Les intervenants : Jean-Pierre Roux, professeur d’Histoire-Géographie au lycée Charles de Gaulle à Vanves et Pierre Papet professeur d’Histoire-Géographie au Lycée Charles Poncet de Cluzes, Sophie Bachmann, docteure en histoire, chargée de développements culturels et éducatifs à l’INA.
Dans quelle mesure, dans sa communication, la République a-t-elle affronté la Décolonisation après 1945 ? Comment a-t-elle essayé de gouverner les esprits dans ce contexte ? Quelles images et discours a-t-elle produits pour justifier sa politique ? Comment ont-ils été reçus en métropole et dans les colonies ?
Plan de l’exposé :
Le cadre pédagogique de la séquence :
Le temps 1 des élèves (introduction) : Comment la IIIe République gouvernait-elle les colonies et quel était le rôle joué par la propagande coloniale avant 1940 ?
Le temps 2 des élèves : on se demandera dans quelle mesure la République renaissante après 1945 a-t-elle réussi dans sa communication, à nier, expliquer, accompagner le mouvement de décolonisation.
Le temps 3 des élèves : en conclusion, on proposera un résumé des évolutions et un schéma de synthèse sur la politique de décolonisation et la communication gouvernementale entre 1945 et 1962.
Le cadre pédagogique :
En Histoire et EMC : une réflexion sur les sources, des images animées dans une perspective de l’EMI.
Le choix s’est porté sur le nouveau programme de terminale générale dans le thème 2, chapitre 3 où les objectifs sont de montrer comment la France de l’après-guerre cesse d’être une puissance coloniale. Il s’agit de faire prendre conscience aux élèves que, gouverner en démocratie signifie communiquer, c’est à dire expliquer, justifier, embellir, ce qui passe par des moyens audiovisuels (Eduthèque, INA et ECPAD)
On commence la séquence en 1944 par l’étude du discours de Brazzaville et on termine par les accords d’Evian en 1962.
La problématique se décline sous trois aspects :
- Dans quelle mesure la République a-t-elle réussi dans sa communication à concilier les idéaux démocratiques et le mouvement de décolonisation après 1945 ?
- Comment a-t-elle essayé de gouverner les esprits dans ce contexte ?
- Quels images et discours a-t-elle produit pour justifier sa politique ?
Le temps 1 en classe entière
Les élèves prennent des notes à partir d’un tableau fourni.
Utilisation de 2 documents : un reportage d’archives sur le voyage en Afrique du nord du président du Conseil, Daladier, en janvier 1939, et une affiche sur le recrutement des troupes coloniales en 1927.
On rappelle les termes de « colonisation », réactivée à l’aide de l’affiche (différence entre les colons de la métropole et le système colonial fondé par l’inégalité des droits) et de « République ». Les années 1930-1940 marquent l’apogée de la puissance coloniale avec l’exposition coloniale de 1931 qui est visitée par 30 millions de personnes.
Le terme « Gouverner » doit être explicité. Le gouvernement est l’art de diriger mais aussi d’influencer la conduite des gouvernés.
Mise au point sur les images animées au service de la propagande et de la communication
Il s’agit de repérer les trucages, les techniques de manipulation par le langage. Il faut analyser les images animées avec leur charge symbolique. A l’époque, les journaux filmés ont une mission idéologique, sinon de propagande et les élèves doivent être formés à cette critique.
Une communication efficace utilise une voix off. Il est nécessaire de détecter la propagande dans ce langage oral. Daniel Colon, dans son ouvrage, « Propagande, la manipulation de masse dans le monde contemporain » édité en 2019 chez Belin, distingue 7 techniques de manipulation comme l’injure et la banalité, le transfert, le témoignage, le train en marche.
On insiste sur les manipulations de langage. Les images scénarisées et les allocutions sont toutes préparées.
Par rapport aux images, il faut leur parler de cadrage, de plan, de champ, de séquence, de plongée et de contre-plongée, des choix techniques importants du réalisateur afin que ces images donnent sens.
Par exemple, pour radiodiffuser une allocution de de Gaulle, le réalisateur emploie un plan d’ensemble, le plan demi-ensemble. Il réduit le décor pour augmenter sa présence, montrer la gestuelle, et se concentrer sur le discours. Sur le site de l’INA Lumni, les élèves ont la possibilité d’avoir un éclairage historique et un éclairage média avec les vidéos.
Ainsi on fait la distinction de la justification du système colonial, les réalités de cet empire et les contradictions avec les valeurs de la République.
Un exemple de lecture à partir de l’extrait du film de Pathé : Le voyage du président du conseil Daladier, le 2 janvier 1939.
Le document commence par un plan d’ensemble qui montre la puissance maritime française au cœur d’une colonie sur un fond sonore de musique militaire et les drapeaux français. La République est célébrée autour de Daladier qui arrive en présence de l’autorité tunisienne. Ce voyage est entouré d’une campagne de propagande avec ce film, des affiches et le relais des journaux.
On insiste sur les contradictions sur les valeurs républicaines : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes bafoué, l’égalité non respectée, la mise sous tutelle décrétée par la métropole.
L’affiche sur le recrutement des troupes coloniales : elle montre la « mission civilisatrice » de la France, la présence militaire, et la réalité des différents statuts, particulièrement lisibles, qui illustre une phrase de Jules Ferry alors président du Conseil en 1885 : « il y a pour les races supérieures un droit parce qu’il y a un devoir pour elle, celui de civiliser les races inférieures. »
Le temps 2 qui dure deux heures
La tentative de réactiver la puissance française par l’Empire après 1945 et son échec. On se demandera dans quelle mesure, la République a-t-elle réussi à gouverner les esprits dans le contexte de décolonisation.
