Participent à cet atelier pédagogique proposant des pistes pour enseigner l’histoire du sport et des Jeux Olympiques :

  • Nicolas Bancel, spécialiste des questions coloniales et post-coloniales françaises, et de l’histoire du sport. Il sera l’animateur de la table ronde. 
  • Patrick Clastres, titulaire de la chaire de l’Olympisme à l’université de Lausanne et spécialiste de l’histoire des JO. Avant Lausanne, il a été successivement enseignant en collège, en lycée et en CPGE ; il travaille sur le sport depuis 25 ans.
  • Yvan Gastaut, spécialiste de l’histoire de l’émigration et des ses rapports avec le sport ; maître de conférences à l’université Sophia Antipolis de Nice.

Les conférenciers nous proposent deux entrées : géopolitique et immigration sportive, accompagnées d’une exposition photo présentée sur les grilles de la préfecture. 

Faire l’histoire du sport

Nicolas Bancel :

De nombreux domaines se sont institutionnalisés dans le champ universitaire, et d’abord chez les Anglo-Saxons. Les études universitaires sur le sport en France, datent des années 80. L’objet « sport » s’est considérablement étendu depuis la fin du 19e siècle comme champ culturel, pour devenir la 1ère pratique culturelle mondiale. 

Pratiques sportives et colonialisme

Pour ce qui est du rapport entre le colonialisme et la pratique sportive, on s’intéressera au développement du sport en Afrique de l’Ouest avant les années 60.  Car c’est dans les clubs sportifs que se crée une sociabilité politique qui va abonder les mouvements anticoloniaux. Les pratiquants sont d’abord Européens. Puis les couches sociales qui côtoient les Blancs, les « Evolués », connaissent un effet d’acculturation. le sport, c’est se conformer à un certain ordre qui sera intégré par les élites post-coloniales.

Historiographie

Patrick Clastres propose d’analyser trois mots-clé : sport, olympisme, soft power. 

Le mot sport, un concept polysémique

Apparu à la Renaissance, il évoque l’idée de « désporter » son corps, à des fins de divertissement. Repris par les Anglais, il revient en France à la fin du 19e.

Une pratique culturelle

La comparaison entre sport et art est intéressante car tous deux procurent des émotions esthétiques. Pour autant, le ministère de la Culture n’intègre pas le sport dans son enquête sur les pratiques culturelles. Ce peut être lié au cloisonnement des attributions ministérielles. Néanmoins, les artistes ont des réticences à se mesurer les uns aux autres (malgré les Césars…). Or, la singularité du sport, c’est la compétition. Et ce, y compris quand la pratique sportive est considérée comme un art. Ainsi le judo, étymologiquement « Voie de la sagesse ».

Une histoire d’entrée mondialisée

Les premiers pratiquants du sport à la fin du XIXe siècle se reconnaissent comme faisant partie du même famille. L’amélioration spectaculaire des moyens de transport en Europe dès la fin du XIXe permet les rencontres. Avec la codification des sports par les Anglais, puis la création du CIO en 1894 au congrès de la Sorbonne, le sport acquiert une popularité grandissante. Grâce au développement rapide de la presse sportive, on parle dans tous les pays occidentaux des records. Ce tournant du siècle est un moment essentiel, première étape de la mondialisation sportive avec ses néologismes propres (sportsmen), qui mobilise les couches supérieures, puis populaires.

L’olympisme

C’est Pierre de Coubertin qui évoque sa création pour la 1ère fois dans son discours de 1892 à la Sorbonne. Le Comité International Olympique nait lui en 1894 avec le congrès fondateur de la Sorbonne.  

Un vocable breveté

Depuis le Traité de Nairobi en 1985, le CIO est propriétaire du mot, des anneaux et veille jalousement à son patrimoine. Le discours de 1892 a été retrouvé, acheté aux enchères près de 9M € par un oligarque russe, président de la Fédération Internationale d’escrime. Celui-ci en a ensuite fait don au musée de l’Olympisme à Barcelone…

Un nouvelle aristocratie

Pour Pierre de Coubertin, l’idée de la paix par le sport imprègne l’olympisme naissant. L’affrontement dans le stade est conçu comme une rencontre d’une nouvelle race d’hommes, les sportsmen. C’est à eux de fonder une éthique aristocratique d’un nouveau genre, une « chevalerie » qui va conduire l’humanité vers la paix. Cette weltanschaauung va être adoptée par le monde entier.

