Si l’on recherche ce qui se fait de mieux en termes de synthèse sur la géopolitique de la Chine, dans un volume particulièrement contraignant, celui des 128 pages de cette collection qu’il n’est plus vraiment utile de présenter, il ne faut pas aller chercher plus loin.
Cet ouvrage a reçu lors de la dernière édition, la 10e, du festival de géopolitique de Grenoble, le prix du meilleur livre géopolitique et entreprise 2018. Sa lecture qui a été effectuée trois jours après la clôture du festival nous a convaincu de la pertinence du choix du jury.
Si l’on parle de la géopolitique de la Chine, il faut forcément s’inscrire dans le temps long, et montrer comment, alors que l’irruption de la croissance économique chinoise remonte à seulement 40 ans, avec l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, l’empire du milieu a pu entamer sa « longue marche », pour atteindre le niveau qui est le sien.
Pour cela, il faut prendre en compte tous les aspects de l’histoire et de la géographie de la Chine. Montrer d’abord comment le pays se situe, et notamment, dans le deuxième chapitre, celui de son ancrage continental. Car en effet, il y a bien une géopolitique des frontières terrestres de la Chine. Naguère entourée de pays tributaires, autant de l’empire du milieu, la Chine s’est retrouvée, pendant toute une période de son histoire, entourée d’ennemis ou de rivaux. Avec l’empire russe, et ensuite soviétique, avec le turbulent vassal vietnamien, avec cette zone intermédiaire, très vite récupérée dans les années 50, le Tibet, et désormais avec cet espace d’Asie centrale d’où émane une menace islamiste.
Mais il n’est pas de géopolitique sans volonté d’appropriation et de contrôle de territoires. Et de ce point de vue, le projet de nouvelle route de la soie s’inscrit dans une démarche spécifique : Sécuriser les approvisionnements énergétiques terrestres, avec des accords gaziers avec le Turkménistan notamment, ou encore le Kazakhstan ; coloniser une terre comme le Xin Jiang par la submersion démographique, ce qui est déjà accompli au Tibet. On pourrait même parler de la Mongolie, divisée entre Mongolie intérieure, donc rattachée à la Chine, et la Mongolie extérieure, qui a longtemps été dans l’orbite soviétique, avant d’essayer, ce qui n’est pas évident pour un pays enclavé, de prendre sa place entre deux grandes puissances, la Chine et la Russie.
Corée entre terre et mer – Verrou taïwanais
On accordera une place spécifique à la péninsule coréenne, qui se situe entre terre et mer. Pendant plus d’un siècle la pression japonaise s’est exercée, remplacée ensuite par ce qui a été perçu comme une menace directe sur l’intégrité territoriale de la Chine en 1950, lorsque les troupes américaines sont arrivées sur les rives du fleuve Yalu qui constitue la frontière entre la Corée du Nord et la Chine populaire. Une contre-offensive de l’armée populaire de libération a d’ailleurs ramené les troupes américaines intervenant sous mandat des Nations unies au sud de Séoul.
Cela permet de comprendre aujourd’hui comment la Chine envisage ses relations avec la Corée du Nord, ce pays « ermite », qui cherche par sa nucléarisation à pérenniser son système politique. On notera d’ailleurs que le deuxième prix de ce festival de géopolitique de Grenoble a été attribué à un ouvrage consacré aux pays sur lequel Jim Jong Um exerce son pouvoir.
À ce titre, on comprendra comment, entre le deuxième le troisième chapitre, celui-ci consacré au tournant maritime, la Chine opère une sorte de transmutation. Passer d’un ancrage continental a une volonté d’expansion maritime, considérée comme particulièrement agressive, notamment en mer de Chine méridionale, mais également dans ce que l’on pourrait appeler, de façon un peu provocatrice d’ailleurs, la mer du Japon, que l’on appellera évidemment du côté de Pékin la mer de Chine orientale. Point n’est besoin de rappeler les litiges sur les frontières maritimes, qui conduisent d’ailleurs les pays d’Asie du sud et de l’Est à une forme de course aux armements navals. De son côté, la Chine se donne les moyens d’arriver au niveau de l’U.S. Navy, même si la route à parcourir reste encore longue.
Il est clair que la situation n’est pas forcément facile, car si Hong Kong a pu rejoindre la mère patrie en juillet 1997, tout comme Macao , il reste encore ce verrou taïwanais sur lequel veillent les bâtiments de la septième flotte. Mais la Chine s’inscrit toujours, et c’est évidemment une dimension majeure de la géopolitique, dans le temps long. La troisième génération de dirigeants chinois, les petits enfants de la longue marche des années 30, ont bien conscience peut-être que ce sera la quatrième génération qui verra la Chine redevenir ce qu’elle était au début du XVIIIe siècle, la première puissance mondiale.
S’inscrire dans le temps long
De ce fait, la politique étrangère de la Chine se révèle essentiellement pragmatique. Le pays affirme sa volonté de puissance sur ces zones qu’elle considère comme vitales pour ses approvisionnements. Et on comprend aisément que la construction d’un dispositif de sea power. Mais en même temps, elle s’inscrit dans une posture qui la conduite à avoir une approche « révisionniste » des relations internationales, cherchant comme puissance émergente à bousculer le statu quo, celui que les États-Unis cherchent à maintenir. On insistera d’ailleurs sur cette relation d’interdépendance qui conduit les deux adversaires potentiels à une coopération obligée. La Chine est le premier créancier des États-Unis, mais dans le même temps les achats chinois de bons du Trésor permettent aux consommateurs américains d’acheter à crédit des produits manufacturés chinois, ce dont la Chine a besoin pour poursuivre son développement.
La présidence de Xi Jimping qui s’est donné tout dernièrement les moyens de s’inscrire dans la durée, sans parler de son positionnement majeur comme inspirateur de la marche en avant de la Chine, au même titre que Mao Zedong et d’un Xiaoping, sera sans doute riche de péripéties. Mais encore une fois, et c’est tout l’intérêt de l’analyse de Mathieu Duchâtel, la géopolitique s’inscrit dans le temps long, ce qui n’exclut en aucune manière des tensions localisées, qui peuvent être, pour reprendre une expression qui relève de l’analyse des conflits, de haute intensité.