Alors que nous étions en train de ciseler l’éditorial vitaminé de fin de vacances, l’entretien du chef de l’État au Point nous rappelle que décidément l’école, et plus encore l’enseignement de l’histoire, est l’objet de tous les combats politiques. On verra d’ailleurs prochainement si, dans les sondages, ces combats sont gagnants pour ceux qui les lancent. Il est de notoriété publique que le second quinquennat d’Emmanuel Macron peine à trouver son rythme. Et manifestement, l’école, abondamment citée, se voit contrainte de fournir et un cap et un tempo. Le procédé n’est pas nouveau. Nous ne l’aurions d’ailleurs pas commenté si notre propre discipline n’avait pas été aussi frontalement associée aux difficultés scolaires recensées.
L’arlésienne des rythmes scolaires
Nous n’allons pas nous attarder sur l’annonce de vacances d’été rabotées. Nos oreilles teintent encore de propos similaires du temps de François Hollande en 2012, de Nicolas Sarkozy en 2011 ou de Jacques Chirac en 1996. Les initiatives type « école ouverte » pendant les vacances ne datent pas d’hier. Elles n’ont jamais été ni systématiques, ni clairement efficaces contre les difficultés scolaires, mais elles ont toujours été suffisantes pour l’homme politique qui, le moment venu, n’a plus qu’à trouver un établissement lambda d’une ville moyenne et pérorer face caméra et manches relevées, sur les mérites du volontarisme politique.
Est-ce pendant la prochaine saison estivale, olympique de surcroît, que le Président fera mieux que tous ses prédécesseurs ? Rendez-vous dans un an.
Passons aussi sur les propos autour de la « reconquête du mois de juin » qui euphémisent la responsabilité du camp présidentiel dans la disparition en rase campagne du troisième trimestre au lycée. Ne nous arrêtons pas non plus sur les promesses entourant la réforme du lycée professionnel ou la disparition de la technologie en Sixième, qui ne relèvent pas pleinement de notre association.
Les programmes une nouvelle fois sur la sellette
Des programmes non chronologiques en histoire ?
Parlons du sujet qui nous concerne particulièrement, l’enseignement de l’histoire. Emmanuel Macron affirme que nos programmes « doivent être enseignés chronologiquement », sous-entendant que ce n’est pas le cas.
Nous sommes très surpris de lire cela. Nous avons recherché vainement les chapitres litigieux dans le marbre des programmes du collège et du lycée. Nous ne connaissons aucun professeur qui s’ingénierait à traiter l’Ancien Régime après la Révolution française, ou la Résistance avant le Front populaire.
En fait, ce reproche pouvait avoir de la valeur du temps des programmes Châtel, mais depuis, il y a eu la réforme Blanquer et tout est redevenu parfaitement chronologique. On ne peut croire que l’Elysée ignore, depuis presque cinq ans, ce qui a été fait à 800 mètres de là, rue de Grenelle.
« L’instruction civique »
L’enseignement moral et civique, vocable en vigueur depuis 2013, devrait aussi être réformé, nous dit le chef de l’État. C’est un point que nous ne contesterons pas. Non pas que les programmes soient sans qualité mais il se trouve que leur format, assez peu prescriptif, mal raccordé aux autres disciplines, favorise les redites autant que les angles morts. Que l’on ait besoin d’y revenir, c’est une évidence.
« Chaque semaine, un grand texte fondamental sur nos valeurs sera lu dans chaque classe, puis débattu », nous dit le Président de la République. Nous ne sommes pas convaincus que cette démarche soit la meilleure. À tout le moins, elle n’est pas la seule et elle est en totale rupture avec les programmes présents et passés qui ne jurent que par l’étude de cas et la mise en activité, sous des formats toujours diversifiés. Dans ce domaine comme les autres, les enseignants appliqueront le cadre réglementaire qui s’imposent à eux.
Mais disons-le, une telle refonte n’a de sens que si elle n’est pas interrompue deux mois plus tard par une injonction à enseigner tel ou tel sujet bouleversant l’opinion publique.
Dernier exemple en date, la lutte contre le harcèlement. Nous sommes très sensibles à ce sujet car nous avons tous eu, parmi nos élèves, des victimes. Nous avons donc été très émus des cas de suicide de collégiens début 2023 (Lindsay en juin, Lucas en janvier). Mais c’est précisément parce que nous souhaitons être efficaces que nous réclamons une réelle préparation, et non une séance de sensibilisation tombée du ciel au moment où les élèves ne viennent quasiment plus en cours.
De la même façon, nous souhaitons la meilleure harmonie entre les réglementations légales, ce que nous enseignons dans les classes et ce que le ministre en charge affirme devant les médias. Or, le plus souvent, un texte est en place, les établissements le suivent, les enseignants l’abordent en cours et le ministre dira autre chose. Prenons le cas des abayas et des qamis pouvant tomber sous le coup de la loi de 2004 sur les signes ostensibles d’appartenance religieuse. Serpent de mer en 2022-2023, le sujet avait mis en difficulté le précédent ministre. Qu’en était-il ressorti ? Après plusieurs mois de contestations dans les établissements, les chefs d’établissement ont dû soigneusement apprécier chaque situation, au cas par cas, au regard du contexte et des déclarations de l’élève. Il fallait distinguer le geste prosélyte de la simple provocation ou bévue passagère. Soit. Là encore, en républicains, nous suivons la règle.
Or, quelle a été l’une des premières déclarations de Gabriel Attal au Midi Libre en juillet dernier ? «Venir à l’école en abaya est un geste religieux, visant à tester la résistance de la République sur le sanctuaire laïque que doit constituer l’École ». Un tel propos rend logiquement superflues les précautions précédentes, ce qui va dans le sens des éléments ayant fuité de la conférence aux recteurs aujourd’hui. Mais où est le texte réglementaire qui appuiera les décisions des chefs d’établissement, qui justifiera les éventuelles exclusions de cours prononcées par un enseignant vigilant et qui in fine illustrera le cours d’instruction civique ? Nous sommes le 24 août et ce texte n’existe toujours pas.
Pense-t-on que ces discordances soient sans effet sur les élèves et les familles ?
La formation en histoire
Insuffisante aux yeux d’Emmanuel Macron, la formation en histoire doit être révisée. Si nous les premiers, ne sommes pas pleinement satisfaits de ce qui se pratique, nous ne comprenons pas pourquoi seule l’histoire serait concernée par cette forme de désaveu.
Tout d’abord, signalons que la formation disciplinaire est en baisse constante depuis de nombreuses années. Les INSPÉ et nouvelles EAFC (écoles académiques de la formation continue) font la part belle au transversal, aux thématiques où l’on peut mettre côte à côte un enseignant d’histoire-géographie, des sciences de la vie et de la terre et d’éducation physique et sportive. Les concours de recrutement suivent exactement la même tendance. C’est la prime à la compétence, duplicable à l’infini, sur le savoir disciplinaire classique, plus cloisonné et coûteux à mettre en place. Le Président de la République était-il étranger à ces mutations ? Nullement. Depuis 2017, le gouvernement y a pris largement part.
Nous sommes d’accord pour dire que le transversal n’est pas la panacée, ni pour la formation initiale, ni pour la formation continue et encore moins comme méthode de recrutement. Toutefois, s’il y a des insuffisances manifestes dans la formation en histoire, filière pourtant où la crise des vocations est moins grave qu’ailleurs, est-ce-à-dire que partout dans les autres disciplines, tout soit mieux ? Qu’aurait de supérieure la formation en lettres, physique, anglais, etc. ?
En définitive, si nous nous réjouissons que l’éducation soit « le coeur de la bataille » ainsi qu’un élément du « domaine réservé » du Président, nous regrettons la présentation peu flatteuse et inexacte de nos disciplines qui y est faite. Ce qui ne nous empêchera nullement de rester constructifs avec nos interlocuteurs ministériels.