Au mois de juin, lors des élections législatives, une polémique a animé la droite et la gauche françaises autour d’accusations réciproques d’alliance avec les extrêmes aboutissant à une mise en équivalence historique du fascisme et du communisme.
Cet affrontement s’est déroulé peu de temps après la publication française de l’ouvrage de Timothy Snyder Terres de sang, l’Europe entre Hitler et Staline, chez Gallimard: évocation savante de la convergence entre nazisme et stalinisme sur le front de l’Est pendant la seconde guerre mondiale.
Cependant ces deux moments de l’actualité politique et éditoriale n’ont pas crée de remous ou de controverses parmi la communauté historienne.
Est-ce à dire qu’aujourd’hui la comparaison entre communisme et nazisme ne provoque plus de réactions et que l’évocation du communisme n’est plus aussi « brûlante » que le disait Marc Lazar au début des années 2000?
Pour débattre de l’actualité de la comparaison entre fascisme et communisme, trois historiens et un homme politique ont donc été réunis.
Pour Pierre Laurent, premier secrétaire national du parti communiste français, ce thème de la comparaison est réapparu au cours des différentes campagnes électorales du printemps dernier autour de l’argument instrumentalisé par la droite d’un rapprochement idéologique entre communisme et extrême droite.
Selon lui, ce rapprochement historiographique servirait à dédouaner l’extrême droite de ses responsabilités et pour empêcher de proposer une alternative à son propre système.
Pour le dirigeant communiste, le thème de l’assimilation fascisme communisme a toujours été une arme idéologique apparue pendant la Guerre froide puis repris pendant les années 70 par les nouveaux philosophes. Enfin, il réapparaît au niveau de l’Union européenne, les dirigeants politiques de droite votant, pour disqualifier les forces d’extrême gauche une résolution de 2009 assimilant les deux extrêmes.
C’est une assimilation récusée par Pierre Laurent, qu’il considère comme étant surdéterminé politiquement. Pour lui, alors que les violences de masse étaient intentionnelles chez les fascistes et les nazis, les communistes faisaient valoir des revendications opposées.Le totalitarisme lui apparait donc comme un combat contre les idéaux communistes et les communistes même.
Pour Romain Ducoulombier, professeur associé à Sciences Po, auteur de Camarades aux éditions Perrin,
http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3238
la réponse au concept de totalitarisme a d’abord été formulée par les antifascistes. ( référence à Traverso).
Pour lui, le concept de totalitarisme est un détour pour l’historien, un raccourci pour un professeur de lycée. Ce concept par contre ne fait plus débat chez les professeurs, les élèves et les étudiants. Le concept de totalitarisme n’est pas un concept de guerre froide mais a été inventé en Italie dans les années 20 puis cette comparaison a été étendue par certains antifascistes au bolchevisme, comparant le totalitarisme à une religion civique.
De fait, il faut rappeler comme une évidence que comparaison n’est pas assimilation.
Pour Sophie Coeuré, auteur de Cousu de fil rouge. publié en 2003 au CNRS.
La question qu’invite à se poser l’actualité mémorielle du totalitarisme, c’est de se demander pourquoi c’est une mémoire froide?
La résolution de l’Union Européenne a été prise par de nouveaux entrants comme des Pays Baltes dont la mémoire de l’occupation soviétique est loin d’être froide.
Le débat historiographique sur la comparaison fascisme communisme constitue pour les historiens en une aide au travail sur les modes de pouvoir, l’organisation, ou bien encore la peur en politique. C’est donc un outil de réflexion, une réflexion éclairante menée sous l’angle mémoriel.
La Guerre froide a certes, par le biais de subventions américaines, financé le congrès pour la liberté de la culture ayant apporté le concept de totalitarisme en Europe.
Mais des distinctions entre les totalitarismes sont faites par Aron et un groupe comme socialisme et barbarie s’intéresse également au concept et aux éléments de comparaison qu’il apporte. Mais il ne faut pas oublier qu’à la même période le terme de fascisme est utilisé par le PC pour disqualifier en interne et à l’extérieur.
