L’habitat vernaculaire des ksour et des palmeraies a connu de profonds changements et la ville oasienne actuelle plusieurs étapes de croissances. Dans la vallée du M’Zab, au nord du Sahara algérien, une expérience originale a donné lieu à l’émergence d’une série de nouvelles extensions urbaines nommées «nouveaux ksour». Quel est leur impact sur la protection de l’écosystème oasien, la valorisation du patrimoine matériel et immatériel de la région, et la préservation du mode de vie mozabite?
Intervenants :
Mounia BOUALI, enseignante,
Kheir-Eddine GUERROUCHE, architecte
Présentation de la pentapole du M’Zab aux portes du désert
Mounia BOUALI : Nous sommes à 500km au sud d’Alger, au nord du Sahara et donc aux portes du désert. Le site est rocailleux et inhospitalier. Les étés sont extrêmement chauds et les hivers très froids. Il y a également une très forte amplitude diurne et nocturne. Les précipitation sont très faibles et irrégulières, avec parfois des crues très violentes.
Le site est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1982. Le Corbusier est passé ici dans les années 1930. C’est l’un des premiers architectes à avoir représenté la maison m’zabite et à s’en être imprégné, notamment la palmeraie. Le long de l’oued, les cinq oasis obéissent au même schéma d’implantation : un ksar (village fortifié ou médina du désert, dont la maison traditionnelle s’appelle le taddart ) sur un éperon rocheux et en contrebas, la palmeraie, avec sa maison nommée akham.
La nappe phréatique est à une cinquantaine de mètres. Pour y accéder, cela dépend de la nature du sol. Il existe deux types de puits : le puits classique et le puits d’absorption qui alimentait des galeries souterraines. Il y avait aussi des barrages de retenue. On est donc dans une oasis composée donc de deux entités distinctes, avec une particularité, la migration saisonnière en été depuis le ksar. Il y avait en effet des travaux à effectuer sur les palmiers-dattiers. Cet économie oasienne est fragile, auto-suffisante, et a grandement souffert de l’industrialisation.
Organisation générale
Entre le XIe-XIVe siècle, le ksar est édifié avec la construction du minaret, du rempart et de la place du marché en périphérie. Les ruelles sont très étroites, ce qui, conjugué à la hauteur du bâti, permettait de garantir l’ombrage. La manière de construire est adaptée à l’environnement : le ksar est en pierres, à la différence d’autres ksour en terre. On peut trouver des passages couverts qui permettaient de briser aussi les vents de sable.
Organisation traditionnelle de la maison oasienne
Le côté traditionnel de l’habitat permettait de repérer facilement les périodes de prise de photo, avant les transformations majeures du XXe siècle. Grâce aux palmes, à la présence de bois sur les terrasses, on savait qu’on se préparait à l’hiver par exemple.
La maison du ksar, appelée la taddart, est introvertie, organisée autour d’un patio, d’un mostedar, typiquement m’zabite car recouvert et qui ne laisse passer qu’un petit puits de lumière. Il y a des caves et des sous-sols. Pour la saison d’hiver, on reste à l’étage, tandis que la soirée et la nuit se font au rez-de-chaussée. Il y a deux cuisines. Le métier à tisser change d’emplacement, au rez-de-chaussée en été, à l’étage en hiver.
La maison de la palmeraie, le akham. est implantée dans un jardin, avec très peu de mitoyenneté et sur une topographie différente. Le terrain est plat dans l’ensemble. L’architecture est majoritairement en terre et non en pierre. On note la présence du bassin avec des canaux d’irrigation et une architecture ingénieuse adaptée au risque d’inondation. La maison de la palmeraie n’est occupée en été et pourtant il y a deux cuisines, deux portes d’entrée, etc. En fait, dans les maisons proches du lit de l’oued, on peut occuper l’étage en attendant la décrue. Le palmier lui-même est intégré à la construction : sa coupe est interdite.
Deux vagues de transformation majeure de l’habitat mozabite
La transition des années 1950
Tout d’abord, la première phase de changements se situe entre les années 1950-1980. La découverte des hydrocarbures a provoqué une crise de l’économie oasienne. Après l’indépendance de l’Algérie, de nouveaux rythmes de vie ont bouleversé les rythmes de vie (calendrier scolaire après obligation scolaire, introduction du salariat avec congés payés). Le cycle de vie du palmier-dattier n’était plus central. L’électrification des espaces a mis fin au déplacement dans les habitations. Le recours au puits artésien a permis l’arrivée de l’eau courante mais cela a posé la question du rejet des eaux usés. On a parlé d’urbanisation, de « ville oasienne » (200000 habitants aujourd’hui, 20000 chiffres à reprendre) plutôt que d’oasis. À Ghardaïa, on comptait 20000 habitants au début du siècle, il y en a 200.000 aujourd’hui.
