Un journaliste entouré du romancier qui monte (Aurélien Bellanger, auteur de L’aménagement du territoire, 2014) et d’un géographe qui fait beaucoup parler de lui avec ses cartogrammes électoraux (Jacques Lévy) : voilà le plateau qui s’offrait à nous en ce samedi matin dans la cathédrale de Saint-Dié des Vosges.
Au cœur des échanges : le périurbain, « ce paysage peu différent de la campagne » comme aime à le présenter Jacques Lévy et pour lequel, « il faut aller dans l’invisible pour en comprendre l’essence. » Si la définition basée sur les mobilités retenue par l’INSEE lui semble intéressante, il a de quoi « croiser le fer » avec cette institution, surtout depuis le nouveau découpage de 2010. « L’INSEE a inventé un système bizarre avec ses grandes aires urbaines, ses moyennes et petites aires – tout court – . Car l’INSEE ne veut pas reconnaître que 95% de la population est urbaine. » La France et la Suisse sont des pays où l’idéologie agrarienne empêche de penser que le périurbain soit de l’urbain.
La question du vote FN lui a été posée. Il a rappelé, en projetant le cartogramme bleu et brun paru dans Le Monde, que dès 1996, il a détecté ce phénomène, au moment où l’électorat du FN cessait d’être un électorat de la droite radicalisée. Malgré tout, il met en garde contre les caricatures qui ont cours sur le périurbain et est gêné par le fait que Christophe Guilluy assimile espace périphérique et catégories sociales. La récupération des idées de Guilluy par le FN n’a donc rien d’étonnant pour lui.
Autour de la table, Aurélien Bellanger est présenté par le journaliste comme le jeune représentant de la génération néo-balzacienne, « vague de fond » de reconquête du territoire par les écrivains (tels que Bailly ou Kauffmann, Rollin, Houellebecq), vague de fond qualifiée de « vaguelette » par Jacques Lévy, estimant que ces auteurs ne sont rien par rapport à Georges Pérec. Toutefois, il reconnaît à Aurélien Bellanger d’avoir fourni avec son ouvrage un manuel aux apprentis géographes même s’il préfère conseiller à ses étudiants de lire Les villes invisibles d’Italo Calvino. Après ces « amabilités », la parole est donnée au romancier qui explique pourquoi le périurbain lui parle. Né en région parisienne, aux lisières de la ville nouvelle d’Evry, dans un complexe pavillonnaire situé à proximité du premier IKEA de France, il a ressenti « le sublime de ce paysage » de lisières entre ville et champs. Il apprécie « l’honnêteté de ce paysage » et met en avant le paradoxe que la France soit gouvernée par le VIIème arrondissement, par une élite vivant dans des bâtiments ayant plus de deux siècles alors que les élites des années 1960 ne convoitaient que des appartements modernes. « Le sublime du paysage » parle aussi à Jacques Lévy qui a grandi à Fontenay-aux-Roses et allait enfant en vélo à l’aéroport d’Orly dont il appréciait la « beauté artificielle ». « Les choix d’habiter ont toujours une composante esthétique. Il ne faut surtout pas dire aux gens : vous ne savez pas ce qui est beau. »
L’échange s’achève sur l’organisation générale du territoire. Bellanger comme Lévy ne rejoignent pas Emmanuel Todd qui voit dans le mouvement des bonnets rouges le réveil des identités régionales, « le premier domino ». Pour Todd, la partie de la France qui n’a pas connu la révolution industrielle serait celle qui se porte bien aujourd’hui. Mais, il ne faut pas oublier que Todd a une vision culturaliste de la France, il croit, en bon structuraliste, que tout est immuable alors que pour eux deux, les régions au sein des territoires sont de moins en moins importantes. Lévy croit que ce qui compte le plus, c’est la taille de la ville où l’on habite. La majorité du territoire français a une productivité inférieure à l’UE. Cela favorise l’assistanat géographique et cela enfonce les zones en difficulté. Beaucoup de personnes sont persuadées qu’il faut qu’il y ait une administration (un robinet) pour qu’il y ait de l’argent. Cette vision est dépassée au grand dam d’un membre vosgien de l’assistance qui fait entendre sa voix du fond de la cathédrale ! On l’aura compris, Jacques Lévy n’était pas là pour dire ce que chacun avait envie d’entendre mais présenter sa vision des lisières du monde urbain.
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes