Histoire de la Rome souterraine : les mystères des catacombes dévoilés. Païens, juifs, chrétiens et la christianisation du monde funéraire à Rome (IIIème-IXème siècles).
Salle Lavoisier conseil départemental. Salle comble.
Introduction par Benoit de Sagazan, rédacteur de la revue La Croix (un dossier sur ce thème est consultable dans un numéro de l’an dernier). Les catacombes, c’est un monde qui fascine, à la fois souterrain et méconnu, plein de légendes dorées mais noires aussi. Qu’est-ce que l’archéologie et l’histoire de l’art nous apprennent de ce monde en partie méconnu ?
Philippe Pergola, archéologue, rattaché à l’université de Nice et au Pontfico Istituto di Archeologia Cristiana se fait le guide dans ces sept siècles de dédale.
Il introduit son propos en notant qu’après quatre siècles de recherches, il s’est créé une mythologie des espaces souterrains, des galeries, espaces mystérieux par essence. En outre, le monde funéraire fascine.
Il rappelle que c’est Antonio Bosio (1575-1629), archéologue chrétien, qui amorce une première approche « scientifique ».
Dans la seconde moitié du XIXe, ces catacombes seront un théâtre de recherches de l’archéologie chrétienne puis de l’institut pontifical qui œuvre pour cette archéologie chrétienne.
Catacombes et hypogées sont des espaces funéraires chrétiens. La différence est une différence de superficie, l’hypogée faisant moins de 300m2. Ces ensembles sont hors les murs de la cité.
On parle des catacombes mais les propos sont trop souvent décontextualisés : il faut voir leur évolution et ce qui se passe autour (le suburbium romain est à prendre en compte). Les catacombes naissent sur les zones funéraires romaines depuis le Ve siècle avant J-C (le monde des vivants et le monde des morts étant toujours séparés chez les Romains). Continuer à être vu est essentiel : ceux qui en avaient les moyens plaçaient leurs tombeaux le long des voies (Via Appia : tombe de Cecilia Metella). Alors pourquoi s’enterrer ? Une hypothèse penche pour les influences des religions orientales dont le christianisme fait partie, et notamment les religions qui croyaient en la résurrection des corps et donc la nécessité de conservation des corps. Mais un autre élément est à prendre en compte : le suburbium de Rome est très embouteillé ; or, les catacombes naissent dans ce contexte, à la fin du IIème et au début du IIIème siècles. Les sépultures existent depuis le Vème siècle avant JC et nécessitent une place importante. On creuse donc le long des mausolées sur la Via Appia, la roche étant assez solide en général pour soutenir les galeries. Le droit romain entre en considération dans cette réflexion puisqu’on est propriétaire des Enfers jusqu’au ciel de son terrain. De plus, des raisons agricoles s’ajoutent car Rome est une ville en extension et la population augmente : les productions agricoles se rapprochent de la ville et de grands complexes apparaissent. Les sépultures n’ont plus la place nécessaire. Elles se rapprochent des murs de la ville et on s’enterre.
Enfin, sous terre, les pauvres voient leurs tombes préservées alors qu’en surface elles étaient vite balayées : ils peuvent donc attendre la résurrection.
Ce ne sont pas seulement les Chrétiens mais aussi les païens, probablement aussi les Juifs qui vont créer leurs catacombes. On trouve des catacombes juives sur la Via Appia mais aussi à proximité du Trastevere, milieu populaire juif dont nous avons hélas gardé peu de traces.
Tout semble commencer sur la Via Appia. Le sous-sol est exploité pour le tuf de construction à l’époque républicaine et impériale. On a donc des traces des conduits souterrains pour drainer les eaux de pluie vers les grandes citernes. Des galeries existent avant la conception des premières catacombes mais ces carrières et conduits ne seront pas utilisés; seul le savoir-faire est récupéré.
Un culte des martyrs naît et la manière dont il se développe est intéressante car il suit une lente évolution (les cultes de St Pierre et St Paul apparaissant très vite).
Les voies Appia et Ardeatina ont du succès car ce sont déjà des voies funéraires romaines auxquelles s’ajoutent les tombeaux des premiers évêques de Rome ainsi que des martyrs prestigieux. Ces catacombes se jouxtent sans contact. Les complexes des catacombes de Calixte et Domitille (douze et quinze kilomètres de long) sont un exemple de galeries qui ne communiquent pas entre elles.
La catacombe de Domitille naît à partir de cinq hypogées qui se rejoignent. Elle est sur deux étages. Sont connues l’hypogée païen dit des Flaviens, l’hypogée d’Hipoliatus et l’hypogée dit du bon pasteur (à cause d’un berger représenté). Elle a connu plusieurs approfondissements successifs puis des remblais ce qui donne naissance à une archéologie complexe.
Jean-Michel Spieser est le second intervenant de cette table ronde. Son intervention porte en premier lieu sur les premières représentations du Christ qui sont des images surprenantes. Elles datent du début de l’art chrétien (IIIe siècle). Les communautés chrétiennes deviennent plus importantes et plus riches. Il y a une envie d’exprimer la religion à cette époque dans le monde romain (la maison église de Doura Europos est à peu près contemporaine des premières peintures des catacombes).