En tant qu’historien, Nicolas Werth, auteur de la route de la Kolyma, publiée en 2012 aux éditions Belin, salue les progrès historiographiques réalisés sur la question de la comparaison. Le déficit historique lié à la fermeture des archives de l’URSS a été comblé par l’ouverture des archives et des jalons de comparaison posés par Ian Kershaw et Moshe Lewin ou bien par Fitzpatrick et Gueyer dans leur ouvrage Beyond totalitarism.
Au delà du cadre figé par 6 points de convergences du totalitarisme, les histoires nationales diffèrent par leur longueur et dans leur réponse sociale. Le concept de totalitarisme est alors incontournable mais limité pour l’historien.
Cependant Nicolas Werth est en désaccord sur l´idée d’une violence non revendiquée des bolchéviques, et qu’elle serait au contraire revendiquée dès Lénine.
Pierre Laurent rappelle alors qu’il se sent héritier du socialisme. Il est en désaccord avec l’idée que les communistes du XXème siècle aient voulu appliquer le totalitarisme. Pour lui, le développement de l’URSS s’est fait contre l’idée communiste. L’engagement communiste a donc connu des trajectoires contradictoires entre ceux ayant garder un cap et les autres s’étant fourvoyés. Les communistes se retrouvent aujourd’hui dans leurs ambitions fondatrices du communisme du milieu du XIXème siècle de dépassement du capitalisme. Il ne nie pas les phénomènes totalitaires et les crimes de masse dans l’URSS mais il conteste l´usage politique du concept de totalitarisme amenant à dire que ces phénomènes ont la même nature et abouti au même résultat.
Romain Ducoulombier rappelle que l’ouverture des archives a apporté de la fraîcheur et détour face objet historique.Il constate alors que la mémoire du parti communiste français diffère par rapport aux lituaniens par exemple…Le PCF n’ a jamais pris le pouvoir et a entretenu une dépendance forte à Moscou, dans le domaine de la finance, la formation…
Quelle est alors la nature pour ce parti dépendant de Moscou mais aussi ouvertement républicain et nationaliste? Il a une forte singularité, tiré de ses origines guédistes, ses liens avec le syndicalisme révolutionnaire mais aussi de l’importance des transferts des pratiques bolchevistes en France. La nature du PCF n’est alors totalitaire ni social démocrate.
Le PCF a d’ailleurs une tradition jacobine qui fait de lui un parti hybride dès 1920 autour d’une modernisation autoritaire du mouvement ouvrier français. Cela passe par le recrutement autoritaire de cadres et un lien avec le syndicat. Il développe également l’importation de pratiques bolchéviques comme l’autocritique.
Sophie Coeuré rappelle qu’il y a longtemps eu une dichotomie entre l’histoire nationaliste et l’histoire internationaliste. On en est sorti pour aller vers une histoire des transferts, des circulations et des appropriations. On mène désormais des Travaux par exemple sur les militants PCF en visite à Moscou dans les années 1932 1933, séjour vécu comme une utopie et avec un retour à analyser une fois rentré dans sa banlieue rouge.
Il y a en fait plusieurs PCF français dont un travaillé par le léninisme dans ses pratiques comme celles d’exclusion.L’Europe antifasciste qui s’est levée pendant la guerre d’Espagne est brisée dans les années 50 par les procès Staliniens. On peut donc se demander quel communisme est revendiqué par le PCF.
Pour Pierre Laurent, le PCF est sorti du stalinisme et d’un communisme profondément soviétisé. Il revendique l’héritage d’un mouvement issu de l’histoire du communisme et en même temps bafoué et brisé. Pour lui, les communistes sont aujourd’hui lucides face à l’utilité de l’ouverture des archives et aux informations ainsi données aux historiens.
Le débat se conclut avec une courte intervention de Nicolas Werth rappelant que l’hybridation est une réalité du communisme en France. Aujourd’hui en Russie, le capitalisme sauvage succède à l’URSS soviétique et les idéaux communistes sont à y réinventer. Une réflexion est à mener après l’expérience du communisme réel invitant à se demander quelles leçons de l’histoire tirer?