On procède à une activité par groupes en autonomie avec plusieurs films sur trois périodes :
1944-1954 ; 1954-1960 puis 1960-1962.
Un tableau qui est à remplir avec des citations, des captures d’écran, des images, ressemble à celui du temps 1 mais deux colonnes sont ajoutées : une sur le contexte précis et une autre sur les valeurs républicaines (la différence entre le discours officiel et la réalité).
On montre l’évolution des moyens de communication en une vingtaine d’années, le passage de la propagande à la communication, quels médias sont alors devenus dominants et quels changements sont apportés dans la communication d’un gouvernement démocratique et républicain.
La propagande est née du processus démocratique en temps de guerre et non par les États totalitaires. Dans les années 50, on passe à la notion de communication. La production des images de masse permet aux populations de vivre les grands événements dans les salles de cinéma, puis au niveau familial avec l’arrivée de la télévision dans les foyers. L’image devient indispensable pour faire passer un discours officiel. Michel Winock déclare que pour le général de Gaulle, la radio et la TV doivent être LA voix de la France. L’ORTF est contrôlée par le pouvoir politique. Les émissions proposées doivent être pédagogiques. Les journaux sont surveillés dans un contexte de guerre froide. Étroitement cadrés par le pouvoir, les journalistes sont chargés de filtrer les informations.
Premier groupe
Document 1 : Reportage sur les débuts de la guerre d’Indochine, fait le 25 décembre 1946 sur l’initiative du ministre de la France d’outremer. Le but est de voir la situation d’Hanoï un mois après le déclenchement de l’insurrection du Viet Minh. Ce document sera diffusé par les actualités cinématographiques, le 16 janvier suivant. On voit la différence de point de vue entre les militaires et les politiques à un moment où les Républicains envisagent de négocier.
Document 2 : Une interview de Guy Mollet en 1956 à la télévision. Le journaliste pose les questions de « monsieur tout le monde » à propos de l’Algérie. On voit qu’un gouvernement de gauche refuse l’indépendance à l’Algérie et met en œuvre une pression militaire par la loi du 12 mars sur les pouvoirs spéciaux dans ce qu’on appelle « les événements d’Algérie ».
Document 3 : une allocution radiodiffusée du général de Gaulle le 5 septembre 1960
Le général est convaincu que la presse lui était hostile et il préfère la télévision. Il aurait dit : « la presse est contre moi, la télévision est à moi ». Il impose des conférences de presse dans la grande salle de l’Elysée. Certaines émissions comme « 5 colonnes à la une » sont présentées avec l’appui du pouvoir. Le discours change sur la politique coloniale française.
Rappels de l’évolution constitutionnelle découverte par les élèves :
En 1946, la constitution de la IVème République institue l’Union Française qui distingue la métropole et ses territoires d’outremer. On ne parle plus de colonies. L’assemblée constituante abolit l’indigénat. Elle accorde la citoyenneté française de la communauté et non pas une pleine citoyenneté. Le vote est organisé selon deux collèges séparés. La proportion des députés d’outremer à l’assemblée est restée très faible. En mars 1946, est créée la départementalisation de la Guadeloupe et de la Martinique. Le rôle de l’Empire dans la guerre est célébré, on ne veut donc pas s’en séparer. Pour de Gaulle, la France doit garder ses terres d’outremer. D’ailleurs, l’imaginaire colonial est toujours là, en témoigne le billet en circulation de 5 000 francs représentant les différentes races derrière le drapeau, une image des années 30.
1956 : le cadre Deferre donne une autonomie aux terres d’Afrique noire, puisque certains territoires sont déjà décolonisés
1958 : la constitution de la Vème République institue la communauté.
Ces changements de noms ont-ils des incidences sur la domination coloniale ?
Deuxième groupe
Document 1 : Le discours de Brazzaville en 1944 parle du génie français de la décolonisation.
Document 2 : Un film à l’occasion de l’exposition sur la France d’outremer en 1945, montre le rôle capital de l’Empire dans l’adhésion à la France libre comme le Tchad. On voit une reprise du discours des années 30. La décolonisation n’est absolument pas envisagée.
Document 3 : Extrait d’un film de propagande « Le Képi bleu » terminé le 9 mars 1957
Il a été commandé à des professionnels. Il rappelle le génie français sur la mission militaire de pacification des populations algériennes. Les ingénieurs ont rendu le pays « heureux » et ont contribué à l’envoi de l’Algérie vers le progrès. Puis une musique lugubre accompagne un changement de décor et une manipulation de langage : « Soudain répondant à un signal mystérieux, des fanatiques ambitieux pensent pouvoir détruire la civilisation occidentale ». Il s’agit de légitimer « la pacification ». Les képis bleus sont les officiers chargés d’être au contact de la population. Les techniques langagières utilisées ici relèvent de la guerre psychologique.
Le troisième groupe
Il travaille sur la décolonisation finale et revendiquée entre 1960 et 1962.
Document 1 : Allocution radiodiffusée du 14 juin 1960 : la France offre à l’Algérie de disposer d’elle-même.
Document 2 : Allocation radiodiffusée de de Gaulle le 5 septembre 1960
Technique : c’est une évidence que la France doit quitter l’Algérie.
Document 3 : Allocution de 18 mars 1962 après les accords d’Evian
« Le sens traditionnel de notre pays nous commande que l’Algérie soit indépendante et coopérante ». En fait, un sondage montre que 88 % des Français pensent que le pays a fait du bon travail dans ses colonies comme le général.
Exemple du tableau du groupe qui a travaillé sur Guy Mollet
Conclusion :
un schéma de synthèse montre les interactions avec les différents modes d’action et leur complexité. On donnera aussi un résumé de synthèse sur la décolonisation française et ses liens avec la communication.