Il fallait savoir jouer des coudes pour réussir à trouver une place pour assister à la conversation croisée de deux philosophes et d’un géographe ! La distance à laquelle nous avons réussi à réaliser des photographies en atteste ! Mais, nous y étions !
Difficile aussi de rendre compte de ce symposium philosophique tant il s’est dit de choses en une heure et demie.
Enthousiaste, Thierry Paquot estime qu’habiter est le plus beau verbe de la langue française (même si c’est un mot allemand…). Heidegger ne dit-il pas dans Etre et Temps (1927) que « la langue est l’habitat de l’être ». Habiter n’a rien à voir avec résider, loger, « c’est être présent au monde et à autrui ». Habiter est la question centrale de la philosophie occidentale qui permet de chercher l’essence des choses. Habiter, c’est exister ! C’est un verbe à dimension existentielle.
Michel Lussault rappelle qu’il aurait été impensable d’inscrire cette thématique au FIG lors de sa création, il y a 25 ans. Alors, habiter renvoyait à l’habitat. Il suffit de se rappeler de la lecture de René Lebeau (Les grands types de structures agraires dans le monde, 1969) et les descriptions de granges et autres maisons rurales accompagnées de schémas. C’est Thierry Paquot qui a permis aux Sciences Sociales de se réapproprier l’habitat. Lussault s’intéresse moins à l’habitat qu’à l’habiter, c’est à dire exister, spatialiser son existence, organiser son espace de vie, sans en faire une question purement fonctionnelle.
Chris Younes pense que la diversité d’occuper et d’habiter la nature font qu’il existe bien une résistance à l’uniformisation. Elle insiste aussi sur l’idée qu’il faut partager la terre dans le cadre d’une cohabitation. L’Homme a deux effets sur la terre. Dans le cadre de la nouvelle ère (anthropocène), il interroge les liens entre nature et culture. De même, dans sa dimension existentielle, le lien que l’Homme entretient avec la planète est à replacer dans une échelle temporelle : Etre sur terre comme mortel, avoir un espace-temps très court à vivre.
Michel Lussault considère qu’il est indispensable d’analyser cette cohabitation des hommes sur la planète à plusieurs échelles. Ainsi, Tim Ingold, anthropologue britannique, analyse le micro-habitat qu’est la tente traditionnelle des Indiens d’Amérique. Chris Younes insiste sur l’importance du corps. Celui-ci a besoin d’architecture, qui renvoie à une sensorialité. Pour Thierry Paquot, il faut garder à l’esprit que beaucoup d’espaces sont inhabitables sur la Terre, telles les gated communities ou les centres commerciaux. Pour lui, « faire Monde, c’est être dans l’ouvert ». Dans la forêt des villes, la solution pour respirer (qui veut dire étymologiquement se placer hors), c’est d’en sortir. Cette idée qu’il puisse exister des espaces inhabitables laisse perplexe Michel Lussault. A partir du moment où les gens habitent, c’est habitable. Et d’ailleurs, convoquant les travaux de Boris Beaude, il le rejoint en disant qu’on habite le numérique. L’habitation contemporaine du monde est très différente de celle que l’on a connu depuis la fin de la Révolution industrielle.
Puis nos trois amis se sont attachés à la vaste question de l’Urbain. Une occasion de rappeler l’existence de leurs revues : L’esprit des villes et Tous Urbains L’urbanisation est planétaire avec des « brouillons de ville » (Paquot). Aujourd’hui, la ville n’est formidable que pour une minorité (Lussault). Pour faire ville, il faut ré-imaginer la ville dans son rapport au rural. L’usage du substantif Urbain (et non de l’adjectif) a été imposé pour la première fois par Françoise Choay. Michel Lussault refuse d’utiliser le mot de ville, sauf pour désigner une réalité sociale ancienne. Celui qui postule que « Nous sommes tous urbains » confesse mettre 50 c dans une cagnotte à chaque fois qu’il utilise le mot ville. Le récit de la naissance de « Tous urbains » est l’occasion pour ce pince-sans-rire de rappeler que cette revue est apparue comme une nécessité après qu’Urbanisme soit devenue une revue technique financée par la Caisse des dépôts. Il était alors indispensable de disposer d’un support qui pense cette tension entre urbain et ville (voir à ce propos le numéro 6 de « Tous urbains »). Il n’y a pas de géographie qui ne soit pas politique. C’est co-substantiel à celle-ci puisque la géographie pose la question du vivre ensemble. Thierry Paquot en profite aussi pour remettre en cause ce vivre-ensemble, comparant les aires de jeux pour enfants à des « parkings à enfants ». Une belle occasion de nous apprendre aussi qu’il prépare une exposition sur la ville récréative dans la lignée de son dernier livre !
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes