Histoires connectées : des fixeurs au Moyen Âge à la France d’ici et d’ailleurs
Il semble évident que l’émission de France Culture consacrée à l’histoire se déroule en direct lors du premier événement consacré à cette discipline. Xavier Mauduit a conservé cette tradition en invitant trois historiens sur le thème de la connexion.
Comment un événement historique qui se déroule sur un espace particulier permet-t-il d’influencer, du point de vue des idées, mais également dans le champ politique et économique, à notre espace ?
La présentation de l’émission que nous reprendrons in extenso, avant d’en livrer quelques éléments, et bien entendu de renvoyer nos lecteurs aux podcasts de l’émission, aborde dès le début la question de la transmission, avec le rôle de ces intermédiaires que l’on utilise avec un vocabulaire très contemporain, celui des journalistes, souvent d’investigation, parfois des correspondants de guerre, que l’on appelle les fixeurs.
C’est une historienne croate qui a elle-même joué ce rôle pendant la guerre en ex-Yougoslavie qui a ouvert le débat. Les fixeurs ne sont pas forcément des enfants de chœur, ils sont animés souvent par l’esprit de lucre, mais pas toujours. Le journaliste aujourd’hui, le commerçant du Moyen Âge, Marco polo par exemple, l’explorateur, sont évidemment obligés de faire appel à ses personnages interlopes, mais qui leur permettent d’accéder à des endroits qui ne leur seraient pas accessibles autrement.
Évidemment, mieux vaut se méfier parfois. Comment ne pas penser au moment de ces échanges assez personnels qui ont servi de fixeurs, pour le compte des armées occidentales en Afghanistan pendant 20 ans. La question a été posée par Zrinka, à propos du contrat. Une fois le contrat rempli, l’explorateur, la section de renseignement pour une armée, a versé sa rémunération au fixeur comme contrepartie de son travail. Mais au moment du départ, surtout dans les conditions que l’on a pu observer à Kaboul le 15 août 2021, que deviendra ce fixeur s’il ne trouve pas une place dans un des derniers avions ?
Zrinka Stahuljak est professeure de littérature et civilisation médiévales aux départements de Littérature comparée et d’Études françaises et francophones et directrice du Centre des études médiévales et de la Renaissance à l’Université de Californie, Los Angeles (UCLA). En français, elle a publié L’Archéologie pornographique. Médecine, Moyen Âge et histoire de France (Presses universitaires de Rennes, 2018) et sort en octobre 2021 au Seuil Les Fixeurs au Moyen Âge. Histoire et littérature connectées. Ce livre a fait l’objet d’un cycle de quatre leçons au Collège de France en juin 2018.
Le dernier ouvrage dirigé par Quentin Deluermoz, s’intitule : « d’ici et d’ailleurs. Histoires globales de la France contemporaine, publié aux éditions la Découverte cette année. Il est difficile de ne pas penser à un autre ouvrage, l’histoire mondiale de la France, et bien entendu il convient d’en montrer les différences.
Pour la somme dirigée par Patrick Boucheron, il s’agit de prendre dans l’histoire des dates et des événements qui montrent comment la France s’inscrit dans une histoire connectée. Pour Quentin Deluermoz, avec les auteurs qu’il dirige, il s’agit d’inscrire cette histoire connectée dans un schéma interprétatif, pendant la période 1750–1930. Il s’agit de montrer comment la France a pu avoir une influence originale, sans être pour autant la puissance dominante de la révolution industrielle, rôle joué par la Grande-Bretagne de la première mondialisation. Elle s’inscrivait pourtant dans un créneau particulier, en s’appuyant sur son empire colonial, mais aussi sur l’activité industrielle, un secteur dans lequel elle continue parfois à s’imposer, celui du luxe. Auparavant, notamment pour le textile, on pouvait parler du luxe et du demi-luxe, ce domaine ayant été très largement délocalisé depuis.
Mais la France connectée, c’est également des débats d’idées, des concepts qui circulent, notamment à partir de la révolution française qui a repris en partie l’héritage des événements d’outre-Atlantique moins d’une décennie auparavant. La France produit des passeurs de révolution, même si leur réception n’est pas toujours enthousiaste. Ils assument les transferts d’idées comme réfugiés comme exilés.
C’est d’ailleurs le travail de Delphine Diaz dans l’ouvrage cité plus haut, avec sa collaboration au chapitre deux : France, carrefour des révolutions. Genèses nationales et globales d’un espace-temps révolutionnaire ».
Ces transferts d’idées on les retrouve à l’intérieur de chaque que moment historique, avant la révolution de 1848, on pourrait citer Bernard Lewis qui aborde dans le mouvement de réforme de l’empire ottoman, l’influence de la révolution française. Mais l’on apprend également que la révolution de 1848, appelée le printemps des peuples en Europe, a pu avoir un impact jusqu’en Nouvelle-Zélande.
Au passage la langue française a pu en être le vecteur, jusqu’à une époque assez tardive. Langue des élites, langue de cours, langue de la diplomatie, jusqu’au congrès de Berlin sur le partage de l’Afrique en 1885, sous la présidence de Bismarck. Le français est omniprésent.
Le paradoxe c’est que cette langue mondiale, largement supplanté par le Globish aujourd’hui n’était pas comprise par plus de 25 % de la population du pays en 1864. L’école de Jules Ferry à jouer son rôle unificateur également dans ce domaine.
Le concept de république n’est pas seulement une spécialité française, même si le terme est tellement utilisé aujourd’hui, surtout associé à des valeurs, que l’on n’a du mal parfois à s’y retrouver. La question est de savoir de quelles valeurs on parle. L’Amérique du Nord comme l’Amérique du Sud ont développé des modèles de républiques, l’un d’entre eux étant encore particulièrement stable, avec la même constitution depuis 1787.
L’échange a été particulièrement riche, chacun des auteurs a forcément tenu à présenter la spécificité de sa démarche, mais c’est la loi du genre. On appréciera toutefois, et pour l’auteur de ces lignes, c’était la première fois qu’il assistait à l’émission en direct, la pertinence des transitions musicales choisies par l’équipe du cours de l’histoire et certainement par son principal animateur. La marseillaise chantée en langue russe, permettant de montrer la diffusion des idées de la révolution française, mais aussi, et pour ce qui me concerne c’était difficile de ne pas y penser, cette chanson qui appelle au grand large, « c’est un fameux trois-mâts ». J’étais un peu touché par cette chanson qui a été celle de ma jeunesse dans le mouvement du scoutisme, je le suis encore un peu plus lorsque je sais que la tournée d’Hugues Aufray qui devait se produire à Béziers en octobre n’aura pas lieu dans cette ville.
La salle n’est pas disponible, elle a été retenue, et attribuée par la mairie de Béziers, à un certain Éric Zemmour. Cela nous éloigne très largement de l’histoire connectée, et des valeurs d’échange que cette histoire porte.
Histoires connectées : des fixeurs au Moyen Âge à la France d’ici et d’ailleurs
Quentin Deluermoz est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Paris. Il a publié plusieurs ouvrages, parmi lesquels Commune(s), 1870-1871 (Seuil, 2020), ou, avec Pierre Singaravélou, Pour une histoire des possibles (Seuil, 2016). Il a dirigé l’ouvrage D’ici et d’ailleurs. Histoires globales de la France contemporaine (La Découverte, 2021).
Delphine Diaz est maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université de Reims Champagne-Ardenne et membre junior de l’Institut universitaire de France. Co-autrice de l’ouvrage D’ici et d’ailleurs. Histoires globales de la France contemporaine (La Découverte, 2021),elle a collaboré au chapitre 2 « France, carrefour des révolutions. genèses nationales et globales d’un espace-temps révolutionnaire ». Elle publie également En exil : les réfugiés en Europe, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours (Gallimard, 2021).
Zrinka Stahuljak est professeure de littérature et civilisation médiévales aux départements de Littérature comparée et d’Études françaises et francophones et directrice du Centre des études médiévales et de la Renaissance à l’Université de Californie, Los Angeles (UCLA). En français, elle a publié L’Archéologie pornographique. Médecine, Moyen Âge et histoire de France (Presses universitaires de Rennes, 2018) et sort en octobre 2021 au Seuil Les Fixeurs au Moyen Âge. Histoire et littérature connectées. Ce livre a fait l’objet d’un cycle de quatre leçons au Collège de France en juin 2018.