On trouve ces images dans les cubicula creusés mais elles sont rares. Le Christ apparaît dans des scènes seulement (exemple de la résurrection de Lazare). Ces images s’adressent à un public initié. Aux IV-Ves siècles, le Christ est représenté plus facilement et particulièrement dans la scène du baptême, jeune et enfant (des images plus tardives confirment cette représentation enfant comme sur les sarcophages). Ces images posent question car ne sont pas en corrélation avec les textes bibliques qui parlent du baptême du Christ adulte. Ces images sont réalisées pour montrer le sens profond et, dans le cas présent, cette signification est donnée par les textes qui parlent toujours du baptême comme d’une nouvelle naissance. Cela marque l’insistance sur ce jeune âge qu’il faut comprendre symboliquement.
Jean-Michel Spieser s’attarde ensuite sur l’image de la colombe dans la peinture de la catacombe des saints Pierre et Marcellin. Elle est accompagnée d’une représentation de l’eau pouvant être interprétée comme le Jourdain, fleuve qui est celui du Paradis. Des textes du IIIème siècle précisent que l’eau courante doit être utilisée dans la mesure du possible pour le baptême. Cette exigence des textes a été abandonnée dans les faits pour raisons pratiques. On retrouve cette image de l’eau issue du Ciel sur la stèle funéraire d’Aquilée, jeune femme convertie et baptisée adulte.
Le bon pasteur est une image plus problématique dans son interprétation : dans un ensemble où il n’y a pas d’autres signes chrétiens, il ne faut pas l’interpréter comme une représentation du Christ. La question étant : est-ce qu’on peut dire que parfois le bon pasteur représente le Christ ? Associé à l’arche de Noé (« archa » en grec = coffre, d’où les représentations de coffres sur les peintures), c’est tout à fait possible par exemple. Dans la catacombe de Callixte, la voûte du cubiculum 2 représente Daniel dans la fosse aux lions et un pasteur redoublé mais en position non centrale. De même, sur le sarcophage de Julia Juliana, ce bon pasteur est en position latérale et en lien avec scène bucolique. Quand le Christ est vraiment représenté, il est bien plus mis en valeur. On peut donc douter dans les deux cas cités de cette interprétation.
Mais il est pratiquement impossible de savoir ce que le peintre et le commanditaire ont voulu faire : cette ambiguïté est d’ailleurs peut-être voulue.
Enfin, la question du Christ imberbe a intrigué. Le Christ est représenté ainsi jusqu’au milieu du IVe siècle avec une exception : une plaque visible au Musée national de Rome où il est représenté barbu. Après le milieu du IVème siècle, des Christ barbus apparaissent ce qui devient possible car on s’éloigne du monde antique : la confusion avec les dieux de l’Olympe n’est plus possible. Ainsi, on remarque des Christ barbus trônant. Néanmoins, des sources indiquent que des païens font représenter un Christ barbu pour continuer à adorer Jupiter.
Des Catacombes aux iconoclastes pour poursuivre cette découverte.
Questions :
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Est-ce que l’on connaît tout des catacombes ?
Pour Philippe Pergola, c’est un vaste débât. On y fouille et on y a fouillé très peu car, dans l’archéologie chrétienne, la fouille stratigraphique n’était pas utilisée. Ainsi soixante-cinq catacombes et hypogées sont connues autour de Rome et seulement cinq ont été véritablement étudiées.
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Refuge ou cultes secrets : d’où viennent ces légendes ? Philippe Pergola indique que deux papes ont été concernés par les tortures dans les catacombes seulement, ce qui a constitué cette légende.
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Le bon pasteur : quelle lecture païenne ? Jean-Michel Spieser indique qu’il apparaît dans des images buccoliques, de retour de l’Age d’or… Il symbolise alors la bienveillance envers son prochain.
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A quelles images et signes reconnaît-on les tombes païennes / chrétiennes : Jean-Michel Spieser fait état des représentations (poisson, ancre, colombe, berger) et de l’épigraphie. Philippe Pergola ajoute que les formules et l’iconographie chrétiennes sont très codifiées.
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Y a-t-il d »autres catacombes ? Philippe Pergola indique celles de Naples, de la Sicile avec Syracuse (avec inscriptions grecques et latines) mais aussi Agrigente, Malte, la Tunisie, et d’autres dans le Latium. Mais pas au-delà et cela est peut-être dû au problème de la roche. Jean-Michel Spieser donne une précision sur celles de Naples : on peut y voir de nombreuses peintures mais elles sont peu étudiées.
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On remarque de curieuses pratiques dans les catacombes (exemple des sarcophages avec des trous) : certaines pratiques des banquets funéraires lors de l’anniversaire des défunts se sont poursuivies. On trouve ainsi des triclinia dans les catacombes, des trous de libations… L’Eglise s’est opposée fortement à cette pratique de banqueter et de s’enivrer sur les tombes des martyrs. Des textes aussi interdisent les rassemblements sur les tombes.
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Qu’est-ce qui met un terme à la pratique des catacombes ? Philippe Pergola montre une fin très lente. Au IXème siècle, il y a un transfert en masse des reliques à l’intérieur de la ville (il cite les « barbares des reliques » qui commencent à vendre des reliques au milieu du Ixème siècle). Un problème d’entretien de ces sanctuaires se pose car nous sommes à l’époque des papes constructeurs (on construit dans les murs mais on n’entretient plus vraiment en extérieur). Jean-Michel Spieser complète en abordant le dépeuplement de Rome.