Cécile Dunouhaud, docteur en Histoire, professeur en lycée en région parisienne, est une Clionaute bien connue, qui s’occupe de Clio-Lycée et de Clio-Prépas avec maestria. Par ailleurs, depuis plusieurs années, elle intervient aux RDVH de Blois pour le compte de notre association. Cette année, avec le thème « Gouverner », Cécile a choisi de revenir sur la question sociale, objet d’étude de sa thèse. En un mot, c’était passionnant !
Introduction
La question sociale a été longtemps une thématique secondaire (Colette Bec, Henri Hartzfeld). Il y a certes la très bonne étude de Yannick Marec (Bienfaisance communale et protection sociale à Rouen. 1726-1927) mais cela reste une histoire difficile, à trous, avec des sources mal conservées. La pauvreté est une « plaie hideuse ». Elle renvoie à l’ « indigence », consignée dans les comptes généraux des hospices, qui peut tour à tour désigner le chômeur pris conjoncturellement dans la nasse et ceux qui, structurellement, sont et demeurent pauvres.
Deux définitions de la pauvreté coexistent. La première renvoie à la faiblesse, à la dépendance, à l’humiliation et à la privation de moyens subies par un individu (Michel Mollat, Les pauvres au Moyen Age, 2006). La seconde désigne l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux (Père Joseph Brzezinski).
Les pauvres ont d’abord été un angle mort politique. Sous la Monarchie de Juillet, avec un cens entre 100 et 300 francs, il n’y a que 250 000 électeurs. Le chiffre est encore plus bas pour les citoyens éligibles. En 1848, l’établissement du suffrage universel accroît forcément le corps électoral mais se trouve immédiatement restreint par une obligation de six mois de résidence.
Que faire face à la pauvreté et pour quels résultats ? L’étude d’Alain Corbin, Archaïsme et modernité en Limousin : pauvreté conjoncturelle et structurelle de la région (1975) a constitué un bon point de départ.
La pauvreté: mesure d’un état au niveau national
Quelles sources et estimations ?
- Plusieurs rapports tentent de quantifier le problème, notamment celui des mendiants et vagabonds. Un préfet du Nord souhaite une étude nationale. Mais cette comptabilité a des limites: elle repose sur une déclaration volontaire en mairie.
- L’analyse statistique des repas fournis par les bureaux de bienfaisance, en sachant toutefois que seulement 25% des communes de France ont ce genre de bureau en 1847.
- Des ouvrages comme Le visiteur du pauvre (1820) écrit par le baron de Gérando (1772-1842), membre de l’Académie des Sciences morales et politiques ou le Tableau de l’état physique et moral des ouvriers du docteur Louis-René de Villermé (1846).
Au moins 10 % de la population relève de l’assistance d’après les enquêtes.
L’assistance, un devoir d’ordre public
L’indigence alimente le crime. Par une série de mesures législatives, l’État mobilise communes et départements dans l’assistance aux démunis :
– loi du 8 mai 1836 sur le financement des mois de nourrice pour les enfants trouvés dans chaque département
– loi du 30 juin 1836 sur l’ouverture d’un établissement public pour aliénés dans chaque département
– loi de 1841 sur le travail des enfants
– loi de 1850 contre les logements insalubres
À côté des Monts-de-piété ou des hospices, qui sont des structures publiques, la pauvreté est prise en charge par les sociétés de secours mutuel.
Représentations culturelles de la pauvreté
Le modèle charitable de l’Ancien régime persiste: le « bon » pauvre ne mendie pas et doit multiplier les efforts pour s’en sortir. Une femme, même pauvre, ne doit pas abandonner (ou pire) ses enfants. Il importe de pouvoir différencier les situations et traitements de l’administration. Les préfets n’hésitent pas à expliquer qu’avant d’expulser, il faut collecter des renseignements.
Mais tout le monde n’obéit pas à cette logique. Certains maires laissent en paix les mendiants valides, pourvu qu’ils ne soient pas agressifs, soient volontaires pour de petits travaux ou soient connus des administrés. L’absence de solutions concrètes modère la répression. Dans certains cas, on restreint l’aumône aux pauvres de la commune, voire on délivre des permis de mendier. En 1839, 59 % des permis sont attribués à des femmes. REVOIR CE CHIFFRE.
On estime que la pauvreté en milieu rural est moins grave qu’en milieu urbain. À la campagne, on peut glaner, on peut cueillir, on peut récupérer du bois. D’autres estiment qu’à l’inverse, l’indigent des champs est trop proche de l’animal pour qu’une aide soit utile.
La pauvreté au niveau local
Quelques budgets municipaux
- Eyjeaux, 850 habitants avant la fin du Second Empire, n’a que 74 francs (2,6 % de ses dépenses) pour ses malades indigents.
- Saint-Léonard-de-Noblat, 6173 habitants, consacre par contre 19,9 % du budget aux pauvres mais il y a un hôpital-hospice.
La maison de travail et de bon secours
La maison de travail et de bon secours de Limoges accueille les mendiants la journée et les met au travail contre des repas. Il s’agissait de tricoter, de filer le chanvre et le lin, etc. On lui donne 625g de pain et de la soupe de pommes de terre et de légumes. La gestion de la maison est confiée à une sœur de la Charité de S-Vincent de Paul. La difficulté à maintenir des souscripteurs, la concurrence de dépôts de mendicité expliquent la faible longévité de la structure.
D’autres moyens d’aider les pauvres :
– don privé
– souscription
– entraide entre les pauvres mais difficile à quantifier.
NB:
Yannick Marec a participé à un ouvrage collectif sur les hôpitaux parisiens en 2007 qui a été commenté par les Clionautes. Par ailleurs, tous nos autres comptes-rendus pour Blois 2020 sont ouverts à la lecture !