Par Caroline LEININGER-FREZAL, maître de conférences, Université Paris-Diderot et Pascal CLERC, maître de conférences, Université Lyon 1
Après une présentation qui se voulait brève, il ressort que Caroline LEININGER-FREZAL est davantage orientée « didactique » et Pascal CLERC « épistémologie ». Une présentation succincte car, d’emblée le ton était donné. Il s’agissait de faire réagir ce public venu nombreux à la question : La géo au collège fait-elle toujours rêver ? A-t-elle d’ailleurs fait rêver un jour pouvait-on entendre murmurer ? Pourquoi devrait-elle faire rêver ? Susurrait quelqu’un à l’oreille de son voisin. Le café géographique n’était pas encore « ouvert » que l’on pouvait déjà palper l’intérêt pour cette question. Car, dans le public se côtoyaient certes des professionnels de l’éducation (enseignants, Inspecteurs…) mais aussi des étudiants, des élèves et des adultes qui tous, un jour, ont subi ou apprécié la géographie scolaire.
Devant la fébrilité qui commençait à gagner cet espace destiné, en temps normal comme aujourd’hui, aux rencontres, aux échanges nos deux universitaires ont choisi de placer la barre haute. « La géo scolaire doit-elle participer à l’enchantement ou au désenchantement du monde ? » Ont-ils lancé, non sans une pointe de provocation. En référence aux manuels scolaires, ils ont relevé une succession de crises environnementales, de catastrophes fortement teintées d’un certain fatalisme qui pouvait inviter « à se jeter à la rivière ». Cet état de fait pouvait être contre productif devait-on entendre. En revanche un projet davantage axé sur la citoyenneté aurait pour vocation d’être plus positif.
Dès lors l’ombre même d’un quelconque enchantement avait disparu. Certains l’ont alors cherché dans les manuels d’autrefois. Ils avaient pris appui sur l’exemple de l’étude de l’Afrique. Ils avançaient que l’on pouvait y découvrir des peuples vivant en totale harmonie avec nature. D’autres réagirent en disant que ce n’était qu’une « espèce d’idéalisation ». Certes, cela se confirme avec l’étude des régions polaires. On y présente des Inuit vivant de chasse et de pêche, parfaitement adaptés au climat. Leur organisation sociale est même présentée comme un réseau de solidarité. Oui, peut-être. Mais c’est occulté volontairement une réalité plus cruelle, faite d’alcool et de drogues notamment. D’où la question : doit-on / peut-on présenter cette réalité à des collégiens ? Et pour élargir la question : doit-on rester dans l’enchantement ou doit-on désenchanter le monde au risque de désespérer ?
Répondre à cette question, c’est avant tout restituer l’objectif scolaire. Ce dernier vise bien à former des citoyens responsables, capables de comprendre et donc d’agir. Dès lors, il faudrait qu’ils soient conscients des problèmes sociétaux et environnementaux. C’est la raison pour laquelle on note un discours particulièrement présent en 4e et 3e du collège sur le développement durable et la mondialisation. Mais par là même, l’enseignement de la géographie contribue à une vision un peu fataliste des choses. Trop peut-être. Car, au lycée, les élèves disent souvent « ras le bol du développement durable. On ne peut rien faire pour sauver le monde, cela nous dépasse ».
Fatalisme ! Le mot est lancé. Mais d’où vient ce fatalisme ? De la répétition des mêmes notions à plusieurs niveaux scolaires différents ? Du déjà vu en quelque sorte ? Peut-être. Mais l’hypothèse du glissement de la géographie physique vers les SVT est aussi avancé. A titre d’exemple les cyclones, les séismes sont présentés comme des fatalités en géographie. L’enseignant ne dispose pas du créneau horaire pour expliquer scientifiquement ces phénomènes. Ils sont traités par le professeur de SVT. Oui, mais quand ? Avant, après, en déphasage total ? En fait, la géographie ne prend en compte que la catastrophe elle-même et ses conséquences directes. Et il en va de même pour la mondialisation. C’est toujours la fatalité qui prime. Mais pour cette dernière, l’origine serait plutôt dans les discours journalistique qui servent de trame aux programmes de géographie.
