L’étude des fondements et des formes du gouvernement de la Chine impériale constitue une approche privilégiée de ce que François Jullien appelle « le Grand Autre ». La gouvernance chinoise se donne à voir à travers ses symboliques cosmiques, son goût pour la loi et ses références à la morale confucéenne.

Tout pouvoir cherche à se légitimer. Mais en Chine, ce n’est ni par une onction divine (comme en Égypte, en Perse, ou en Occident plus tard) ni par une délégation du peuple à des magistrats (comme dans les cités grecques ou à Rome). Les Chinois ont fondé le « mandat du Ciel », tiānmìng : tiân (ciel) ming (mandat). Ils désignent leur territoire par le terme, « l’empire » ou « pays du milieu », 中 国 « 中 » (Zhōng, le milieu) « 國 » (Guó, le territoire), rassemblé autour du « Fils du Ciel »
L’appellation « Chine » vient des Indiens, qui voyaient venir des pèlerins bouddhistes du Nord de la Chine. Ceux-là disaient qu’ils venaient du pays de Qing chao 清朝 .

Paul Stouder propose, dans un premier temps, de montrer l’élaboration de la légitimité du pouvoir, en distinguant quatre temps. On a pu identifier, à partir du XVII-XVIIIe siècle avant notre ère, une lignée royale de trente rois appelés Shang (signifiant « précédent » ou « supérieur »).

 

1er moment de création de cette légitimité : « le souverain d’en haut » à l’époque des Shang

Les Shang sont attestés dans les plaines de la Chine du Nord, dans la vallée du fleuve jaune. Notons le site de Anyang fouillé à partir des années 1920, avec la découverte de milliers d’inscriptions oraculaires sur des carapaces de tortues ou des omoplates de bovins, mais aussi avec le dégagement de la tombe de la reine Fù Hǎ. Cette tombe est garnie de tout son matériel rituel en bronze, correspondant à la fin de la période des Shang, vers 1200 avant notre ère. Ces fouilles nous apprennent que le roi est à la tête d’une organisation clanique. Il est celui qui fait des offrandes à ses ancêtres royaux et à de nombreux esprits naturels (le vent, la pluie, les cours d’eau, les montagnes…).

Nous sommes face à une monarchie patriarcale et sacerdotale.

La prédominance du culte ancestral est à l’origine d’une représentation du monde, cosmogonique, fondée sur un modèle organique, et qui va perdurer. Ce modèle organique d’engendrement à partir d’un être suprême est appelé Di ou Shàngdì, le « souverain d’en haut ». Cet être suprême constitue une instance d’ordre, qui joue un rôle axial entre le monde cosmique et le monde humain.

2ème moment de création de cette légitimité : « le mandat du Ciel », durant la dynastie des Zhou

Une cité du nom de Zhou, à l’ouest de la Chine renverse le roi Shang vers 1050 avant notre ère. Un vase cultuel Hu en bronze conservé au musée de Shanghai, intégralement historié (datant de 500 avant notre ère), témoigne de cet événement. On assiste à un glissement sémantique de Di (l’être suprême) à Tian (le ciel). Cette conception est plus impersonnelle. Le ciel est une instance normative des processus cosmiques et des comportements humains. Cette harmonie suppose la bonne circulation des énergies, sous la forme du vent et de l’eau.

Les carillons

L’usage du carillon lors des cérémonies religieuses, comme celui trouvé dans une tombe princière du IXe siècle (dynastie Zhou) au musée de Shanghai, souligne le nouvel ordre instauré par les Zhou. Cet ordre assimile au « souverain d’en-haut », leurs propres divinités (le ciel). Par là même, ils évacuent toute référence à une lignée (des ancêtres royaux). Désormais c’est le tiānmìng.

Zhong (carillon) réalisé pour Su, Duc de Jin Règne du roi Li, Zhou de l’Ouest (milieu du IXe siècle avant J.C.)

Cet ensemble de cloches comprend au total 16 pièces dont 2 pièces sont conservées à l’Institut d’Archéologie provincial du Shanxi. 355 caractères au total sont inscrits sur les 16 cloches, et racontent qu’au cours de la 33e année du règne du roi Li, Su, le Duc de Jin et son armée entrèrent dans la bataille menée par le roi Li contre les Yi, à l’est. A la suite de ses victoires, il reçut des récompenses du roi qui commanda cet ensemble.
Musée de Shanghai © E. Joly

L’utilisation du carillon Dessin d’une partie des scènes historiés représentées sur un vase Hu (vase à vin), début de l’époque des Royaumes Combattants (Ve siècle avant J.C.) Musée de Shanghai © E. Joly
Vase Hu (vase à vin), début de l’époque des Royaumes Combattants (Ve siècle avant J.C.) Musée de Shanghai © E. Joly

 

3ème moment de création de cette légitimité : la loi, à l’époque des Royaumes Combattants

Les Royaumes combattants

Le monde Zhou se désagrège à partir du VIIIe siècle. Plusieurs principautés périphériques s’érigent en royaumes indépendants. Ceux-ci commencent à se faire la guerre pour agrandir leur territoire (et construisent des portions de murailles pour se protéger, éléments précurseurs de la future Grande muraille). Cette période de mutation, appelée Royaumes Combattants (453 – 221 avant notre ère), s’achève par la victoire du roi Qin Shi Huangdi. Aux confins occidentaux, ce royaume considéré comme semi-barbare, montre l’extension de l’ère de la civilisation chinoise.

Pour désigner le roi, le terme de shang n’était pas suffisant, on a donc crée un titre. Les lettrés ont associé au nom du roi le terme de Huang, « auguste ». Le roi de Qin, Shi : « le fondateur », « le premier ».

La société se transforme.

On voit émerger une catégorie nouvelle issue des petits officiers. Ces individus s’approprient l’écriture. Ces lettrés se substituent à la chancellerie défaillante des Zhou. La loi doit s’imposer. Elle n’est pas issue de la coutume, d’un arbitrage des conflits, ou de conventions. Elle résulte d’un rapport de force, mais qui reste en harmonie avec la nature. La loi est une façon de répartir les individus hiérarchiquement. Cette volonté de rationalisation de Qin Shi Huangdi est générale. Par exemple, il uniformise l’écriture (les signes doivent tenir dans un carré), la monnaie, les poids et mesures, la largeur des essieux sur les routes impériales…

4ème moment de création de cette légitimité : la période des Han, le confucianisme

Le soulèvement général contre la dynastie Qin, mené par un ancien soldat Liu Bang en – 206, aboutit à la création de la plus longue dynastie de l’histoire chinoise, à laquelle il donne le nom de sa région Han. Les Chinois commencent à ressentir qu’ils participent d’une même civilisation.

Le confucianisme

Confucius (latinisation par les jésuites de Kǒng Fūzǐ, le maître Kong), a vécu entre 551 et 479 avant notre ère, au début de la période des Royaumes Combattants. Ce lettré s’interroge pour savoir comment retrouver l’harmonie pour structurer le gouvernement de la Chine. Les Zhou ont perdu « le mandat du Ciel », autrement dit le rôle unificateur et pacificateur. Il faut s’attacher à trouver une adéquation entre les noms (Ming) et la réalité (Xiànshí).

Pour Confucius, gouverner c’est s’assurer que le peuple ait assez de vivres, d’armes, et la confiance en son souverain. De ces trois éléments, la nourriture, l’armée, la confiance, le dernier est pour lui le plus important, car « un peuple qui n’a pas confiance ne saurait tenir ». La conformité du peuple au souverain et du souverain au ciel est nécessaire. Il s’agit d’une vision holiste, globale du pouvoir, qui ne sera pas remise en cause avant le XIXe siècle.

Comment gouverner le milieu de l’empire ?

Le pouvoir s’inscrit dans un certain nombre de symboles et de pratiques.

La cité pourpre interdite de Pékin exprime l’harmonie des êtres et des choses (Tao). Elle n’est pas l’immobilité, mais le mouvement dû à l’interaction du Yin et du Yang, que les Chinois identifient à la capacité initiatrice du Yang (le ciel) et la capacité réceptrice du Yin (la terre).

Dans leur alternance, le Yin et le Yang passent par des phases de croissance, sans jamais complètement disparaître. Qin Shi Huangdi avait imaginé des correspondances entre des matières, des saisons, des couleurs, associées à des phases. À son apogée, le Yang est rouge et correspond au sud. Ce qui explique la couleur des murs de la Cité interdite. Le palais de la Gloire littéraire se situe à l’est, c’est-à-dire dans le Yang croissant, marquant ainsi la supériorité des lettrés sur l’armée (le palais de la bravoure militaire). Le phénix est l’emblème de l’impératrice.

Rites impériaux

Les cultes impériaux apparaissent à l’époque de Wudi, pour célébrer le triomphe de la dynastie Han. Le temple du Ciel comprend plusieurs parties, notamment l’autel du Ciel. Au solstice d’hiver, l’empereur vient rendre hommage au ciel et à ses ancêtres impériaux. C’est le moment où le Yang réduit à un petit point blanc commence sa croissance. Ainsi était renouvelé le mandat du ciel. Au printemps, l’empereur se rend à la salle de prière pour les bonnes moissons. Il sollicite du ciel une harmonieuse répartition des pluies et de l’ensoleillement. L’empereur célébrait aussi le début de la saison agricole, avec l’ouverture du premier sillon de l’année, tandis que l’impératrice surveille le dévidage des cocons de coton. Qin Shi Huangdi a fait cinq tournées d’inspection de l’empire. Cette tradition de voyage d’inspection se poursuit chez les souverains, comme à l’époque de Qianlong, contemporain de Louis XV.

L’administration impériale

Les lettrés s’occupent de l’entretien des ponts et des canaux, du calendrier, des impôts, de la justice, etc. Sur la carte datée de 1137, conservée à la Forêt des stèles de Xi’an, on observe que chaque carré mesure 100 li de côté (presque 50 km). Ce document montre qu’à l’époque des Tang, on commence à constituer des archives impériales. Les Chinois ne connaissent que les lettrés.

Ce n’est qu’à partir du XVIe siècle qu’on utilise le terme de mandarin. Il vient du portugais mandarim, qui l’avait emprunté au malais mantarî, ministre d’état. Le yámén est une sorte préfecture où siège le lettré. Des concours de recrutement sont mis en place dès l’époque des Han.

La Chine n’est ni une nation, ni un empire au sens européen du terme.

Le pouvoir impérial est tiān xià 天下, il englobe tout ce qui est « sous le ciel ». On distingue plusieurs zones concentriques qui prennent en compte les confins plus ou moins sinisés. Partant d’une zone de peuplement Han (cœur de la Chine) jusqu’aux états tributaires (au XVIIIe siècle : la Corée et des pays d’Asie du sud-est). L’empereur ne se voit pas, et ne reçoit pas ses tributaires.

La remise en cause du mandat du Ciel

Trois facteurs se combinent : les rivalités de cour, les révoltes paysannes consécutives à des catastrophes naturelles et la prise du pouvoir par une ethnie étrangère.
La fin des Han résulte des inondations et des luttes de clans à l’intérieur de la Cité pourpre, dans les années 180, car des familles alliées à celle de l’empereur tentent de s’imposer dans un contexte de succession.

Comment faire face à l’irruption de la modernité occidentale ?

L’image d’une Chine décadente, pétrifiée de traditions, doit plus à la propagande impérialiste occidentale, intéressée, pour justifier l’occupation. À partir de 1840, les puissances occidentales interviennent en Chine : destruction des jonques chinoises par les canons anglais du Nemesis, pendant la première guerre de l’opium. Les autres puissances industrielles se ruent sur la Chine. Ce que l’on a appelé Break up of China qui est un partage de zones d’influence, anglaise au Tibet, russe en Mongolie, française dans le Yunnan…

Paul Stouder évoque la révolte des Taiping, où les Chinois achètent des armes aux occidentaux. On traduit La richesse des nations d’Adam Smith, mais aussi L’esprit des lois de Montesquieu qui porte le fer dans le cœur des Chinois.

De la fin du XIXe siècle à 1912

Au temps du jeune empereur Guangxu, sous l’impulsion de Kang Yuwei, une tentative de « réforme des Cent Jours » (1898) s’amorce, après que le Japon ait arraché Formose (Taïwan) et la Corée à la Chine. L’objectif était de transformer le système judiciaire, d’instituer des écoles modernes, des universités, de moderniser l’armée. Mais Kang Yuwei se heurte à l’opposition des conservateurs et de l’impératrice douairière Cixi.

La république chinoise est proclamée en 1912. La Chine n’a pas de tradition démocratique.

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