Françoise de Blomac est rédactrice en chef de la revue en ligne [Décryptagéo], qui, en 2013, a pris la suite de SIG La Lettre créée en 1998. Ces deux revues sont d’ailleurs nées à son initiative. Journaliste, elle s’est spécialisée en géographie (Paris I), en cartographie (DESS de Cartographie de Paris I) et dans les SIG (Université d’Alberta).
Elle est l’auteur de deux ouvrages : Comment je suis devenu géomaticien ? (éd. du Cavalier bleu, 2009) et Sous surveillance, démêler le mythe de la réalité (Carnets de l’Info, 2008).

La géomatique combine la géographie et l’informatique. Toutefois, on peut en voir les prémices avec John SnowLe diaporama nous a été confié par Françoise de Blomac., médecin britannique qui eût l’idée de croiser la carte des cas de choléra (lors de l’épidémie de Londres, en 1854) et celle des puits, montrant ainsi la corrélation entre l’eau et le vibrion cholérique.
La diffusion des moyens informatiques donna sa véritable naissance à la « géomatique », terme imaginé par le géomètre et photogrammètre Bernard Dubuisson. À partir de 1969, des sociétés américaines commencent à investir le domaine, comme Intergraph (pour aider la NASA et l’armée à visualiser des données complexes sous une forme graphique) ou ESRI (Environmental Systems Research Institute), qui crée le logiciel ArcGIS.

Aujourd’hui, où en sommes-nous ?

Un smartphone de 200 grammes est bien plus puissant et bien moins cher que les volumineuses stations Clipper Interact de la fin des années soixante-dix. Il est capable de tenir des trois axes (transversal, longitudinal, lacet), grâce à sa vingtaine de capteurs de mouvement : accéléromètres, gyroscopes… Ajoutons à cela de quoi enregistrer des images, stocker les données, les communiquer, etc.

Cette combinaison de capacités a totalement changé le paysage géomatique !

Le rassemblement de ces caractéristiques dans un outil qui s’est très largement diffusé a permis le développement d’une industrie qui recours à la géolocalisation, d’étendre les pratiques professionnelles à des géomaticiens professionnels. Elle offre aussi à ses utilisateurs une manipulation aisée.

Le business de la géolocalisation

Les premiers Located Based Services (services basés sur la géolocalisation) sont apparus il y a une quinzaine d’années, mais nécessitaient un assistant personnel, un récepteur GPSGPS, ou plutôt GNSS (pour Global Navigation Satellite System, ou système de positionnement par satellites. et un téléphone mobile. L’iPhone (2005-2007) combine l’ensemble.
En 2013, une étude montrait que les géo-services avaient fait économiser l’équivalent d’environ 1,1 milliard d’heures de déplacement par an, et de 3,5 milliards de litres d’essence.

Les assistants de navigation

C’est l’ensemble des applications reposant sur la géolocalisation, telles que Google Maps… 90 % des utilisateurs de smartphones recourent à ces services, ce qui explique les enjeux liés à la domination de ce marché, dont l’un est d’assurer son indépendance. C’est ce qu’a fait le consortium Mercedes – Audi VAG – BMW, qui a acquis Here vendu par Nokia en 2015.
Les fonctions proposées sont aujourd’hui la fourniture de cartes à jour, le calcul d’itinéraire, le guidage, et l’indication de services et de « points d’intérêt» à proximité. D’où l’importance d’être correctement référencé.

Les applications à composante géolocalisation

En plus des assistants de navigation sont proposés des API (interface de programmation applicative), des SDK (kit de développement informatique), etc., qui permettent d’ajouter de nouvelles fonctions : la prise en compte de la pente, des virages, du geo-fencing (déclenchement de fonctions en relation avec la position spatiale), et search around (identification de services proches).

La fin des taxis

Les utilisations sont nombreuses : publicité géolocalisée, surveillance des troupeaux à distance (estive), etc. Pour des sociétés comme AirBnB, Uber et Blablacar, ces fonctions sont essentielles. D’autres les utilisent de plus en plus : les réseaux sociaux qui incitent leurs utilisateurs à se géolocaliser ; les coursiers, etc. Là encore, disposer de son propre système de géolocalisation est essentiel : Uber a ainsi embauché l’un des créateurs de Google Maps, acheté l’entreprise deCarta, conclu un accord avec TomTom, et est devenu partenaire de DigitalGlobe. La prise en charge des clients sera ainsi plus efficiente, et il sera possible d’utiliser des véhicules autonomes comme taxis.

Stationnement pénible

À Paris, un tiers des véhicules cherche à stationner, alors que 120~000 places sont libres dans des parkings privés. La géolocalisation peut aider à résorber ce problème, notamment par le biais de partenariats avec les gestionnaires d’immeubles (BePark, YesPark…). QuCit permet de prévoir les places qui pourraient se libérer, en intégrant la durée du déplacement ; la qualité du service requiert l’utilisation de données en open data, affinées par celles de ses utilisateurs.