Administrativement, en 1984, Ghardaïa est devenu un chef lieu ce qui a drainé un nombre élevé d’habitants et a provoqué une grave crise de logements.
Étudier l’habitat oasien aujourd’hui
Dans mon travail, je me suis appuyée sur des documents de la fin du XIXe-début XXe siècle, des photographies, des relevés architecturaux. J’ai constitué une base de données pour le ksar mais surtout pour la palmeraie, moins connue. Les relevés architecturaux partaient d’observations extérieures pour repérer la vocation de chaque habitation. Avec l’urbanisation, les choses sont devenues plus floues et il était important de déterminer quelle était la destination finale du lieu et de ne pas se contenter d’une description du bâti. L’espace domestique peut être un lieu de résistance culturelle. Par exemple, comment a évolué cette culture de la résidence double. Par exemple, au ksar, on retrouve toujours le patio mais il n’a plus la même fonction. On trouve encore le salon des femmes, le bassin ou le double accès mais ils viennent en réalité de la palmeraie, une hybridation de l’habitat.
Les nouveaux Ksour du M’Zab
Apprendre de la tradition et non reprendre la tradition
Kheir-Eddine Guerrouche : Dans les années 1990, cela a été dit, la croissance démographique a provoqué une grosse demande de logements qui a été insuffisamment honorée par l’État, en proie à une grave crise parallèle. Il y a eu quelques initiatives de compensation dans la vallée du M’Zab, à destination de familles à revenus moyens. La palmeraie et le ksar ont subi d’intenses pressions, si bien qu’il a fallu les protéger des extensions anarchiques.
La première expérience, appelée ensemble de Tinemirine, date des années 1995-2008 et compte 70 logements. Les bénéficiaires se sont constitués en association.
La seconde expérience, nommé « ensemble de Tefilelt », est beaucoup plus ambitieuse, avec 1000 logements bâtis sur 22 hectares, construits de 1997 à 2013. D’habitude, le prix du foncier est 20000 dinars/m² d’habitude, mais là on tombe à 8000 dinars/m² ! Le montage financier cumulait l’aide de l’État, de la collectivité locale et une contribution du bénéficiaire. Ce projet de développement durable a été salué à de nombreuses reprises : il a reçu le 3e prix d’Architecture en Algérie et a été salué à la Cop22 de Marrakech. Nous sommes sur des plateaux rocheux et difficiles. L’objectif était d’offrir un habitat confortable, qui répond aux besoins de la population locale dans un cadre vertueux, là où les conditions climatiques sont très dures. On s’inspire du patrimoine ksourien pour la construction : compacité du bâti, adaptation au relief, délimitation des hauteurs, étroitesse des rues, couleur et texture des enduits, introversion de l’habitat, etc.
À l’intérieur, il y a toujours dans le séjour des banquettes maçonnées mais la cuisine est par contre totalement contemporaine, tout comme la salle de bain. On a donc conservé ‘ce qui est convenable’ et on l’a adapté.
L’appropriation des habitants et la touiza
Il est interdit toute action qui nuirait aux voisins. Les bénéficiaires choisissent la parcelle et participent à la conception de la maison. Les ksour portent des valeurs sociales comme le travail et l’effort. Il fallait absolument qu’il y ait l’apport personnel du bénéficiaire, à côté de la solidarité et de la collégialité traditionnelle. La touiza renvoie à l’entraide communautaire : on aide l’individu à construire sa maison, chaque semaine. La touiza crée du lien et de la cohérence avant même que les habitants occupent leurs maisons. La remise des clefs est prétexte à des grandes réjouissances. C’est une architecture de l’humilité, de la modération, voire de la frugalité, incluse dans un idéal d’autogestion. Elle a déjà acquis une valeur patrimoniale et s’inscrit parfaitement dans une démarche de développement durable : recours à des matériaux locaux, recherche du confort thermique sans recours à la technologie, etc.
Les illustrations proviennent, sauf avis contraire, des documents aimablement transmis par les deux conférenciers.
Les Clionautes remercient vivement nos deux collègues pour leur partage.