Introduction :
En apparence, les choses ont l’air de s’être calmées en Europe, mais c’est une impression de façade : tout va mieux en Europe… mais ce n’est qu’une façade. Les problèmes ont été délayés dans le temps mais nous avons toujours un gros souci de manque de solidarité (en témoigne l’actualité espagnole), des problèmes de démographie… Ce sujet apparemment froid est en réalité brûlant.
JMV : Pourquoi une Union Européenne ?
PA : question centrale et fondamentale. A sa naissance, l’union avait pour objectif d’éviter les guerres aux populations usées par la WW1 et WW2, de mettre en place des valeurs humaines communes, de voir la naissance d’une justice et d’une presse indépendante, de booster l’économie bien sûr…
Mais attention à ne pas confondre U.E. et zone euro.
Des pays qui n’ont pas la même monnaie n’ont pas besoin d’une forte coordination. Les politiques des salaires et politiques fiscales différentes sont corrigées par des dévaluations proportionnelles des monnaies. Des pays qui ont la même monnaie ont au contraire besoin de se coordonner puisque en cas de déficit d’un pays, tous les autres en subissent les effets.
C’est pourquoi les progrès institutionnels doivent concerner la zone euro si on veut que ça marche. Une union économique et monétaire a beaucoup d’inconvénients : même taux d’intérêts, impossibilité de dévaluer… ce qui aboutit à une perte considérable des libertés des politiques économiques. Elle a en revanche un avantage économique : grand marché intérieur avec des grandes entreprises plus concurrentielles (car économies d’échelles) dans le reste du monde.
Mais dans quelle mesure le marché unique a-t-il vraiment stimulé les échanges intérieurs ? Les études d’économistes montrent qu’en fait c’est surtout l’Allemagne et l’Angleterre qui ont profité du marché unique (la France assez peu). Dans le domaine des énergies renouvelables nous avons été incapables de créer une grande entreprise européenne, et ce sont les chinois qui l’ont fait.
La disparition du risque de change permet une spécialisation des pays de la zone (chacun fabrique ce dans quoi il est le mieux placé). Cette disparition facilite aussi la circulation des capitaux et permet d’investir avec de l’épargne accumulée dans un autre pays. Mais ça c’est en théorie. Dans les faits les choses se sont un peu moins bien passées.
V : Le but était de stimuler la prospérité. La zone euro a été créée en 1999 (même si les pièces et les billets ne sont arrivées qu’en 2002), et au début, ça allait bien et les points évoqués ci-dessus avaient l’air de fonctionner. Qu’est-ce qui s’est passé à partir de 2008 ?
A : au début la spécialisation a l’air de fonctionner. Electronique : région Rhône Alpe/Autriche, agriculture : Espagne, France… Il serait inefficace aujourd’hui de se remettre à fabriquer de tout partout (quoi qu’en disent les catalans). De même l’épargne a beaucoup circulé : les excédents de l’Allemagne et des Pays Bas servaient à prêter de l’argent à la Grèce, l’Espagne… entre 99 et 2008 : l’Allemagne a prêté 3000 Milliards d’euros aux pays du Sud.
Mais à la fin des années 2000 émergent les conséquences du 1er déficit de réflexion : si des pays se spécialisent à l’excès, leurs structures économiques deviennent très différentes. Cela entraîne une divergence des niveaux de revenus entre les différents pays… prévisible et inévitable ! Il était assez naïf de croire que du moment qu’on a la même monnaie on a la même économie… c’est une terrible erreur d’analyse de ne pas avoir réfléchit à l’hétérogénéité engendrée par la spécialisation des nations membres.
2e erreur : on n’a pas fait assez attention à la qualité des investissements Allemands. De 99 à 2010, ils ont financé des investissements « bizarres » (bulle immobilière en Grèce…), et aujourd’hui ils prêtent au monde entier… sauf à l’Europe… leurs arguments sont de deux ordres: ces pays sont pauvres, ils vont avoir du mal à rembourser, et ils font n’importe quoi avec l’argent qu’on leur prête. Conséquence : depuis 2010, il n’y a plus de circulation des investissements dans la zone euro.
Les politiques misaient tous sur le Bell out : si un des pays a un problème de dette, les autres pays de la zone viendront le renflouer… ce qui ne fut pas le cas, ou un temps seulement. De plus, si l’inflation a été uniforme dans toute la zone, du fait de l’hétérogénéité des économies, le niveau de vie se met à varier d’un pays à l’autre. Ce qui apparaît donc ici clairement comme frein à la prospérité de la zone euro, c’est l’égoïsme des nations les plus riches qui veulent pouvoir bénéficier des avantages du marché unique sans en subir les inconvénients. Ce manque de solidarité s’observe d’ailleurs au sein même des pays, l’actualité en Espagne en témoigne.
V : Le cas de la crise en Grèce, petit pays pourtant, a ouvert les yeux à l’ensemble de la communauté financière en 2010-2011, pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé ?
A : Il y a bien sûr le précédent de la crise des sub-primes en 2008, mais la grande crise pour l’Europe fut celle de 2011 à 2014, quand l’Allemagne a cessé de prêter au pays du Sud. De façon brutale, le déficit extérieur de ces pays n’a plus été financé, ce qui les a obligé à le réduire en contractant les dépenses intérieures. L’austérité est en fait une conséquence de l’arrêt brutal du financement Allemand.
L’Europe a bien tenté quelques réactions défensives : création du Mécanisme Européen de Stabilité = fond qui peut prêter aux pays en difficultés pour éviter ce genre de crise + Politique économique ultra-expansionniste, avec des taux d’intérêts à zéro. Mais si on a développé ces mécanismes défensifs, on n’a pas réglé l’origine des crises en Europe.
