Les médias, et tout particulièrement ceux de l’image, jouent un rôle central dans les politiques publiques : comment, en contexte démocratique, ont-ils été instrumentalisés pour gouverner les esprits et les corps des citoyen·ne·s ?
Intervenantes :
Anne-Claude AMBROISE-RENDU, professeure de l’université de Versailles-Saint-Quentin-en Yvelines. Spécialiste d’histoire de la justice et du crime, de l’histoire des médias, d’histoire de l’environnement.
Bibia PAVARD : Membre de L’institut universitaire de France, agrégée d’histoire, diplômée de l’IEP de Paris, docteure en histoire, maitresse de conférence Paris 2 Panthéon ASSAS. Spécialiste d’histoire politique et culturelle du contemporain, histoire des femmes, du genre et du féminisme.
Isabelle VEYRAT-MASSON : directrice de recherche au CNRS, historienne et sociologue des médias, mémoires collective et communication politique. Analyse des médias, son rôle. Spécialiste d’histoire de la télévision.
Géraldine POELS (modératrice) : historienne, responsable de la valorisation des fonds de l’INA. Spécialiste de l’histoire de la télévision.
La table ronde animée par Géraldine Poels, est proposée par l’Institut national de l’Audovisuel.
- Introduction de Géraldine POELS (GP) :
La modératrice introduit la table ronde avec les idées suivantes :
– « Gouverner par les médias est une problématique bien connue en sciences politiques ».Elle se réfère à Noam Chomsky (linguiste américain, fondateur de la linguistique générative) et son ouvrage la fabrique du consentement (1988). Cet ouvrage marque la naissance de l’étude des rapports entre les mass medias et les pouvoirs (économique et politique).
– « L’accréditation du rôle social des médias est réelle, mais les médias n’ont pas seulement un rôle de propagande ».
Ces deux idées permettent d’introduire les deux champs de réflexion de la table ronde :
Les médias sont-ils des producteurs et des prescripteurs de la pensée unique ?
Les médias sont-ils des courroies de transmission des idées pour les gouvernants ?
Les médias, producteurs et prescripteurs de la pensée unique ?
I ) Aliénation, domination et opinion publique
Isabelle VEYRAT-MASSON ( IVM) :
La domination et la force d’aliénation des médias
L’idée du contrôle des médias vient de l’École de Francfort, qui est liée à l’étude des totalitarismes.
Deux hypothèses existent :
– La présence massive des médias dans nos vies est décisive dans l’accès au monde et à sa connaissance.
– La multitude des médias conduit à la passivité du public.
Dans les deux cas, tout cela s’adresse à un peuple atomisé et incapable de se mettre d’accord pour résister au message médiatique.
Elle illustre les théories de l’aliénation et de la domination médiatique, avec les exemples suivants :
– la Guerre des mondes d’Orson Welles. Idée très forte que par les messages des médias on peut guider la pensée.
– L’emprise du journalisme de Pierre Bourdieu, en 1996 « censure invisible », « altérer le monde de la philosophie,… »
– « celui qui tient les médias, tient le pouvoir par la censure, le contrôle et la fabrique l’information.
Médias de la tyrannie
Une autre idée est avancée : « tous ceux qui ont le pouvoir cherchent à gouverner les médias. »
Lors de la Révolution française : les journaux se multiplient. Elle prend pour exemple, Brissot et Marat. Après 1815, la volonté de l’État est de contrôler les médias.
Avec l’apparition de la démocratie, les lignes bougent : le peuple qui faisait si peur durant l’Ancien Régime, devient l’opinion publique. Cette opinion publique est mesurée grâce à l’apparition des instituts de sondage.
L’Opinion Publique, émergence d’un instrument démocratique ?
L’opinion publique se fait en dehors des médias. En effet, le message médiatique n’est pas une seringue hypodermique, mais il fonctionne en dialectique.
L’opinion publique précède les médias. IVM s’appuie sur la thèse et les travaux portants sur les médias et la guerre de décolonisation. Les médias sont toujours dans l’accompagnement et non dans la fabrique de l’opinion publique. Exemple choisi est celui de la guerre d’Algérie. En 1957, les médias ont accompagné la guerre. extrait de l’INA
La complexité des rapports entre média et pouvoir est effective, notamment lors des campagnes politiques. Les prises de position publiques sont toujours faites en contradiction. Comme en 1968, la télévision traite des « événements de 1968 » et les débats sont montrés. La répression est terrible sur les journalistes et les médias.
II) Média et sexualité, quels liens ?
