La France moderne et révolutionnaire offre, du XVIe au XIXe siècle, quantité de moments politiques d’exception (emprisonnement des rois, régences, renversement du trône, république de 1793 reportée et remplacée par un gouvernement d’exception). Cette table ronde essaie d’envisager ces différents moments de gouvernement, à travers leurs causes et leurs effets, sur le quotidien politique, économique, judiciaire, social ou culturel.
Intervenants
Modérateur: Philippe Bourdin, professeur à l’Université Clermont-Auvergne, membre de l’Institut universitaire de France (IUF), de la SER, et président de la section d’histoire des mondes modernes, de la Révolution française et des révolutions du CTHS
–Hervé Leuwers: professeur d’histoire moderne à l’Université de Lille, secrétaire général adjoint de l’AFHJ – Professeur à l’université de Lille et membre de l’UMR IRHiS, Hervé Leuwers a été rédacteur en chef, puis directeur des Annales historiques de la Révolution. Il consacre ses recherches à l’histoire de la Révolution française, notamment dans sa dimension judiciaire. Il a notamment publié La Révolution française et l’Empire (PUF, 2011) et Robespierre (Fayard, 2014 ; rééd. Pluriel, 2016).
–Sylvie Le Clech: conservatrice générale, est inspectrice générale des patrimoines (collège archives). Archiviste paléographe, historienne de la période moderne, Sylvie Le Clech a publié deux biographies de François Ier et Philippe Le Bel chez Tallandier, et des biographies – essais consacrés aux grands humanistes du XVIe siècle, Guillaume Budé (Riveneuve éditions, 2008), Jacques Amyot (CTHS, 2012), Duplessis-Mornay (Editions universitaires de Dijon, 2019). Elle est vice présidente de la commission d’histoire du monde moderne , de la Révolution française et des révolutions du CTHS et intervenante à l’université de Tours.
–Michel Biard: Spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la Révolution française, des représentants en mission et du gouvernement révolutionnaire, Michel Biard es directeur adjoint de l’Ecole doctorale HMPL (Histoire Mémoire Patrimoine Langage), en charge du site universitaire de Rouen, depuis janvier 2017. Il a auparavant dirigé le laboratoire GRHis (2012-2017). Un de ses derniers ouvrages: (avec Marisa Linton), Terreur ! La Révolution française face à ses démons, Paris, Armand Colin-Dunod, 2020, a été analysé par les Clionautes.
I. Causes d’un gouvernement d’exception
Au XVIe siècle
SLC (Sylvie Le Clech): pour le XVIe siècle, il a des causes objectives. Les régences sont des formes de gouvernement en adéquation avec des formes de gouvernement d’exception. Les régences sont octroyées aux épouses des rois défunts et mères des futurs rois. Deux exemples à développer: Louise de Savoie et Catherine de Médicis.
SLC: François Ier confie deux fois la régence à sa mère (1515-1516 et 1525-1526). En 1525-1526, lorsqu’il est fait prisonnier, Louis de Savoie doit gouverner avec tous les pouvoirs. La dernière fois qu’un roi avait été captif, c’était pendant la guerre de Cent Ans. Son rôle a été capital pour la continuité du royaume. Elle connaît des succès diplomatiques importants et notamment la libération de son fils en 1526. Le XVIe siècle est un siècle avec des conflits religieux, la royauté est en position difficile. Cela demande aux régentes une vigilance très importante. Avec Catherine de Medicis, la situation est tellement exceptionnelle qu’on voit une sorte de couple de dirigeants mère/fils. C’est un gouvernement d’exception car la reine et ses fils doivent faire face à une menace intérieure et extérieure et deux partis intransigeants.
Pendant la Révolution
MB (Michel Biard): pour la Première République, on peut parler du gouvernement révolutionnaire plus que de la Terreur. L’usage des termes comme « extraordinaire » ou « révolutionnaire » tient aux circonstances. Le gouvernement révolutionnaire a utilisé certains leviers politiques comme la répression mais il y en avait d’autres (éducation par exemple).
HL (Hervé Leuwers): le gouvernement révolutionnaire date du 10 octobre 1793. On est en république depuis 1 an et il y a une constitution mais elle n’est pas appliquée. À partir de 1792, résister à la loi devient une attitude de trahison. Avant même le gouvernement révolutionnaire, des mesures ont été prises pour les prêtres par exemple. Dès août 1792, tous les prêtres doivent quitter le pays. Ce sont des mesures sévères qui montrent qu’on perçoit l’Église comme un danger intérieur. En octobre 1793, les mesures se durcissent encore. On appelle cela le phénomène de la défanatisation. Des églises sont fermées, des prêtres renoncent à leur sacerdoce. La religion serait un ferment de division. Il faut prendre aussi en compte l’émotion, la culture.
II. Les formes
Au XVIe siècle
SLC: les régences s’insèrent dans une société qui garde le souvenir d’un roi ne gouvernant jamais seul. Il est entouré d’une Cour. Très tôt, se détache le Parlement. La régence s’organise autour d’un conseil de régence, c’est le premier organe du gouvernement. En province, les parlements rappellent à la régente que les institutions ne doivent pas être négligées. La régente doit avoir de l’habileté politique pour pouvoir installer son pouvoir dans un système attaché à la tradition.
Pendant la Révolution
MB: un certain nombre de ces institutions naissent avant 1793. On déclare quelque chose qui existe déjà en partie. Au niveau national, les représentants du peuple en mission vont sur le terrain pour régler des problèmes, pour organiser le gouvernement révolutionnaire.
Au niveau local, les comités de surveillance datent d’avant octobre 1793. Les institutions existent mais s’institutionnalisent au moment de la Terreur. Il y a une double légalité: la Convention continue à prendre des lois normales et d’autres lois révolutionnaires. Il y a confusion entre gouvernement d’exception et la Terreur qui sont pourtant deux choses différentes. La fin de la Terreur n’entraîne pas la fin du gouvernement révolutionnaire, que les Thermidoriens vont conserver car il fonctionne à l’intérieur et à l’extérieur.
GA: au départ le projet révolutionnaire est le refus de l’exception. Au début de la Révolution française, deux logiques se mettent en place. Un logique d’auto-organisation de la population et la mise en place constitutionnelle d’une administration élue.
III. Le degré d’acception de ces gouvernements d’exception
Au XVIe siècle
SLC: ce qui distingue le XVIe siècle des périodes révolutionnaires, c’est qu’il n’y a pas d’État au sens d’aujourd’hui. Les gens servent le roi et non la chose publique. La régence de Louise de Savoie n’est pas forcément mal vue car c’est une aristocrate. Elle peut rendre la justice, commander des armées. D’un point de vue juridique, cela ne pose pas de problème.
D’un point de vue social, il y a des préjugés de la part des ambassadeurs qui la traitent comme une grand-mère. Catherine de Médicis utilise des pratiques de gouvernement. Juridiquement, elle n’est rien, mais elle utilise son corps, sa façon de parler pour asseoir son autorité auprès des ambassadeurs. Il y a une dissociation entre une analyse juridique à la lecture du droit féodal et la vision plus sociale et personnelle portée par les ambassadeurs. Il n’est pas simple de savoir ce que les gens pensaient car la très grande majorité des sujets du roi sont illettrés. L’essentiel des écrits sont des théories de juristes, des travaux d’historiens, des journalistes, des correspondances d’ambassadeurs.
Pendant la Révolution
GA: pendant la Révolution, il y a une difficulté à saisir l’acceptation voire l’adhésion aux pratiques. On a des indices cependant. Le premier indice est que ce sont des administrations élues qui ont mené la Révolution. Cela suppose une acceptation de cette nouvelle forme de gouvernement. Les fêtes mettent aussi en scène des logiques d’acceptation de la population. La participation aux élections, à la garde nationale, aux exécutions montre aussi une forme d’acceptation.
L’acceptation du gouvernement tient aussi au fait que les acteurs intègrent des outils du gouvernement d’exception, les acteurs locaux ont investi les dispositifs. La révolution montre que la lecture nationale n’est pas toujours possible. Il y a une part de local, d’imprévisible, du contexte. La révolution impose de considérer la capacité d’action des individus. Et le refus ? On a des logiques communautaires qui ne vont pas rencontrer les nouvelles institutions. Les refus portent sur la question centrale des subsistances. Il faudrait considérer les attitudes de refus invisibles. Les archives administratives sont remplies de demandes d’information, de statistiques. Ne pas répondre aux demandes d’information par exemple, est un signe de refus.
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