Quels contextes historiques rendent possible un gouvernement féminin ? On s’interrogera sur la signification spécifique ou non d’un gouvernement féminin, en différentes périodes et lieux, en présentant les changements de perspectives éventuellement initiés par la recherche récente.


Modérateur: Jocelyne Daklhia, historienne et anthropologue.

Intervenants:

  • Maurice Sartre: historien français, professeur d’histoire ancienne à l’université de Tours, ancien pensionnaire scientifique à l’Institut français d’archéologie du Proche-Orient, spécialiste de l’histoire du monde grec et du monde romain.
  • Corinne Lefèvre: historienne, spécialiste de l’Inde musulmane. Elle revisite plus spécifiquement l’histoire politique et culturelle de l’empire moghol en le réintégrant dans le cadre plus large de l’Asie musulmane précoloniale (d’Istanbul à l’Insulinde, en passant par les sultanats du Deccan). Elle est l’auteur d’une monographie récemment parue aux Indes savantes (Pouvoir impérial et élites dans l’Inde moghole de Jahangir, 1605-1627).
  • Muriel Gaude-Ferragu: historienne, elle a consacré ses recherches au Pouvoir et à ses représentations à la fin du Moyen Âge, en particulier à la notion de Queenship et au gouvernement féminin (La reine au Moyen Âge. Le pouvoir au féminin XIVe-XVe siècle, Paris, Tallandier, 2014). Elle est aussi l’auteure de D’or et de cendres. La mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au bas Moyen Âge (2005). 
  • Fanny Cosandey: Directrice d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS, Paris).

Je vous propose une synthèse des échanges ayant eu lieu entre les différents intervenants.

I- Peut-on parler d’une spécificité du gouvernement des femmes ?

MS (Maurice Sartre): Aristophane pense que les femmes au pouvoir c’est le monde à l’envers. Cela montre un dysfonctionnement de la société. Le titre l’Assemblée des femmes par exemple est en soit quelque chose qui prête à rire. Mais des femmes ont exercé le pouvoir: les deux seules biographies que j’ai faîtes sont sur deux femmes: Cléopâtre et Zénobie.

Dans l’historiographie ancienne, soit ces femmes sont présentées comme des dévergondées absolues et on en parle davantage de leurs amours que de leur politique (Cléopâtre). Soit elles ont une image positive (Xénobie) mais sont présentées comme ayant la virilité de l’homme. On a donc le choix entre l’absurde ou la copie de l’homme. Gouverner comme un homme les rend-elle plus populaire ? Oui, mais la popularité ne joue pas beaucoup. Cléopâtre a toujours co-régné avec un homme. Les Alexandrins n’ont jamais supporté qu’elle règne seule.

MGF (Murielle Gaude-Ferragu): le substrat biblique est important. Les femmes sont inférieures de corps et d’esprit aux hommes. Ces femmes qui gouvernent sont des pécheresses (Référence à Ève). Pendant tout le Moyen Âge, on retrouve dans les sermons des prédicateurs toute une série d’images négatives de ces femmes. En effet, ces femmes sont vues comme Ève avec comme pendant Marie. Les femmes n’ont pas les mêmes droits civiques. Elles sont reléguées dans une sphère domestique sous autorité du père puis du mari. Elles ne prennent pas la parole dans la sphère publique. Pourtant, des femmes ont gouverné et bien gouverné. On a prêté des qualités masculines à celle qui ont gouverné: « un coeur d’homme dans un corps de femme ».

Dès 1316, Louis X meurt, sa fille est exclue du trône par un coup de force. Cela a été justifié par la loi salique. Un autre argument était de dire que la femme étant exclue du sacré, elle ne pouvait pas recevoir l’onction du saint chrême. Les reines sont soit des régentes (Blanche de Castille reste un modèle: qualités masculines, pouvoirs régaliens) soit des épouses de roi. Elles ne sont pas des rois au féminin. Mais il y a bien un métier de reine, cependant la reine de légifère pas. Elle doit participer à la circulation de l’amour dans le royaume. Elles font un mécénat artistique et littéraire très important. Très souvent on leur donne l’image d’être médiatrices de paix, elles inoculent la paix en arrivant dans le royaume. De plus en plus, à la fin du Moyen Âge, on assimile la reine terrestre à la reine céleste: la Vierge Marie. Dans l’historiographie, toutes ces femmes ont toujours été de mauvaises reines, toujours cupides, frivoles, empoisonneuses.

FC (Fanny Cosandey): le pouvoir monarchique est un pouvoir masculin. La monarchie française a la loi salique alors que les autres monarchies non. En revanche, il s’agit de dynastie, donc on a une transmission familiale. Dans un régime dynastique, il y a une dimension politique et donc successorale. À l’homme appartient l’extérieur et à la femme l’intérieur sans hiérarchisation absolue. Ce que la femme apporte d’un point de vue domestique est aussi important que ce qu’apporte le roi dans le domaine politique.

Si le politique est de l’ordre du masculin, ce même politique peut dans certaines situations céder le pouvoir à l’épouse d’un roi incapable par exemple. La reine exerce au titre d’épouse ou de mère d’un gouvernant. À la fin du XVIe siècle, la loi salique est une loi de Dieu parce que c’est naturel, parce que les femmes ne sont pas capables. Pour justifier le pouvoir des femmes on va dire qu’elles sont naturellement portées par l’attention à leur famille donc il est normal qu’elles exercent le pouvoir en cas d’impossibilité du roi.

CL (Corinne Lefèvre): en Asie du sud, il y a une domination musulmane sur l’Inde. Du XIe au XIXe siècle, on peut retenir quelques figures marquantes. Par exemple au XIIIe siècle, la sultane de Delhi Razia (1236-1240). Les esclaves militaires de son père la portent au pouvoir car il espèrent qu’étant une femme, elle sera plus facilement manipulable. Cela n’a pas été le cas. En Inde, les femmes gouvernaient bien avant la période coloniale.

L’Asie du sud est assez en avance par rapport à l’accessibilité des femmes aux plus hautes fonctions exécutives. Pour l’accès au pouvoir, ces femmes empruntent les mêmes réseaux familiaux puis de caste. Quand elles sont au gouvernement, elles ne gouvernement pas de façon typiquement féminine. Le stéréotype angélique est faux.

Une fois au pouvoir, les femmes n’ont pas défendu la cause des femmes. De plus, il y a un facteur culturel qui joue dans l’acceptabilité de ces femmes à des hautes fonctions: l’hindouisme avec la figure de la déesse qui n’est pas uniquement du côté de la maternité mais aussi de la guerre et du pouvoir.

II- Comment a évolué l’historiographie sur ces questions ?

MS: l’historien a beaucoup de difficultés à accéder à la réalité de ce qu’est le pouvoir des femmes. Les sources sont souvent rédigées par les hommes. Dans l’Antiquité, le pouvoir des femmes est une image que les hommes ont dans la tête et qui s’applique à toutes les femmes sans nuance. La femme de pouvoir est assoiffée de pouvoir, de luxe et de sexe. Les mêmes portraits se retrouvent dans l’historiographie antique. Xenobie échappe à ces stéréotypes car elle est vue comme un homme d’une certaine manière. Si on veut arriver à savoir si le pouvoir a un aspect particulier, il faut passer par autre chose que les textes. On peut aborder la question par l’action, par les inscriptions.

MGF: une vision noire est transmise dès l’époque médiévale. On a toujours la vision de la mauvaise reine. La traitre qui a vendu la France. La seule qui échappe à cette noirceur c’est Blanche de Castille car c’est la mère de Saint-Louis. Si les femmes sont exclues de la couronne de France, il y a des héritières de grandes principautés. On peut voir, dans l’action, ces femmes héritières agir. Elles ont un pouvoir important même dans les domaines militaires et financiers. Depuis 20 ans, des études sont menées sur ces femmes. Ce ne sont pas des biographies, mais des ouvrages qui s’intéressent à des sphères précises: éducation, transmission de culte…

FC: comme les femmes n’ont pas une absolue légitimité, des aspects vont être renforcés. Renforcement des clientèles par exemple car elles ont plus besoin de soutien. En tant que femmes dans un régime dynastique masculin, elles ont moins de légitimité. Les reines de France que l’on connaît ce sont uniquement des reines qui ont exercé le pouvoir. Par exemple, Catherine de Medicis est très connue car elle a exercé le pouvoir pendant près de 40 ans. En revanche, toute la première partie de sa vie est inconnue ou presque. C’est bien le rapport au pouvoir qui fait exister ces femmes.


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