Le covoiturage de proximité : casse-tête économique

karos
WayzUp

La publicité géolocalisée

(Des annonceurs peuvent attirer l’attention de clients potentiellement intéressés qui passeraient à proximité, grâce à la fonction Store Visit (Google). Le prix du service dépend du nombre de clics sur le lien, et du nombre de clients qui se sont effectivement déplacés.

La cartographie intérieure

Ce système doit permettre de guider l’utilisateur quand la liaison GPS est interrompue, dans des endroits fermés comme les centres commerciaux, par exemple. L’idée est d’utiliser des relais : des bornes WiFi, le bluetooth ou les capteurs des smartphones (qui, par triangulation, permettent de déterminer le positionnement de l’utilisateur dans l’espace).
Des capteurs sont installés dans des bâtiments, ce qui doit permettre de trouver très rapidement quelqu’un qui appelle les secours (par téléphone).

Quelques exemples

Une autre application est testée par Carrefour : le Qwatz. Avec l’application C-où, un parcours optimisé est proposé au consommateur, en fonction de ses habitudes d’achat, de ses besoins. Le même type d’application est utilisé dans les drive pour permettre aux employés d’être guidés au mieux, et trouver beaucoup plus rapidement les produits commandés par un client (ce qui risque d’augmenter la déshumanisation de ce travail).
Au Printemps Haussmann, une application permet de donner rendez-vous à ses relations et d’y consommer.
Dans ce genre de situation, la géolocalisation est contrôlée par les sociétés, qui conservent jalousement l’accès au plan des locaux. Elles peuvent alors développer une application, dont le coût sera financé non pas par le consommateur, mais grâce à des revenus externes. Les marques des produits qui y sont vendus, par exemple, auront en outre tout intérêt à savoir quels sont les secteurs du magasin les plus visités. Les agences immobilières pourront connaître les endroits les plus fréquentés, et adapter les loyers en conséquence.
Grâce au geo-fencing, le consommateur pourra être prévenu que tel ou tel paquet bénéficie d’une remise. Mais le risque peut alors d’être submergé par une communication excessive.

Le lien avec les objets connectés

L’application Breathe Up utilise non seulement les données des agences de surveillance de la qualité de l’air, en open data, mais elle les tient à jour en permanence grâce aux capteurs des personnes connectées. Un parcours de running peut alors être proposé de façon à éviter les zones les plus polluées, tout en tenant du degré de vulnérabilité des coureurs. Ces données peuvent intéresser les compagnies d’assurance.

Demain ?

La carte tend à disparaître, au profit des indications orales et de la réalité augmentée, qui permet d’afficher des informations circonstanciées et, à l’usager, d’interagir avec elle. Le mode driving de Google Maps (sur Android 9.19) propose un parcours tracé selon les habitudes de déplacement.

Les enjeux

Il s’agit d’abord des conditions d’utilisation des données personnelles : rien n’indique clairement si elles seront revendues, par exemple.
Il y a un enjeu cognitif et philosophique, lié à l’hyper-personnalisation : ne plus pouvoir se perdre (ce qui supprime la place du hasard), consommer les mêmes produits ou ceux qui sont supposés être ceux qui correspondent à un profil donné, etc.
Les assurances s’intéressent au secteur de la conduite assistée par la géolocalisation : la police peut être fixée en fonction des risques pris au volant, dûment enregistrés par les capteurs., mais aussi du type de route emprunté, du moment, etc.

Les pratiques professionnelles

Les collectivités territoriales font développer des applications pour faciliter le déplacement des usagers, pour donner des informations sur le meilleur type de transport à utiliser en fonction de la destination, du coût, des embouteillages. Elles apportent des indications sur les services publics, les activités culturelles, des sites remarquables, etc.
Les agents peuvent aussi recueillir des données au cours de leurs interventions, afin de les gérer au mieux ; la 3D peut leur faciliter la tâche, en découvrant virtuellement la chaussée et faire apparaître une image du réseau souterrain. De la même façon, les agriculteurs pourront déterminer si les conditions sont optimales pour telle ou telle action (épandage d’un produit de traitement…).

Les pratiques citoyennes

Les citoyens sont mis aussi à contribution, invités à signaler tout problème : un éclairage public défaillant peut être photographiée (et donc géolocalisé), ce qui permet d’envoyer une équipe sur place assez rapidement, et de rendre compte de l’intervention à la population.
OpenStreetMap et Mappillary (équivalent libre de StreetView) invitent chacun à faire des relevés destinés à faire une cartographie libre, mise à jour en permanence (une rue bloquée pour des travaux, etc.), et dont les citoyens gardent l’entière maîtrise et l’usage.

Un savant recyclage

Le secteur ludique fait lui aussi appel à la géolocalisation, comme c’est le cas avec Pokemon Go, renaissance du jeu des années 1990. Les joueurs sont guidés et sont en interaction avec les créatures virtuelles, qui apparaissent en fonction des données d’occupation du sol (une rivière, etc.).