La domination masculine est-elle un fait quasi universel ? Plus de 80 % des groupes humains sont patrilinéaires et à fort pouvoir masculin. Le Néolithique, qui voit l’émergence de l’agriculture et de l’élevage, est sans doute une des périodes parmi les plus importantes pour comprendre comment et pourquoi nos sociétés sont encore aujourd’hui ainsi configurées.
Intervenants : Anne Augereau, Protohistorienne, archéologue au CNRS, autrice de Femmes néolithiques (CNRS Editions, 2021) et Thomas Cirotteau, réalisateur, Eric Pincas, rédacteur en chef d’Historia, en l’absence de Jennifer Kerner enseignante, chercheuse en préhistoire, tous trois auteurs de Lady Sapiens (Les Arènes, 2021)
Modérateurs : Guillaume Malaurie, directeur éditorial adjoint de Sophia Publications et auteur de deux récits uchroniques.
A la recherche de la femme préhistorique du paléolithique au néolithique
Les préhistoriens du XIXe siècle ont été fortement influencés, dans leur description des hommes préhistoriques, par la situation des femmes dans leur société. C’est cette représentation, encore très présente, qui est à réviser.
Anne Augereau montre la situation dans la culture du Rubané qu‘elle étudie. Les hommes du néolithique se sont déplacés depuis le Proche-Orient par petits groupes de proche en proche. Ils sont caractérisés par une souche génétique homogène, ils se sont peu mélangés avec les populations déjà présentes sur le territoire. Ils ont apporté avec eux leurs outils, leurs techniques et leurs animaux domestiqués mais aussi la manière d’enterrer les morts.
Les études de genre ont permis de revisiter les relations hommes-femmes.
Thomas Cirotteau et Eric Pincas reprennent la même idée des idées reçues sur les femmes préhistoriques issues du XIXe siècle. Une vision qui doit aussi aux hommes d’Eglise comme l’abbé Breuil qui font coïncider la place des femmes préhistoriques et la Bible.
Dans la littérature, les représentations dans la BD ou le cinéma on retrouve assez souvent cette femme entre la séductrice, svelte sur le modèle des statues grecques (idéal féminin) et la protectrice, objet de la convoitise des hommes.
Est évoqué le cas de l’« homme de menton »exhumé en 1872 par Emile Rivière dans la grotte du Cavillon (grottes de Grimaldi) devenu, après une étude minutieuse des os du bassin, confirmée par l’ADN , la « Dame de Cavillon ».
En effet ces os robustes avaient incité les préhistoriens à considérer ce squelette comme ne pouvant que celui d’un grand chasseur en rien comparable aux « Venus ».
L’ADN qu’elle était grande athlétique, noire de peau, aux yeux bleus.
En effet il semble que le blanchiment de la peau soit lié à la consommation des céréales, d’où un déficit en vitamine D, ce serait une adaptation pour mieux capter le soleil.
Anne Augereau complète : au néolithique l’alimentation féminine est plus végétale que celle des hommes plus carnée.
Au Rubané il y a une différence nette, notamment dans les sépultures entre les « hommes à herminette » qui sont issus du territoire, du groupe et d’autres hommes et des femmes qui peuvent être d’une origine plus variée. En découle l’hypothèse, encore discutée, d’un déplacement des femmes (mariage patrilocal). On a trouvé des fosses de massacre, des morts par coup d’herminette, de vieilles femmes, des enfants, des hommes mais peu de femmes en âge de procréer, qui semble, pour la fin du Rubané, montrer des raids de rapt par les vainqueurs.
Quelle est la place des nouvelles techniques d’investigation
Les études aujourd’hui ne peuvent se passer de l’ADN mais on étudie aussi la trace de la cochlée qui est différente chez les femmes et chez les hommes.
L’analyse chimique des os permet de déterminer si l’individu est né au même endroit que sa sépulture ou s’il est un migrant. Mais elle indique aussi, selon la composition en azote et en carbone si sa diète alimentaire était plutôt carnée ou végétale.
La paléopathologie permet d’avoir des informations sur la déformation des os liée à tel ou tel mouvement (lancer au propulseur, maniement de l’arc…) que ce soit au néolithique ou au paléolithique.
Pour Thomas Cirotteau et Eric Pincas cela permet de montrer que les femmes du paléolithique participaient à la chasse même si elles n’abattaient pas le gros gibier (rabatteuses, dépeçage, traitement des peaux) comme sur le site de Pincevent. Une tombe, au Pérou semble montrer même une participation plus active. Au paléolithique pas de situation unique.
L’étude de l’émail dentaire permet de connaître l’âge du sevrage des jeunes enfants, vers 3-4 ans. Cet sevrage est de plus en plus précoce vers le néolithique.
L’idée de la femme cueilleuse est à réviser, pas d’activité exclusive, la cueillette représentait 70 % de la ressource alimentaire au paléolithique.
Pour le néolithique, Anne Augereau montre une alimentation genrée, plus végétale pour les femmes. Certains hommes continuent à chasser à côté de l’apport céréales-produits de l’élevage ? Peut-être les produits de la chasse étaient-ils réservés aux chasseurs et consommés hors du village, La chasse étant un marqueur de prestige social. Toutefois ces considérations sur la culture du Rubané sont à nuancer pour le Bassin parisien. Le modèle hiérarchique est plus net en Trans-Danubie et en Alsace. Dans le Bassin parisien on trouve des sépultures de femmes très riches (bijoux, ceinture), émergence de la femme en grand apparat (sépulture de Cys-la-Commune).
Pour le paléolithique, se pose la question : quand a-t-on perdu nos poils ? Plusieurs recherchent ont conclu un lien avec le passage à la bipédie (courser = sudation= homme glabre). On étudie aussi les insectes du corps (poux, morpions) qui ont évolué en même temps que les hommes.
Autre cliché : la représentation plantureuse des femmes
Ces représentations de Venus plantureuses, même s’il en existe de fines, paraissent en contradiction avec un mode de vie nomade. Plusieurs hypothèses coexistent : représentation symbolique de lé fécondité, représentation de période riche en nourriture (suralimentation périodique) / période de disette, représentation d’un pouvoir féminin.
On en rencontre beaucoup pour la période du , après elles sont plus filiformes. Elles sont majoritairement dans visage avec une sur-représentation du sexe. Sur les parois du roc aux sorciers, (Vienne)
on voit 3 femmes aux trois âges de la vie et une représentation de 2 bouquetins en rut, une femelle et son petit. Les hommes du paléolithique faisaient une association entre l’acte sexuel et la procréation.
Quand l’enfant humain naît il a besoin d’un suivi, d’une éducation longue, la femme paléolithique ne devait mettre au monde que 4 à 5 enfants. Pour traiter les informations archéologiques il y a désormais une équipe pluridisciplinaire qui associe les sciences dures et les sciences humaines : utilisation de l’éthologie, comparaison avec l’étude des primates. L’éducation est faite par la mère mais aussi par le groupe. L’apparition des grands-mères semble remonter à 2 millions d’années.
L’ethno-archéologie est aussi employée comme dans le cas des études de pas dans les grottes ornées pour lesquelles on a fait appel à des pisteurs namibiens.
Pour Anne Augereau, au néolithique les femmes ont 8 à 10 enfants, la population augmente ? Les femmes sont travailleuses (l’étude des squelettes). L’enfant se définit par rapport à ses parents biologiques mais aussi une parenté sociale et culturelle. Les liens de fraternité, les liens avec les oncles ou les tantes n’existent que chez les humains. La révolution silencieuse des grands-mères contribuent à l’allongement de la vie.
Femmes préhistoriques et artisanat
Au paléolithique, leur rôle dans le tressage est maintenant certain même si on n’a peu de traces archéologiques (quelques traces en Tchéquie pour le paléolithique).
Les femmes travaillent les matières tendres soit 95 % des objets fabriqués même s’il reste essentiellement des pierres taillées (5 % des objets), plutôt le travail des hommes.
An néolithique, dans les sépultures féminines on trouve des objets plus familiers que dans les tombes des hommes à herminette. Les femmes travaillaient les peaux, les fibres végétales, elles assuraient la mouture. Les hommes travaillaient les matières dures : os, pierre.
Une division de travail ? Les études sont à poursuivre : qui fabriquait les poteries ?
La société néolithique est patriarcale, la domination masculine un invariant comme l’a montré Françoise Héritier. Dans la culture du Rubané il y a des hommes dominants : les hommes à herminette enterrés au centre des sépultures collectives mais aussi des hommes dominés.
Au paléolithique on peut difficilement parler de hiérarchisation, un modèle matriarcale est peu crédible. L’absence de donnée n’est pas une preuve. On voit des mouvements d’individus d’un groupe vers un autre, des femmes comme des hommes. Notre travail vise à rendre une existence non caricaturale à la femme préhistorique.
Questions
Anne Augereau : Vous décrivez une femme libre, qui décide de ses partenaires, n’y a-t-il pas un risque de passer d’un stéréotype à un autre ?
Pour Thomas Cirotteau et Eric Pincas, Lady Sapiens est un portrait mosaïque qui ouvre le champ des possibles. Elle pouvait être chacune de ces femmes présentées dans le livre et dans le film : chasseresse, artisane, femme de pouvoir, mère de famille, artiste. L’idée n’est pas d’en faire une working girl.
Il y aurait sans doute beaucoup à apprendre d’une étude sur le mésolithique quand apparaît la distinction entre tâches féminines et masculines. La femme paléolithique est une athlète musclée mais sa masse corporelle et la stature diminue entre le mésolithique et le Rubané.
L’archéologie du genre est encore peu développé en France. Elle apparaît dès les années 1970 aux États-Unis, puis en Europe du Nord. En France l’archéologie préventive très développée apporte beaucoup de matériaux, de données qui restent à exploiter.
Pour compléter ce dossier « Femmes préhistoriques : aux origines du genre » :
La bande-annonce du jeu-vidéo Lady Sapiens
À la fois expérience réalité virtuelle (VR), documentaire réalisé par Thomas Cirotteau et modules pour lumni.fr, « LADY SAPIENS » est un projet global et pédagogique qui revisite et déconstruit l’imaginaire collectif sur la place de la femme dans la préhistoire.
Sur le site Hominidés : une critique virulente signée Anne Augereau
Voir aussi la conférence L’homme préhistorique est aussi une femme de Marylène Patou-Mathis, RVH – Conférence – Carte blanche aux éditions Allary – Chateau de Blois , – Dimanche 11 octobre 2020
Le livre de Claudine Cohen : Femmes de la préhistoire, publié chez Belin en, 2016
celui d’Eric Pincas : La Préhistoire – Vérités et légendes, Editions Perrin ; 2020
Un film présenté aux Rencontres archéologiques de la Narbonnaise 2018 : « Looking for Sapiens »
Retrouvez également l’ensemble des retours de Blois 2021 au lien suivant