Depuis le bel ouvrage de Catherine Lanoë (La poudre et le fard : une histoire des cosmétiques de la Renaissance aux Lumières, 2008), l’historien a eu la confirmation de ce qu’il supposait déjà : la parfumerie est un domaine inventif et protéiforme. Ce secteur « de confins », entre thérapeutique et droguerie, cuisine et boucherie, pharmacie, et chimie, médecine et hygiène, a connu un bel essor au XIXe siècle, dans la foulée de l’ascension de la bourgeoisie.
Dès 1820, des parfumeurs comme Alphonse Piver, Edouard Pinault, Pierre-François Guerlain fondent des dynasties et inspirent Balzac pour son César Birotteau. Vers 1860, apparaissent ensuite Antonin Raynaud, Alexandre Bourjois, Armand Roger et Charles Gallet, des noms qui, pour certains, sont encore connus aujourd’hui.
De ce premier tour d’horizon, se dégagent quelques récurrences :
– les liens entre l’habillement et la parfumerie
– le nombre de repreneurs
– la force de travail des parfumeurs
– la place des femmes, tant dans la fabrication que la direction
I. Un métier inventif
a) Le tournant du XIXe siècle
On estime que la production totale de parfums en 1810 pesait 20 millions de francs. En 1910, le chiffre est passé à 100 millions. Depuis que l’odorat est devenu un moyen de discrimination sociale, le parfum est à la mode. Les prix baissent et le marché s’élargit encore.
On vend du parfum à Paris et à l’étranger. Les exportations constituent entre la moitié et 2/3 des ventes, au point que certains produits ne sont destinés qu’à l’international (Europe, Afrique du Nord, Amérique latine…) et que ce segment est vite saturé par la contrefaçon.
b) Progrès mécanique et technique
Avec l’industrialisation, la parfumerie se modernise. Des brevets sont déposés comme celui du « séchoir automatique » pour les pains de savons, d’Alphonse-Honoré Piver en 1864, qui fait passer le temps de séchage de quinze jours à deux heures, ou encore celui de la « machine broyeuse-sécheuse-automatique » venue d’Europe du Nord.
Ci-contre, la technique de l’enfleurage à froid dans l’usine de Piver (La Nature, 1898)
On perfectionne également une nouvelle technique d’extraction qui ne dénature pas la fleur : l’enfleurage à froid. Jusqu’alors, on procédait par macérations successives, c’est-à-dire que l’on mettait à fondre au bain-marie des corps gras auxquels on rajoutait des fleurs. Cette technique ancestrale fonctionnait pour la rose ou la fleur d’oranger mais pas pour des fleurs comme le jasmin, qui ne supportent pas la chaleur. L’enfleurage à froid travaille à partir de graisses animales et après absorption lente de l’essence de la fleur, la pommade obtenue est lentement décantée à l’alcool.
c) La chimie
A la fin du XIXe siècle, l’arrivée de la chimie élargit encore l’horizon des parfumeurs. On utilise des solvants volatils dans les procédés d’extraction. Surtout, on découvre les produits de synthèse. Perkin reproduit artificiellement la coumarine en 1868, Haarman, Tiemann et Reimer élaborent la vanilline en 1874, Baur les produits à odeur musquée en 1889, etc. Ces substituts ne remplacent pas le produit naturel sur le marché mais ils permettent de créer de nouvelles associations et donc de nouveaux produits.
II. L’invention du métier
a) Gagner l’estime nationale et internationale
A droite, exposition de la classe 90 Parfumerie à l’Exposition universelle de Paris de 1900
Pour améliorer leur image de marque, les parfumeurs conquièrent les expositions universelles dès l’édition londonienne de 1855. Celle de Paris en 1900 apporte la consécration définitive. D’abord rangés avec les accessoiristes, les parfumeurs ont su se démarquer progressivement des chimistes ou des médecins. Ils se présentent également aux expositions hors d’Europe comme à San Francisco ou à Jakarta.
Cette réussite a toutefois un prix : au fur et à mesure, les petites maisons ou les fabricants de produits hygiénistes sont exclus.
b) S’affirmer commercialement
Avec l’effondrement des coûts de production, la parfumerie devient très rentable et lui permet d’affiner sa stratégie commerciale, notamment pour lutter contre la contrefaçon.
Les maisons développent leurs marques, leurs dessins, leurs modèles de fabrique. Le parfum devient un objet.
III. Vers l’invention du luxe moderne
a) Vendre cher ?Où vendre ?
Les parfums les moins chers sont vendus dans des bazars de parfumerie, ouverts de 10h du matin à minuit. Les parfums les plus chers sont justifiés par la créativité, par la publicité, par des discours autour du parfumeur-artiste, mais aussi par la devanture de boutiques. Car on crée désormais des boutiques dédiées, luxueuses, où l’on se presse et où il y a du personnel.
Gravure publicitaire de la Parfumerie Lentheric vers 1897. Archives de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Actualités, Série 120- Parfumerie, Album « imagerie de parfumerie ».
b) L’art de vendre
A gauche, L.T. Piver, Floramye, 1905
Plusieurs styles cohabitent. Pour les produits populaires comme le savon, les représentations sont variées : de la fleur au portrait d’Adolphe Thiers, en passant par des crucifix et des images coloniales. Pour les produits hygiénistes (teintures capillaires, dentifrices, eau régénératrice…), le style est épuré et sévère. Les parfums chics parient sur l’élégance du XVIIIe siècle avec de la dorure, des motifs toile de Jouy, des références à l’Antiquité. Le flaconnage intègre du semis-cristal.
La prochaine étape, c’est l’arrivée des grands couturiers après la guerre.
A gauche,
René Lalique, Leurs âmes, D’Orsay, 1913 (collection Silvio Denz)