V : Qu’est-ce qu’on peut faire alors ?
A : les deux problèmes fonctionnels à régler sont la spécialisation et l’arrêt de la circulation des capitaux à l’intérieur de la zone.
Pour remédier à l’hétérogénéité engendrée par la spécialisation des économies, il faut à l’intérieur d’une union monétaire une dose de fédéralisme, qui permet de transférer des fonds depuis les zones les plus riches vers les zones les plus pauvres, de façon automatique. Sous-entendu sans que les plus riches aient à donner leur accord à chaque fois puisque visiblement, la solidarité entre états n’est pas durable…
V : C’est exactement ce qu’on observe aux Etats-Unis où les transferts entre Etats sont énormes.
A : Là-bas : si un état perd un euro, le système fédéral lui rapporte 60 cents (en Europe, pour un euro perdu c’est un cent seulement…) ils sont en fait bien plus solidaires que nous. Il faut que la contribution des pays riches soit structurelle et que les zones riches transfèrent automatiquement des fonds vers les régions pauvres. Sinon, les pauvres le seront de plus en plus et les riches idem. Aux Etats Unis, malgré l’énorme budget fédéral, les disparités demeurent énormes. C’est la limite de la spécialisation.
Cependant l’euro n’éclatera pas car les pays européens se sont imbriqués réciproquement par leurs dettes. En France : la dette extérieure brute est de 2,5 années de PIB (5000 milliards d’euro). Si la France sort, sa dette restera en euro et quand la monnaie se dévaluera, ce sera la ruine assurée. Donc la seule solution c’est d’aller vers le fédéralisme. Et il faut absolument restituer la circulation de l’épargne au sein de la zone euro.
V : Jean Jaurès disait que la guerre n’aurait pas lieu avant qu’elle ne se déclare quand même, dire que l’éclatement de l’Europe n’aura pas lieu n’est-il pas un peu trop optimiste ?
La catalogne fait réfléchir : des régions riches commencent à refuser de verser de l’argent aux pauvres… au sein même d’un pays. L’Allemagne ne prête plus… Il est certain que sans cette solidarité, la zone euro n’a aucune chance de réussir : on ne peut pas prétendre bénéficier des avantages d’un système tout en refusant ses inconvénients.
V : 3 raisons d’espérer ?
1 : On commence à voir des mécanismes de redistribution de l’épargne. Plan Juncker : la Banque Européenne d’Investissement prévoit par ce plan le financement d’investissements et de PME innovantes (calibré pour 600 milliards d’euros, en 2016 ce sont déjà 164 milliards qui ont été levés).
2 : L’approche de l’Allemagne par Macron est la bonne. Il faut ramener l’épargne des Allemands en Europe en redevenant des emprunteurs « présentables » (énergies renouvelables : ex de l’Espagne qui fabrique 50 % de son énergie en renouvelable, au lieu de financer des immeubles vides…)
3 : L’Espagne depuis 2013 et le Portugal depuis 2015 ont redressé la barre rapidement. Stratégie : réduire les déficits en baissant les salaires, baisser les dépenses publiques (donc les impôts)… il reste aujourd’hui un seul malade dans la zone euro : l’Italie.
Questions du public :
Q1- Retour vers le passé : lien avec la réunification de l’Allemagne ?
PA : comment a-t-on amené les Allemands à accepter l’Euro ? Après la réunification de l’Allemagne, crise en 92-93 : toutes les monnaies européennes sauf le franc ont été dévaluées par rapport au Mark. La zone euro était l’assurance pour les Allemands de ne plus souffrir du fait de la surévaluation de leur monnaie.
Q2- Les institutions européennes sont-elles réellement efficaces et suffisantes ?
PA : le principal frein au fédéralisme est l’acceptation des plus riches à payer pour les plus pauvres. A l’époque on avait l’idée qu’on pourrait avoir l’euro pour commercer à l’intérieur de la zone et des monnaies nationales pour l’économie interne des Etats. On a connu ça dans les années 80 avec deux francs différents. Très compliqué et surtout trop tard : nos dettes sont déjà en euro. Pour les Anglais c’est différent car leurs dettes sont en livre sterling. Quand leur monnaie se dévalue, la dette se dévalue aussi. Aujourd’hui il faut vraiment être cinglé pour sortir de l’euro.
Q3- Est-ce que le développement durable ne serait pas un antidote à la spécialisation et à la divergence ?
PA : aujourd’hui on n’a rien fait de ce qu’il faudrait faire pour limiter le réchauffement climatique. Une taxe sur l’activité CO2 permettrait de réorienter un peu l’économie mais ce n’est pas une solution miracle. Grande erreur stratégique : aucun acteur européen ne fournit le matériel nécessaire au renouvelable. Pour l’instant les équipements sont chinois.
Q4- Malgré la monnaie unique, les charges sociales, les salaires… sont très différents, l’harmonisation ne semble-t-elle pas indispensable pour éviter le dumping, vu l’absence de solidarité ?
A : entre les pays de la zone euro, tout ce qui crée de l’hétérogénéité est mauvais. Sans avoir les mêmes règles fiscales et sociales, il y a un réel problème de dumping. Mais comment harmoniser les marchés du travail ? On a pris des pays qui ont des salaires 4 fois plus bas que nous… on n’aurait pas du. Et le tir va être difficile à corriger c’est certain…
Par Jessica Boyer, professeure de SVT, membre des Clionautes