Anne-Claude AMBROISE-RENDU (AC. AR)
La sexualité devient un objet de science médiatisé
Tout commence vers 1920 avec la Sciencia sexualis . Les individus se reconnaissent sur un système de règles et de contraintes. Cela se substitue à l’ars erotica, et donne lieu à une typologie des comportements sexuels, qui s’articulent par des critères de normalité. La sexualité devient alors un objet de sciences. L’exemple pris, la loi de la pudeur, est la retranscription d’une discussion radiophonique entre Michel Foucault, Jean Danet et Guy Hocquenghem.
La profusion de la sexualité dans les médias
Les médias se mettent à parler de façon profuse de sexualité. Le magazine « Union » est cité. Ce mensuel crée en 1972 est un magazine de charme avec une rubrique qui a fait son succès : Le courrier des lecteurs. Aujourd’hui, il s’agit d’un guide interactif des conseils amoureux. Selon les premiers directeurs du mensuel : ils se considèrent comme « les prescripteurs et les dépositaires de la libido des Français ».
La libération sexuelle médiatisée
Cet envahissement de la pédagogie sexuelle dans les médias est lié à la « peopolisation ». Brigitte Bardot en est l’incarnation totale .
Dans la mouvance de la libération des corps des années 1960 et 1970, un renouveau s’effectue vis-à-vis de l’éducation sexuelle.
Pour preuve, la Fondation de la société française de sexologie clinique en 1974 par cinq médecins (Charles Gellman, Michel Guenkine, Gilbert Tordjemann, Gérard Vallès et Jacques Waynberg).
III) Les campagnes politiques sur des sujets qui touchent l’intime
Bibia PAVARD
Il existe des travaux de sciences politiques sur la campagne pour l’égalité Femmes-Hommes, les instances étatiques de la promotion Femme/Homme, le féminisme institutionnel dans les années 1990/1980.
Les images pour transformer les représentations.
Le maniement d’un certain nombre d’images est effectué pour transformer les représentations.
Les médias ont alors un rôle très important : la diffusion de N° vert, les campagnes d’affichage, les spots publicitaires.
La volonté est de garantir une appropriation concrète des actions par les citoyennes. C’est une des idées phare de ces politiques publiques si l’égalité réelle est bloquée par l’opinion publique.
Les médias, un outil de diffusion étatique
La ministre Yvette Roudy 1981-1986 démontre, dès sa prise de fonction, sa volonté d’agir par la communication. Elle adresse une lettre aux préfets présentant sa politique : « la volonté de ne pas diriger un ministère de la condition féminine, mais un déconditionnement des hommes et des femmes. »
Les premières grandes campagnes pour la contraception ont lieu entre 1981 et 1982. Le spot de campagne est diffusé le 17/11/1981 sur France 2.
Plusieurs points sur la fabrique de cette campagne :
– Elle a vocation à être vue à la TV, par des flyers,…
Selon Yvette Roudy ( ministre des Droits de la Femme) « il faut que ce soit un sujet où l’on discute partout », «l’information sur la contraception est un droit ».
– Elle pointe les inégalités de la contraception chez les jeunes et les personnes défavorisées.
– Elle illustre la multiplicité des acteurs dans le déconditionnement des hommes et des femmes
La prévention de la violence conjugale par les médias
Il existe de nombreux acteurs et outils médiatiques à ce sujet : Les associations féministes, qui relayent leur propres études; les enquêtes sur les violences conjugales, et une politique gouvernementale nationale et internationale qui diffusent des campagnes de prévention à partir des années 1980-1990.
Pour appuyer son propos BP se sert de ces différents exemples :
– Un spot télévisé du 9/11/1989 . Ce spot vient brouiller les frontières entre les politiques publiques et la sphère privée. Germe alors l’idée que le foyer peut être un foyer d’oppression, autant que la rue.
– La professionnalisation des associations qui effectuent leurs campagnes, en gérant la communication du début à la fin. Notamment l’association « la Honte doit changer de camp », « Nous toutes », le mouvement mee too . Cela démontre que la communication peut être militante et productrice de savoirs.
Cette table ronde, qui devait aborder le thème gouverner par les médias, s’est révélée être une suite de réflexions décousues et sans liens ni interactions entre les intervenantes. Par ailleurs, la direction des esprits par les médias est peu abordée. La gouvernance des corps se focalise uniquement sur le corps de la femme, les violences faites ; alors que le sujet invitait, sans doute, à une réflexion plus globale. Enfin, le seul avantage de cette table ronde est d’avoir tenté d’exposer des pistes de réflexion sur des champs de recherche étroits.