Dès le congrès fondateur, il apparaît clairement que cette élite doit se dissocier de la masse du peuple. Avec la règle de « l’amateurisme », les gentlemen empêchent les sportifs populaires de « participer ». En effet, ceux-ci ne peuvent prétendre vivre de leur sport sans aide financière.

Les Britanniques contrôlaient déjà les règles du jeu de chaque sport avec les Boards. Les Français sont dans une autre logique, fédérative. La fédération internationale de football organise la 1ère coupe du monde en Uruguay en 1930. Contre les tournois de foot olympiques… 

Le sport comme soft power 

le sport est un lieu inventif et n’est pas que le « reflet de la marche du monde ». Les Etats sont souvent pris de court par un mouvement qui leur échappe. Cependant, ils apprennent vite à s’en servir et à instrumentaliser les athlètes. Comme le dit Allen Guttmann, historien américain du sport, il est de tous les vecteurs culturels le plus agressif, mais aussi le plus souple des pouvoirs (“The hardest of the soft powers, the softest of the hard powers”). 

La règle de l’amateurisme disparaît pour les jeux de 1988 à Atlanta sous la pression des Etats-Unis. Il s’agissait pour eux de mettre fin à l’hégémonie soviétique sur les Jeux durant la Guerre froide, période dans laquelle les athlètes du bloc soviétique trustaient les médailles olympiques… 

Brasser les populations par le sport

Yvan Gastaut : 

la figure de l’athlète

La dimension de brassage des populations par le fait sportif est considérable. Ce qui se traduit par un cosmopolitisme d’élite qui met en scène des athlètes de haut niveau, populaires, pour le grand public.

On peut aussi faire des recherches sur les personnalités de grands sportifs. Et ainsi découvrir que l’immense champion de natation Johnny Weissmuller était en fait apatride. Qui sait que le grand peintre Yves Klein, artiste du « bleu » était un judoka de très haut niveau ? 

 Instrumentaliser le sport

On peut également s’intéresser aux disciplines sportives, et montrer en quoi elles jouent un rôle médiatique pour tel ou tel pays, comme le basket pour la Lituanie…

La « délocalisation » de certaines disciplines historiquement ancrée dans un territoire donné est un enjeu mondial. On le voit pour le rugby, dont les fédérations s’étendent désormais largement au-delà du Commonwealth. Les chinois se sont emparés pour des raisons géopolitiques de sports qu’ils ne pratiquaient pas auparavant. Ils ont ainsi anticipé et planifié leur 1ère place aux Jeux de Beijing en 2008…

Le sport, ascenseur social ?

Expo Achac RVHB 2020

Comme l’exposition y invite, on peut faire travailler les élèves sur des parcours oubliés. Telle la médaille d’or de 1928 de El Ouafi qui remporte le marathon d’Amsterdam comme « indigène français ». Pour continuer, il devient professionnel aux Etats-Unis, mais les contrats qu’on lui propose le transforment en bête de cirque. Mimoun, pied-noir qui gagne en 1956 à Melbourne, ouvre une souscription pour El Ouafi devenu clochard… Cette histoire, questionnée à l’époque, l’est de nouveau et par ricochet aujourd’hui.

Le fait sportif reste par ailleurs un fait national aux côtés du post-national olympique. La circulation des athlètes incarne diverses identités (pays, clubs…). Car ces parcours de réussite ont valeur de parcours-citoyen, pour un Salif Keïta par exemple. Mais on a à côté des centaines de jeunes qui ne percent pas, dévoyés par les mirages occidentaux. 

L’ascenseur social, est un aspect intéressant sur le plan pédagogique. L’après-carrière peut être chaotique (El Ouafi). Ces histoires singulières sont essentielles à mener en classe. La dimension « athlète de haut niveau » a renversé le modèle du sport éducateur dans nos sociétés. Un travail à mener conjointement en histoire et en EPS ? 

