Quel meilleur lieu que la place de la gastronomie de Saint Dié et qui de plus indiqué que Gilles Fumey pour nous entretenir de la gastronomie dans les Alpes?
Gilles Fumey, spécialiste reconnu de la géographie de l’alimentation et vice-président du FIG, a choisi un sujet en rapport avec l’espace alpin qui est à l’honneur au FIG 2024 : y a-t-il une gastronomie alpine? On se doute que non, mais cela n’enlève rien à l’intérêt de la réponse et au bonheur d’entendre parler de bonne nourriture. Pour traiter le sujet dans le temps imparti, Gilles Fumey a limité son analyse à la Suisse et à l’Autriche, les deux pays au cœur des Alpes, mais où on ne mange pas tout à fait la même chose.
Un petit détour par l’histoire
G. Fumey rappelle que les Alpes centrales ne sont pas peuplées depuis très longtemps : vers le 10e siècle pour l’Autriche et vers 1200 pour la Suisse. Pendant longtemps, ce sont des espaces peu habités, les populations privilégiant les voies de passage. Au Moyen âge, les moines se sont installés et ont créé des monastères et ils recueillaient les voyageurs perdus dans la montagne. Ce sont les moines qui ont installé des vaches sur les alpages.
Pendant des siècles, les Alpes autrichiennes et suisses sont des sociétés paysannes fondées essentiellement sur l’élevage, car les terres d’altitude sont difficilement cultivables. Avec cependant une différence qui a son importance pour notre sujet : la Suisse est constituée de cantons alors que les Alpes autrichiennes sont intégrés à un empire, avec un contact plus étroit avec une société aristocratique.
Les choses changent à partir de la fin du 18e et surtout au 19e siècle, avec un processus progressif d’ouverture des Alpes sur l’extérieur. Alors que traditionnellement la montagne faisait peur, le romantisme change le regard : les Alpes apparaissent comme un paradis où les tuberculeux viennent pour se soigner en sanatorium, parce que l’air y est pur. La bonne société anglaise, avec la pratique du Grand tour, a bien sûr contribué à cet engouement pour la montagne. Puis, dans la deuxième moitié du 19e siècle, l’industrialisation, en lien avec la construction des barrages hydro-électriquese et le développement de l’électrométallurgie, incite les habitants des villages à descendre dans la vallée pour y trouver du travail. Au 20e siècle, c’est évidemment le tourisme hivernal et la pratique du ski alpin qui transforment profondément l’image et la structure économique des Alpes. La massification touristique a un impact important sur la production agro-alimentaire, car il faut bien nourrir les touristes affamés après le ski ou la randonnée..
En Autriche et en Suisse, des gastronomies différenciées
G. Fumey s’attache à marquer les différences entres les gastronomies autrichienne et helvétique, c’est à dire sur l’importance du facteur culturel dans la façon de manger. Les Autrichiens donnent plus d’importance à la viande, alors que les Suisses ont une vraie passion pour le fromage.
La gastronomie autrichienne donne une grande place à la viande. Les Autrichiens des Alpes sont nombreux à être des chasseurs. Le gibier accommodé (mouflon, cerf..) est un un plat traditionnel, avec la viande de grisons bien sûr. Dans les stations autrichiennes, on sert beaucoup de viande hachée sous différentes formes (saucisses, boulettes..). Selon G. Fumey, cela rattache l’Autriche au monde germanique, dans lequel la viande hachée sous forme de saucisse a un caractère identitaire et remonterait à une époque très ancienne quand le pain servait d’assiette pour poser les aliments. En automne, on consomme beaucoup de champignons et en hiver de la fondue. Mais l’Autriche est importatrice nette de fromage! Il existe en Autriche 33 cépages de vignoble et le vin est de consommation courante : vin nouveau qui donne lieu à une fête en automne, Eiswein (vin de glace) dont le raisin très chargé en sucre est récolté aux premières gelées..
En Suisse, la consommation de fromage prime sur la consommation de viande. C’est une tradition ancienne liée au développement de l’élevage bovin sur les alpages. Il existe une grande variété de fromages en Suisse. Traditionnellement, on fabriquait de gros fromages ronds pour des raisons fiscales : le fromage était taxé à l’unité. La fondue dont l’origine est ancienne est un plat identitaire qui crée du lien social : chaque village a sa propre recette qui est évidemment la meilleure. La raclette, elle, est originaire de la région du Valais. Le vin produit dans les fonds de vallée est utilisé pour la fondue.
En dehors du fromage, on consomme aussi de la viande. La viande des grisons, viande séchée aromatisée aux herbes des alpes, est à l’origine un mode de conservation de la viande de bœuf. il y a aussi en Suisse de nombreux poissons de torrent. Les gâteux suisses sont des gâteux « protestants », selon G. Fumey, des gâteaux très secs. Le chocolat a été introduit par les Anglais sous forme de tablette. C’est un produit de sociabilité qui était distribué le dimanche après l’office. Mais c’est en Suisse que le chocolat au lait et le chocolat blanc ont été inventés, le blanc couleur de leurs montagnes. Ce sont d’ailleurs souvent les paysages des Alpes qu’on retrouve sur les paquets des tablettes. Gros producteurs de chocolat, les Suisses en sont aussi les plus gros consommateurs au monde!
En conclusion, les deux pays alpins ont des gastronomies assez différentes : plus aristocratique en Autriche et plus bourgeoise pour la Suisse, selon G. Fumey. Preuve, si il en fallait, que ce qu’on mange est construit par la société. G. Fumey termine en indiquant que les sociétés alpines, et donc leur gastronomie, sont en relation avec les vallées, question qui n’a pu être abordée faute de temps.