Située en Haute-Vienne, la petite ville d’Eymoutiers est d’abord connue pour avoir accueilli le tournage d’ « un village français ». Elle l’est aussi pour son centre d’art contemporain, l’espace Rebeyrolle ouvert depuis 1995. Ce dernier accueille principalement les œuvres, imposantes, de l’artiste expressionniste et matiériste Paul Rebeyrolle (1926-2005), œuvres empreintes de colère et d’un appel à la révolte face aux dérives politiques. Régulièrement, des expositions temporaires se tiennent parallèlement à l’exposition permanente. Ce sont la plupart du temps des artistes au parcours singulier, tandis que les œuvres choisies proviennent de collections souvent privées et donc très peu, voire jamais exposées.
Cette année, c’est au tour de l’artiste d’origine islandaise Erró d’exposer une partie de ses œuvres sous le titre générique « la confusion du monde ».
Erró dans son atelier à Paris, 2017 Photo : D.R.
Né en 1932 à Olafsvik, Guðmundur Guðmundsson dit Erró, obtient son diplôme de professeur d’art en 1951. En 1952, il se rend en Norvège où il étudie à l’académie d’Oslo de nombreuses techniques dont la gravure, la fresque et la peinture. Sa première exposition se tient en 1955 à Florence (Italie), à la galleria Santa Trinità. Rattaché au courant de la figuration narrative dont il est l’un des fondateurs et maîtres, ses œuvres ont été exposées dans le monde : Venise, Tel-Aviv, New-York, Vienne …. Erró est installé à Paris depuis la fin des années 50.
Cité intégrée, 1959, Triptyque, Peinture glycérophtalique sur toile, 200 x 300 cm – Photo J-C. Dupuy
Collectionneur d’images et voyageur, son œuvre se caractérise par une exceptionnelle capacité à varier les styles graphiques et les influences, allant de Jérôme Boch au Pop Art d’Andy Wharol en passant par le maître, la référence, Picasso, et le traitement basé sur une réinterprétation des icônes variées comme Mao, Marylin ou le surfeur d’argent. Adepte des collages et des photomontages, Erró aboutit ainsi à la production de toiles magistrales qui rappellent et s’appuient sur la saturation des images dans laquelle nous visons pour mieux en dénoncer le caractère excessif et les dérives qui en résultent : consommation, érotisme marchand, propagande politique …. La présentation de l’exposition le souligne parfaitement : « On est cerné par les images, il est impossible de leur échapper. » La formule est d’Erró lui-même. Elle lui colle à la peau comme à celle de n’importe quel visiteur de son atelier. Dire que celui-ci en est plein à craquer est un euphémisme. Il en déborde. Il y en a partout, aux murs, au sol, sur les tables, dans les tiroirs, en pile, en vrac, etc. Des images imprimées, découpées, peintes, dessinées. L’atelier d’Erró ressemble à une caverne d’Ali Baba qui offre à voir une image du monde où tout se télescope, où tout est sens dessus dessous, où règne un joyeux et paradoxal capharnaüm organisé.
Depuis plus de soixante ans qu’il entasse, amasse, stocke, classe et exploite les images dont se repaît le monde moderne, Erró s’est non seulement constitué un réservoir comme un puits sans fond mais il s’en sert pour composer une œuvre fleuve qui draine la plupart des faits, des gestes et des acteurs qui font l’histoire. La petite comme la grande. Une œuvre unique en son genre, faite de références mythologiques, politiques, culturelles, médiatiques, etc. Si la bande dessinée dont elle s’inspire y est notamment considérée comme un des beaux-arts, la peinture s’y affirme, selon les propres mots de l’artiste, comme « un moyen de tenter de découvrir la signification d’un monde confus ».
Millet et les femmes fatales, 1995, Peinture glycérophtalique sur toile, 192 x 405 cm – Photo J-C. Dupuy
Une trentaine d’œuvres sont ici présentées allant des années 50 à nos jours. Le choix, qui fut certainement difficile au regard de la prolifique création d’Erró est très représentatif des centres d’intérêts et des styles que l’artiste a su utiliser pour véhiculer ses messages. On note surtout la présence de toiles appartenant à la série chinoise réalisée dans les années 70. Elles reprennent les images de propagande de la Révolution Culturelle chinoise qu’Erró fusionne avec leur contre-modèle comme un intérieur américain, ou une place italienne pour mieux critiquer et provoquer l’imagerie officielle du Grand Timonier.
1967. The Long Trip of Mao – Before Living Peking – Série Chinese Paintings (1974-1975)
Digigraphie sur toile, 2017, 100 x 68 cm – Photo J-C. Dupuy
Cette exposition rappelle qu’en dehors de Paris il existe bel et bien d’autres places consacrées à l’art contemporain qui méritent le détour.
Cécile Dunouhaud
———————————
Détails pratiques :
Erró « La confusion du monde »
Exposition du 3 juin au 25 novembre 2018
Commissaire de l’exposition : Philippe Piguet
Prix d’entrée donnant accès à la collection permanente et aux expositions temporaires :
Plein tarif: 6 €
Tarif réduit et groupes: 3 €
Gratuit pour les moins de 12 ans
Entrée gratuite le premier dimanche du mois (sauf septembre) et le week-end des journées du patrimoine
Site officiel : http://www.espace-rebeyrolle.com