Deuxième numéro de cette série sur l’enseignement hybride, je reviens ici sur les raisons qui m’ont poussée à choisir de croiser la visioconférence avec un cours classique. Depuis novembre 2020, mon lycée de l’Essonne est passé du jour au lendemain en enseignement hybride, avec 50 % des classes à la maison chaque semaine. Ce roulement, décidé par le chef d’établissement, n’a jamais été vraiment remis en cause et ce n’est certainement pas les dernières annonces du gouvernement qui inverseront la tendance.
Par une belle ironie du sort, mon lycée, qui s’était signalé dans le bassin par ses précautions maximales, constitue désormais une espèce d’avant-garde.
Le chaos de l’enseignement hybride en demi-jauge
Du haut de cet avant-garde, je peux dores et déjà vous prévenir. Si vous commencez seulement maintenant à expérimenter cette alternance, attendez-vous au chaos en dix jours. Le système bouleverse nos repères. Attendez-vous par ailleurs à la rapide montée des dérogations en tout genre. Certains élèves négocieront un retour en présentiel 100 %. D’autres réclameront à l’inverse un distanciel 100 %. Et au milieu de tout ça, par vague, des fermetures de classes au gré des cas-contacts et des oukases de l’ARS. Je passe sur les élèves qui se rajoutent de façon impromptue aux effectifs présents. Il suffit d’un oral blanc, d’un contrôle écrit en classe entière avant ou après vous, pour qu’ils s’ajoutent à votre groupe sans crier gare.
Bref, comme vous le verrez très vite, impossible de savoir à l’avance qui vous aurez en face de vous, chaque heure, chaque jour, chaque semaine. Impossible aussi de prélever les devoirs maisons en une fois. Impossible de rendre un paquet correctement. Tout est compliqué, brouillon, fatiguant.
Dans l’enseignement, le casino de l’équipement des salles de classe
Autre particularité de l’année, née de la volonté de limiter les brassages, chaque classe dispose désormais de sa salle spécifique. Or, avec la réforme, le tronc commun se réduit au trognon de pomme. Pour les cours de spécialités, de langues, d’options, de labo, de sport, c’est-à-dire… la majorité du temps, les élèves circulent. Sur le front de l’épidémie, je ne sais pas si l’effet de la mesure est saisissant mais on se donne du mal. Exit notre ultime petit privilège de garder la même salle sur une journée ou une demi-journée. L’artiste déplace sa caravane toutes les heures.
S’il compte sur le matériel informatique des salles, un enseignant doit composer avec un équipement aléatoire. Ici un bureau avec un poste de travail pour l’enseignant, là un bureau et plus loin un ordinateur coincé sur une petite table. Ici une bonne connexion 4G, là la misère, etc. Dans la salle machin, un ordinateur flambant neuf et dans l’autre, un vieux coucou qui expectore son agonie à chaque clic.
Par contre, il y a une règle universelle : les bornes wifi sont partout mais cela ne marche nulle part.
Comment assurer la « continuité pédagogique »…
Maintenant que le tableau est posé, je pense que tout le monde a compris que ce n’est pas le paradis. Même si mon établissement a souvent repoussé les limites en la matière, je pense que les collègues seront nombreux à se retrouver dans ce portrait. Alors comment faire pour assurer cette fameuse « continuité pédagogique » qui prétend assurer un suivi quelle que soit la situation de l’élève ?
… sans réel moyen ni coordination d’aucune sorte ?
Certains de mes collègues ont par exemple expérimenté un cours classique pour les présents, tandis que les absents ont des exercices spécifiques à la maison. À charge pour l’enseignant la semaine suivante, de consacrer un peu de temps au « tuilage » du groupe qui revient et ainsi remettre la classe d’équerre. Ce système, assurément ambitieux et pédagogiquement très valable, se révèle être un gouffre chronophage. Il faut d’abord créer deux parcours différents. Il faut corriger un surplus de copies qui seront prélevées et rendues au rythme erratique décrit plus haut. L’avancement du programme en prend un sacré coup. Malgré tout. Enfin côté élève, l’enseignement paraît plus étiré, plus redondant, quelle que soit la configuration. Heureusement, pour les élèves assidus et un peu lents dans les apprentissages, ce système donne des résultats très encourageants. Mais à quel prix ? La fuite en avant du temps de travail de l’enseignant.
Pour ma part, j’ai refusé tout net la dissociation de l’enseignement.
L’enseignement hybride synchrone, un moindre mal ?
À la place, j’ai donc choisi de faire cours, devant les élèves présents et devant les élèves à la maison par la visioconférence. Cette méthode a été baptisée, je l’ai su après, d’un nom barbare : enseignement hybride synchrone. Je la pratique pour l’ensemble de mes cours, à moins bien sûr que par le jeu des demi-groupes, j’aie face à moi l’ensemble des élèves prévus. Pour les demi-groupes qui sont tous à la maison, alors c’est une visioconférence seule. Cette méthode me paraît être la plus efficace dans le contexte, même si elle présente des limites. Je vous en dis plus au prochain épisode !
La série des articles consacrée à l’enseignement hybride synchrone :
Épisode 1: Enseigner en même temps devant des élèves en classe et à la maison
Épisode 3: Quels sont les avantages de l’enseignement hybride synchrone
Épisode 4: Les trois commandements d’un cours en visioconférence
Épisode 5: La fatigue de l’enseignement hybride synchrone. Mythe et réalité.
Épisode 6: Le matériel et la connexion informatique, conditions indispensables
Épisode 7 : Quel est l’avenir de l’enseignement hybride synchrone ?