses turbulences. On se souviendra du scandale de Panama, de l’affaire à propos de la faillite de la banque de l’union générale, de la banquière Marthe Hanau, de l’affaire Stavisky enfin. Celle-ci est trop souvent présentée sous l’angle du 6 février 1934 et de sa manifestation, alors que ce sont bien des conflits d’intérêts qui sont à l’origine de l’organisation d’une escroquerie avec les bons du crédit municipal de Bayonne.
– Mais on pourrait s’interroger également sur la connivence entre personnel médiatique et politique que l’affaire qui est actuellement à là Une a pu révéler.
Comme souvent dans notre histoire il a fallu l’obstination de quelques-uns pour faire connaître à l’opinion publique une affaire que les milieux autorisés, y compris ceux des « grands medias » auraient préféré voir oublier.
J’ai envie d’évoquer aujourd’hui ce pamphlet que les services de numérisation de la Bibliothèque nationale de France proposent en accès libre.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k83024b/f6.image
En 1931, l’économiste Arthur Raffalovitch publiait (avec l’aide de Boris Souvarine) «L’abominable vénalité de la presse française» : Ce recueil de documents tirés des archives de l’ancien régime impérial de Russie traitait du «subventionnement de la presse française», et peignait à n’en plus finir des rédacteurs français «quémandeurs et affamés»
Le prix de l’information et la crise générale de la presse écrite font aujourd’hui débat en des termes heureusement différents qu’à l’époque de Raffalovitch et pourtant ?
Que retenir de ces rapprochements et surtout comment favoriser la réflexion sur ces questions pour éviter que des réactions épidermiques ne se traduisent par une suspicion généralisée envers l’action politique mais aussi envers ceux qui font profession d’informer?
Notre parole magistrale pèse finalement assez peu face à un tourbillon d’informations multiples, de toutes origines, dans lesquelles rumeurs et préjugés circulent à la vitesse de la lumière sur les réseaux numériques.
C’est pourtant sur ce terrain là que nous devons apparaître comme les référents auprès de nos élèves et étudiants d’une certaine éthique en matière d’accès et d’appréciation de l’information.
Modestement, comme professeurs d’éducation civique, connaissant les mécanismes qui dans le passé ont conduit à des troubles de l’opinion favorisés par des scandales, nous avons notre rôle à jouer.
Il n’est pas anodin:
il doit conduire à une réflexion autonome qui soit basée sur des arguments, des sources vérifiées, et finalement à favoriser l’attachement de tous à la « chose publique », à la République en somme.
Bruno Modica