Alors enchantement ou désenchantement du monde ? Ce seraient les programmes scolaires qui donne le « la » de la partition que doivent jouer les enseignants. Et là, on y découvre une forme de censure notamment sur les sujets qui « fâchent » comme les conflits. Une analyse épistémologique des conflits dans les programmes scolaires fait apparaitre une « épistémologie de l’autre et de l’ailleurs ». Le conflit est présenté comme extérieur à la société. Il touche l’environnement. On est donc sur une forme d’extériorité. Il en est de même pour l’enseignement de l’aménagement du territoire. En se penchant sur la question on découvre que, dans la forme, tout peut se résumer à : « il était une fois….. et puis ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». L’étude de l’espace proche en 6e ne fait d’ailleurs pas exception. Il est étudié en partant des représentations d’élèves. Ne sommes nous pas, dès lors, dans une forme d’enchantement du monde ? Mais l’enchantement ne serrait-il pas aussi lié aux supports utilisés par les enseignants ?
En effet, on peut toujours introduire la notion de la mondialisation en partant du placard de la cuisine ou de l’armoire à vêtements. On peut écrire au tableau les noms des pays inscrits sur les étiquettes des vêtements. Pourquoi pas ? C’est plutôt une chance pour la géographie. Presque toutes les thématiques permettent effectivement de « partir des élèves ». Habiter, consommer, se déplacer… Tout le monde habite, consomme, se déplace. Ce sont donc des questions qui font écho à nos pratiques quotidiennes. On peut aussi introduire des échelles différentes et faire apparaitre une articulation entre ces échelles. Dès lors, on touche à la dimension civique. Il y a bien un lien entre le vêtement que l’on porte et le monde dans lequel on vit. Cette approche permet de mettre en exergue nos choix et là se trouve l’intérêt de la discipline. Mais une part du rêve ne pourrait-elle pas être générée par le biais de la littérature, des bandes dessinées, du cinéma, des jeux comme ceux initiés par Christian GRATALOUP en papier carton ou des jeux vidéo comme Ecoville, Halte aux catastrophes etc… ? Oui, assurément. Sur un autre plan, ne pourrait-on pas dire que le « rêve par la géographie » est aujourd’hui concurrencé par les nouvelles technologies de l’image (Télévision, sites web sur tous supports, Youtube etc..). Le monde à portée de clics en quelque sorte, un monde que l’on peut façonner en une fraction de secondes. Un monde que l’on peut aussi mieux comprendre grâce aux clics devait renchérir Bernadette Mérenne-Schoumaker (géographe universitaire belge). Comparant l’enseignement de la géographie en France et en Belgique, elle fit le constat d’une image floue de la géographie dans les deux cas. Et ce n’est pas la juxtaposition de la géographie à l’histoire qui en serait à l’origine puisque cela n’existe pas en Belgique. Elle pense qu’il serait opportun de recentrer la géographie sur ce que Philippe Mérieu appelle quelques concepts noyaux. Dans les outils informatiques, elle voit matière à réellement faire rêver en géographie Elle évoque les travaux fait notamment par Jean-Marc Kiener sur les voyages virtuels réalisés à partir de Google Earth. Des exemples qui, nous dit-elle, permettent de changer d’échelle rapidement, en deux, trois clics ; qui servent à pratiquer l’espace de façon virtuelle ; qui permettent surtout de donner des clefs à nos élèves pour comprendre notre monde. Puis elle cite les travaux de cartographie de Jacques MUNIGA qui fait lui aussi largement appel à l’informatique pour plonger les élèves dans le monde d’aujourd’hui en leur offrant la possibilité de comprendre et donc de forger ces clefs… La cartographie est au cœur de la pratique de nos disciplines et invite au rêve devait-elle poursuivre en concluant que l’essentiel était de « donner un trousseau de clefs pour ouvrir les espaces du monde ».
En conclusion, « la géographie fait-elle rêver ? ». Si la question n’a pas été tranchée, on peut toutefois affirmer que nos deux universitaires auront su nous embarquer dans « un voyage » où tout devenait soudain possible. Chacun y avançait des idées, des projets, des réformes qui, le temps de ce café, prenaient forme. N’est-ce pas là aussi rêver grâce à la géographie ?