Festival International de Géographie. Samedi 4 Octobre 2014 10 h 30, Bar Thiers
Game of Thrones : royaume désuni, Shakespeare ressuscité » par Bertrand Pleven, ESPE (ex IUFM) de Paris.
La série télévisée GOT : Games of Thrones est un objet de culture populaire, le cinéma (ou la fiction télévisuelle) peuvent être liés à la géographie et constituent une grille de lecture des univers filmiques. La question posée par Bertrand Pleven lors de ce café géographique était la suivante :
– peut-on habiter une fiction Bertrand Pleven nous proposa un jeu de rôle autour de l’univers fictionnel de la série télévisée.
Il nous a invité à participer à un jeu géographique basé sur l’espace fictionnel ou encore sur « l’habiter fictionnel ».
Un café géographique à succès : les fans étaient présents
Ce samedi matin dans le bar Thiers de St Dié-des-Vosges se sont retrouvés outre les fans de la série GOT, des géographes, des étudiants ou des professeurs curieux de comprendre le lien entre « habiter le monde et habiter une fiction télévisuelle ».
Bertrand Pleven nous entraina autour d’une réflexion tournée sur l’imaginaire et la construction de l’espace géographique, cet espace géographique fictionnel produit par le film. Il insista sur le fait que cette série de télévision, Game of Thrones est avant tout un objet audio, une série audio qui doit être autant entendue que vue .
En ce début de café géographique, un court extrait de la série comportant le fameux générique déjà analysé par Bertrand Pleven pour le quotidien Libération (1), ainsi que les débuts de la saison 1 contribua à nous mettre dans l’ambiance. Cet extrait vidéo permis de présenter les principaux personnages et de découvrir les paysages de la série. Le royaume des Sept Couronnes occupe la majeure partie du continent Westeros, sa frontière est composée par le mur, une imposante barrière de glace érigée par les anciens et défendue par les gardiens de la nuit. Le royaume est un système de type féodal avec des familles alliées ou rivales. Chaque région est administrée par un gouverneur local siégeant dans un ville fortifiée.
Le jeu de rôle :
Les participants au café géographique furent alors invités à présenter un de leurs personnages favoris et à le replacer dans un contexte où une analyse géographique.
Julien, professeur d’histoire-géographie se lança le premier et au micro présenta le personnage de Bran Stark faisant le lien entre l’espace vécu de l’enfant : son village, sa famille son univers familier et l’espace extérieur, l’espace de l’errance : l’espace perçu comme lieu du danger. Bran Stark est le deuxième fils et quatrième enfant d’Eddard et Catelyn Stark, il a perdu l’usage des ses jambes à la suite d’une chute. Sa condition le force à se déplacer sur le dos de Hodor, mais il découvre peu à peu qu’il parvient à contrôler l’esprit de certains animaux, devenant un « Change-peau » (Warg), ainsi que de quelques humains, faisant de lui un être exceptionnel. La série permis également de faire le parallèle avec l’histoire et de se replacer dans un univers médiéval privilégié par « l’Heroic Fantasy ».
Le personnage de Edd Stark
Puis Adrien étudiant en géographie choisit pour personnage Eddard Stark (ou Ned Stark), le chef de famille. Il regarde en permanence vers le Nord. L’anxiété du Nord habite la série. C’est le pays du froid de la neige et de la glace ; là où se trouve la frontière avec le mur. Ned Strark et ses proches vivent sous la menace permanente de l’hiver « Winter is coming »). Ned Stark est l’homme de la limite, de la marche qui n’hésite pas à faire appliquer de façon impitoyable la loi concernant les déserteurs de la « garde de nuit » à qui l’on a confié cette frontière si redoutée du Nord. L’extrait diffusé présentait un passage avec un loup solitaire et ses louveteaux. La référence à l’hostilité envers la nature, la confrontation avec la « wilderness » fut soulignée par Hugo (étudiant en hypokhâgne) pour qui le loup constitue une menace pour le royaume. Bertrand Pleven fit le parallèle avec les paysages du western avec l’opposition analysée dans la revue Hérodote (M Foucher) où les plateaux habités par les Indiens sauvages dominaient la plaine où les diligences des pionniers sont mises en danger.
Jon Snow face à l’altérité :
Pour ma part je choisis Jon Snow un autre personnage errant de la série. Jon Snow est le bâtard de la famille Stark rejeté qui trouvera un sens à sa vie en s’engageant pour défendre les royaumes du Nord dans la garde de la nuit le long du mur de glace dirigée par les anciens.
L’univers de Jon Snow est celui de la confrontation avec l’autre au-delà de la frontière (les « marcheurs blancs » aussi appelés les « autres » et les « sauvageons », peuple guerrier insoumis qui va chercher abri au sud du mur). Jon découvrira les barbares et découvrira également l’amour (avec Ygritte) son passage en « terra incognita » (dans les glaciers islandais) l’amènera à s’interroger sur l’altérité.
Arya Stark et les personnages féminins : réflexion sur le genre en géographie
Irène étudiante en hypokhâgne choisie de nous parler d’Arya Stark, de la présence des femmes dans la série de l’espace et du genre. Arya Stark est la plus jeune fille et le troisième enfant d’Eddard et Catelyn Stark. A la fois femme et enfant, à la fois garçon et fille plus habile au tir à l’arc qu’à la broderie, Arya se situe dans un espace de l’entre deux du Royaume du Nord recherchant toujours ses repères géographiques car elle ignore où elle va mais elle sait d’où elle vient .
La géographie des représentations :
Ces quelques personnages ainsi présentés sans dévoiler l’intrigue de la série pour les novices ont permis de réfléchir à la géographie des représentations à l’appréhension des différents espaces, des différentes échelles. Les figures des personnages sont à la recherche de leur place et nous renvoient à l’idée de mobilités, de migrations. Le profil de spatialité est différent en fonction des personnages ou des lieux. GOT est un laboratoire géographique épistémologique, la série peut devenir un objet didactique qui interroge la géographie scientifique.
Cersei Lannister la femme qui est prête à tout pour prendre le pouvoir à Port Real, la ville au cœur des royaumes. Le territoire fait la série. Le rapport espace et personnages dramatisés dans la série l’espace est prométhéen. GOT nous propose deux types de personnages :
– ceux qui sont ancrés dans un lieu et ceux qui sont mobiles, certains sont en sécurité d’autres en danger. Certains périront, d’autres survivront.
– Ceux qui bougent sont tiraillés entre rejoindre les leurs ou vivre éloignés mais en sécurité le temps d’une guerre. Dans la série la distance est vaincue par le corbeau, animal qui transmet les messages, c’est un médiateur de l’espace. Le corbeau sorte de pigeon voyageur est comme la métaphore de l’Internet aujourd’hui.
Le dispositif scénique de la série
La série peut être analysée dans sa dimension formelle par son dispositif plus visuel iconographique (2). La carte est importante pour comprendre le territoire, les mobilités de chacun. La série présente des plans larges du paysage merveilleux, sublime ou angoissant chacun s’inscrit dans un lieu. GOT c’est le temps long et l’espace profond affirme Bertrand Pleven, il existe une continuité visuelle entre les paysages et les lieux. L’espace n’est pas un simple décor de théâtre. Les dispositifs scéniques sont autant visuels que sonores. L’image (le paysage et ses couleurs) comme le son (musique ou bruitage) permettent de comprendre ces différences. L’espace de la série est un espace diégétique (qui relève de la narration). Les lieux de tournages sont des espaces scénographiques modifiés par des images de synthèse.
Des hauts lieux
Une carrière en Irlande devient un haut lieu de la série, transformée en sortie du tunnel au pied du mur. Le tournage est l’objet d’une construction du monde à partir de la terre et des identités paysagères : la nordicité, l’orientalisme la celtitude, sont autant de figures du territoire que les auteurs de la série ont retrouvé en Islande, en Irlande, au Maroc, à Malte, ou en Croatie. Le géographe prend un malin plaisir à décoder ces lieux de tournage par delà les effets spéciaux qui transforment et colorent ces vrais paysages.
Bertrand Pleven nous a projeté une publicité pour le tourisme irlandais sur les terres de Games of Thrones. D’ailleurs à chaque lieu est associée une couleur.
J’ai fait remarquer que la Croatie offrait des visites sur les traces de GOT, la saison 5 se prépare en ce moment à Dubrovnik.
Le blanc domine dans les terres du Nord, le vert de l’Irlande du Nord dans les environs de Winterfell, le rouge pour Port Real la capitale du royaume des Sept Couronnes et le jaune pour Essos, le continent de l’Est avec ses nomades Dothrakis et Daenerys Targaryen, la mère des dragons.
Une relecture du monde au prisme de la fiction télévisuelle :
La série propose ainsi une relecture du monde (3) par l’espace scénographique elle nous parle du réel par un travail d’interprétation. Pouvons-nous demander jusqu’à quel point ce monde parallèle au nôtre existe t-il ? Quel sens géographique est porté par la narration ? La frontière du Nord franchie par les barbares est-elle l’équivalent de la frontière Etats-Unis Mexique ?
Habiter le monde :
Ces échanges entre Bertrand Pleven et le public nous ont permis de comprendre que « habiter le monde » pouvait être appréhendé par la fiction télévisuelle. Du point de vue didactique l’univers familier des séries télévisées américaines parle aux élèves, il reste au professeur à donner des repères scientifiques épistémologiques pour une lecture géographique de ces mondes imaginaires. Sans le savoir ce café géographique annonçait le sujet du 26e festival de géographie de l’an prochain. Le Thème de l’édition 2015 du Festival International de Géographie sera : Les Territoires de l’Imaginaire, Utopie, Représentation et Prospective.
(1) «Game of Thrones», le générique monde
Bertrand PLEVEN Géographe (équipe Géographie-Cités) 3 octobre 2013
(2 ) L’analyse de la série par Bertrand Pleven : «Game of Thrones a une géographie réactionnaire»
Florent LATRIVE et Fanny LESBROS 3 octobre 2013
(3)Le dossier spécial GOT de Courrier International
François Arnal Professeur de Géographie en Lettres supérieures au Lycée Claude Fauriel de St Etienne (42) @arnalgeo