Par Pascal Clerc, maître de conférences, Lyon 1
Le modèle Nord/sud est partout, dans la culture scolaire, dans les médias et même dans le monde scientifique. Il existerait un nord et un sud inséparable, toujours relié. Ce serait deux mondes très contrastés, en opposition et en complémentarité. Pascal Clerc propose une réflexion sur la capacité de cette imaginaire du Sud sur l’organisation du monde.
La première occurrence du terme de sud date des années 1950. Oliver Francks qui était un intellectuel britannique, serait le premier à avoir utilisé les termes de Nord et Sud pour désigner les pays développés et non développés en 1959. Cette appellation est en lien avec l’époque coloniale, elle sous-tend une opposition sauvage/civilisés.
C’est William Brandt, chancelier allemand, qui a fixé cette limite dans un rapport des NU en 1980, intitulé Nord-Sud un programme de survie. Dès la couverture du rapport, la limite est visualisée sur une carte. Même si Brandt souhaite prendre des distances vis-à-vis d’un monde divisé en deux, la carte matérialise cette limite.
Avant Nord et Sud, il y a avait d’autres mots qui divisaient déjà le monde en deux : pays développés/pays sous-développés ; pays riches/pays pauvres ; pays industrialisés/ non industrialisés. Tous ces termes disent une norme qui dénonce et exhibe un manque par rapport à cette norme. Dans cette division du monde, il y a une partie qui commande l’autre. Utiliser un découpage en termes de points cardinaux pourrait permettre de sortir de cette hiérarchie.
Néanmoins, le découpage Nord/Sud est une forme d’assignation à résidence. Même si un pays du Sud se développe, il reste au Sud et le Sud est en bas dans les représentations cartographiques. Il y a une astuce qui consiste à mettre des pays du sud au nord : Australie, Nouvelle Zélande, Corée du Sud. D’une manière générale, il y a derrière cette division du monde, une forme de déterminisme qui n’est pas sans lien avec le climat. Dans la période coloniale, les écrits scientifiques mettaient souvent en avant l’impact du climat sur le développement.
La limite Nord/sud a une très grande inertie. La limite est presque inchangée dans les cartes produites il y a 30 ans et celles d’aujourd’hui, à quelques exceptions près : Israël, Singapour au Nord ; les états de l’ex-URSS au sud.
L’analyse des IDH des pays du sud et du nord montre que des pays au sud peuvent avoir un IDH supérieur à celui de certains pays dit du nord. Par exemple, le Chili a un IDH supérieur à celui de la Serbie ou de l’Ukraine. Le sud n’est donc pas une catégorie statistique.
La division Nord/Sud est une catégorie facile à manier. On la retrouve dans les journaux. De la même manière, François Hollande reprends cette division dans ces discours. C’est dans les manuels scolaires que la réification de cette division du monde est la plus poussée. Aujourd’hui la limite nord- sud est en train de disparaitre des cartes des manuels scolaires. Néanmoins, cette limite reste présente dans la manière d’appréhender le monde dans les programmes et les manuels scolaires.
La question est de savoir pourquoi cette division du monde est autant véhiculée. Cette vision du monde est pratique et conforme à la vision binaire souvent véhiculée par la géographie scolaire. Cette limite permet aussi de construire l’altérité.
La limite nord sud a un rôle performatif. Cette division du monde est utilisée par exemple dans les conférences sur le développement où se font face les pays dits du nord et ceux dit du sud. De même, la carte du ministère des affaires étrangères « Conseil aux voyageurs » reprend aussi d’une certaine manière cette division du monde.
La division du monde nord sud se matérialise même dans la réalité. Cette matérialisation se traduit à certains endroits par des murs. La division du travail nord sud participe à la construction d’un imaginaire où chacun reste à sa place.