Modérateur : Charles-François Mathis, Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Bordeaux-Montaigne
Intervenants:
Raphaële Bertho, Maîtresse de conférences à l’Université de Tours, directrice du laboratoire InTRu
Allain Bougrain-Dubourg, Journaliste et président de la ligue pour la protection des oiseaux,
Sébastien Grevsmühl, Chargé de recherches au CNRS
Charles-François Mathis : Pouvez-vous citer l’image qui a suscité votre engagement pour l’environnement, que ce soit dans vos recherches ou dans votre activité associative ?
Allain Bougrain-Dubourg: Au Muséum d’histoire naturelle de la Rochelle, il y avait une girafe empaillée. Elle avait été offerte à Charles X par Méhémet Ali.
Sébastien Grevsmühl : Lors de la guerre du Golfe, guerre quasiment filmée en temps réel, il y a eu des images d’oiseaux morts. Les commentaires ne s’y étaient pas arrêtés mais les images étaient traumatisantes.
Raphaële Bertho : Je vais botter en touche sur cette question et parler d’une sculpture des Alpes de Lionel Bayol-Thémines. Elle s’inscrit dans la série « Silent Mutation », exposée par la BNF (« Paysages français, une aventure photographique, 1984-2017 ») du 24 octobre 2017 au 4 février 2018.
Charles-François Mathis : À partir de quel moment l’image est-elle devenue un moyen de sensibilisation à l’environnement ?
Allain Bougrain-Dubourg: Commençons par les images qui nous ont échappées, comme celles des archives de la LPO montrant le remembrement sous un jour favorable. Or, on le sait, le remembrement a nui à la biodiversité mais, à ce moment-là, il fallait se féliciter du progrès industriel. Nous sommes entrés ensuite dans l’ère Disney. Par exemple, quand on montait un documentaire, on était invité à raconter une histoire aseptisée avec des rapaces qui n’attaquent pas d’autres oiseaux, des animaux gentils contre de méchantes bêtes. Les images de marées noires avec l’affaire de l’Amoco Cadiz ou de l’Erika ont été un tournant.
Sébastien Grevsmühl : La transition est au XIXe-XXe siècles. On passe d’un décor figée à des dynamiques de vie, de la peinture à la télévision, en passant par la photographie et le cinéma. Prenons le cas des peintures de parcs nationaux. Gorgées par le soleil (Thomas Moran, The grand canyon of Yellowstone, 1872), elles invitent à la protection parce que cette nature est hors du temps. Le progrès technique, avec l’usage des photographies aériennes ou des données satellitaires, conduit d’ailleurs à une forme d’éloignement avec l’environnement, comme pour l’englober. On souhaite mieux expliquer les mécanismes mondiaux. L’enjeu est aujourd’hui de revenir à une vision plus locale.
Raphaële Bertho : Contrairement à ce que l’on dit, l’image ne vaut pas 1000 mots, elle n’existe pas en dehors d’un discours. Sans discours, elle ne devient ni symbole ni synthèse. Quand une photo est décontextualisée, c’est le choc. Par exemple, les photographies de Lewis Baltz qui a travaillé pour la DATAR autour de la ZIP de Fos, montrent la terre au ras du sol, à rebours de ce que font les autres qui cadrent un paysage à hauteur d’homme. Dans des séries de photos ultérieures, la même photo a été prise chaque année au même endroit pour mieux en saisir l’évolution : on suit alors la croissance des arbres, l’obstruction de la vue par la construction d’immeubles, etc. Toutefois, pour les grands clichés qui ont fait le XXe siècle, le photographe s’appuie sur un discours préalable. La photographie montrant une petite fille nue qui court pendant la guerre du Vietnam n’a pas, à proprement parler changé le cours de la guerre. Elle est venue renforcer une critique préexistante de la guerre.
Charles-François Mathis: La défense de la biodiversité a-t-elle changé quelque chose à nos représentations environnementales?
Allain Bougrain-Dubourg : Le mot apparaît au Sommet de la Terre à Rio et a provoqué bien des questions dans les associations de protection de l’environnement. La nature, au sens des anciens naturalistes, est une nature sensorielle, que l’on touche, que l’on voit, que l’on sent, là où la biodiversité renvoie à la science, au sens du laboratoire, d’un monde froid, avec tout ce que cela a de noble par ailleurs.
Sébastien Grevsmühl: La biodiversité est effectivement une notion plus froide, étroitement liée à des institutions globales pour imposer des normes, gérer les problèmes mondiaux, etc. Cela ne se fait pas sans émotions : le dernier rapport du GIEC montre encore des images de scénarios climatiques, avec des globes de plus en plus rouges car de plus en plus chauds.
Raphaële Bertho : Paradoxalement, je n’ai pas d’images qui me viennent en tête pour la biodiversité. C’est révélateur. Le photojournalisme, qui est un grand producteur d’images, ne nous aide pas forcément. Certains photographes ont tenté une approche insolite. La photo Murmurations donne l’illusion d’un splendide ballet aérien d’oiseaux alors qu’il s’agit de …sacs plastiques. Mais ces clichés insolites participent d’une forme d’inertie et de mise en retrait. On s’engage moins, on accepte.
Allain Bougrain-Dubourg: Si la question climatique a réveillé nos consciences, le déclin de la biodiversité n’a pas vraiment d’incarnation. Le sort de l’abeille nous émeut mais celui de quantité d’autres espèces ? De toute façon, concrètement, la lutte est difficile. Faut-il multiplier les nichoirs ou les mangeoires ? Oui bien sûr mais cela ne suffira pas. Il faut une transformation économique.
Charles-François Mathis : L’image-émotion doit-elle se substituer au texte pour déclencher l’envie de protection ? Est-ce vraiment nécessaire ?
Raphaële Bertho : On est plus sur un problème d’incarnation. Ni l’émotion, ni la raison n’amènent systématiquement l’engagement. C’est plutôt une histoire de proximité : pour les abeilles, nos sociétés ont fait le lien à cause du miel et des fleurs. Par ailleurs, un texte ne fait pas tout le discours. La scénographie dans une exposition compte autant que les textes affichés.
Sébastien Grevsmühl : L’incarnation est importante. Chaque problème environnemental doit trouver sa traduction vécue quotidienne. Or, cela se complique quand le problème est global.
Allain Bougrain-Dubourg : Il y a une prise de conscience incontestable depuis la COP21, même par les Chinois et les Indiens. 100 milliards d’euros pour aider les plus faibles sont prévus… La société bouge et se responsabilise. Comment agir individuellement ? On peut changer ses habitudes de consommation. Cela finit par influencer les grandes surfaces. Les œufs n°3 venant de batteries sont progressivement supprimés. L’engagement contre la souffrance animale est indispensable car le travail législatif avance trop lentement : l’article 13 de la dernière loi Alimentation et Agriculture a été supprimé par la majorité. Comment comprendre cette dérobade si ce n’est pas l’action souterraine de lobbies ?
Charles-François Mathis : Quels sont les acteurs de ces images ? Qui fait ces images ?
Allain Bougrain-Dubourg: Cousteau, avec Le monde du silence, a été le premier à faire un documentaire primé au festival de Cannes avec palme d’or. Quelques autres documentaires remarquables sont sortis mais les continuateurs sont peu nombreux. On peut citer Jacques Perrin (Microcosmos). Yann Arthus-Bertrand a montré des images admirables de la planète. On défend la nature par le beau. « Le beau est plus utile que l’utile » nous dit Victor Hugo. Plus on avance dans la connaissance éthologique plus on comprend que le fossé qu’on s’est employé à creuser entre l’homme et l’animal est absurde. La reconnaissance de la sensibilité de l’animal est un jalon.
Sébastien Grevsmühl : La NASA a fourni des images de la diffusion de la spectaculaire marée noire de 2010 autour de Deepwater Horizon, une plate-forme pétrolière de BP. L’entreprise a alors déversé un dispersant supposé éviter le spectacle des plages recouvertes de pétrole mais ce n’est pas sans conséquence pour la mer. On a préféré sacrifier les écosystèmes marins plutôt que les plages. Les secondes sont trop faciles à exploiter médiatiquement.
Raphaële Bertho : Prenons cette splendide photo de Samuel Bollendorff, intitulée Contaminations qui montre une île sur un lac à Alberta au Canada. Le lac est beau mais plus personne ne peut manger les poissons de ce lac. Inversement, un endroit non pollué n’est pas forcément esthétiquement beau. Sur une autre photo intitulée Les larmes de sirènes, Bollendorff montre les résidus de plastique en photographiant le filtre utilisé par les scientifiques de l’expédition Tara dans le Pacifique.
Allain Bougrain-Dubourg : J’aimerais signaler au passage la réhabilitation des chasses présidentielles par le président Macron, qui avaient été supprimées par Jacques Chirac. Les prochaines chasses devraient rendre hommage à Léonard Vinci qui était pourtant un végétarien notoire. C’est incompréhensible.
Questions de la salle:
Nos générations ont surtout compris qu’elles devaient faire le deuil d’un mode de vie, de certaines habitudes de consommation, d’un « Ancien Monde ». Comment surmonter ce deuil ?
Allain Bougrain-Dubourg: C’est vrai qu’il y a des sacrifices et effectivement il faut créer un horizon de bonheur pour les générations futures.
Raphaële Bertho: La science fiction ouvre un champ des possibles pour l’avenir car on sait bien qu’une bascule doit être faite.
À Blois, un grand nombre d’enfants vont à l’école en voiture alors que c’est juste à côté de chez eux. C’est un exemple parmi tant d’autres des progrès à faire.
Allain Bougrain-Dubourg : Difficile effectivement de responsabiliser les citoyens. Santé et environnement sont les maîtres-mots des politiques publiques vertueuses. Mais il ne faut pas se décourager. Quand le tri sélectif est arrivé, tout le monde a crié au scandale. Aujourd’hui, c’est complètement entré dans les mœurs. Des espèces comme les cigognes blanches ou les faucons pèlerins qui étaient menacées d’extinction hier, sont sauvées aujourd’hui.