Faire l’analyse en classe d’une image de l’expo

 

Expo Achac RVHB 2020

Nicolas Bancel :

Le cas Jessie Owens

Certainement l’image la plus connue du grand public : 1936, Berlin. 4 médailles d’or d’un Africain-Américain dans l’Allemagne nazie.

Dans l’Amérique de la ségrégation raciale

Ce panneau contient un encadré sur le contexte géopolitique et la trajectoire de Jessie Owens. Repéré par un entraineur et devenu champion des EU en 100 et 200 m, il accède ainsi à la notoriété. Or on est dans l’Amérique de la ségrégation. Malgré ses médailles aux JO, il n’a pas été reçu par le président des EU et aura une fin de carrière tragique dans la misère.

Le contexte des JO de Berlin

S’y rajoute le contexte des JO de Berlin (1936), avec la montée du sentiment de retour des conflits en Europe. Alors que la commission du CIO présidée par Brundage conclut que l’Allemagne peut organiser les jeux, un premier mouvement international de boycottage voit le jour. Cependant, Goebbels, ministre de la propagande, fait retirer tous les panneaux antisémites dans les villes et sur les commerces pour la durée des Jeux. Il fait ensuite réaliser par la cinéaste nazie Leni Riefenstahl « Olympia » avec des moyens techniques en avance sur Hollywood. Pour de nombreux Européens, les Jeux sont une réussite : les athlètes allemands terminent pour la première fois premiers, résultat toutefois terni par les victoires de Jesse Owens.

Questions du public :

Q1 : Où se procurer cette expo ?

NB : L’exposition réalisée par le groupe de recherche Achac « Histoire, sport & citoyenneté (1896-2024) : des Jeux Olympiques d’Athènes 1896 aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 » va tourner pendant 3 ans y compris dans les collèges et lycées, diffusée par la Casden. La demander à l’association Achac.

Q2 : Comment se former à l’histoire du sport ?

PC : Des publications pédagogiques en français accessibles dans les CDI : les textes et documents pour la classe  (TDC), la documentation photographique.

Une dizaine d’historiens travaillent sur le sport en France. On peut également aller sur le portail CAIRN pour les travaux de recherche ; là c’est d’un niveau élevé et souvent payant. 

Q3 : Et sur les JO antiques ?

PC : C’est très différent et bien documenté. Mais les études sur la starification comme pour Milon de Crotone peuvent être également un élément de comparaison pour faire comprendre les différences. Cf. l’historien de l’Antiquité Jean-Paul Thuillier qui a fait sa thèse sur le sport étrusque. Aussi, la dimension religieuse ou les « trèves » olympiques….

Q4 : Sur la médiatisation du sport :

PC : Parallèlement aux premières manifestations, la presse sportive alimente l’engouement du public. Et ce, dès 1870 en Angleterre. Le sport fabrique du média. Durant les compétitions cyclistes, « L’Auto » imprime le lendemain pour le public. Puis la radio et la télé… La coupe de france de football a généré le direct, la télé s’est adaptée avec l’Eurovision. 

On peut aussi s’abonner à «Retronews », les archives de Gallica : il ya deux dizaines de journaux sportifs sur Gallica ! Le photomontage est une invention de la presse sportive… 

YG : Le temps sportif c’est 40% de l’info quotidienne. La pétanque, le biathlon, au départ inconnus hors des cercles de pratiquants ont été médiatisés par les chaines sportives. tous les médias s’y sont mis. Le Monde y compris…

Q5 : Le paralympisme, une nouvelle dimension géopolitique ?

YG : Son internationalisation est en cours. On revisite les questions du sport à l’aune de nos préoccupations du moment.

PC : En fait, le sport pour les handicapés est né en 1950 en Angleterre. Au lendemain de la guerre, il s’agissait de réparer le corps des soldats blessés. Ce qui est ensuite repris par toutes les armées du monde. C’est d’ailleurs Londres qui assure la 1ère couverture mondiale des Jeux paralympiques en 2012.

NB : Cependant, les tares de l’Olympisme s’y réflètent, notamment avec des enjeux pour certains Etats…Aliénation et valorisation vont de pair.

 

Pour approfondir vos connaissances sur l’histoire du mouvement olympique, vous avez à disposition le compte-rendu de la conférence de Patrick Clastres au RVH de Blois 2015 dont le thème était justement.. « Les empires » !