Et si, contrairement à la vision patriarcale de la préhistoire héritée du XIXe siècle, les femmes avaient, elles aussi, peint Lascaux, chassé les bisons, taillé des outils, inventé des techniques ? Restituons enfin leur juste place dans l’histoire de l’évolution.
La conférencière Marylène Patou-Mathis introduit son propos en revenant sur l’épistémologie et l’historiographie de la question.
Au XIXe siècle le classement des hominidés se fait sur une base anthropomorphique. Il en découle une hiérarchie des « races » et une hiérarchie homme/femme.
La femme serait inférieure par nature. Selon Paul Broca, elle est fragile et a un petit cerveau (environ 180gr moins lourd que celui des hommes). Cette idée renforce celles défendues par Platon ou Aristote et plus tard, par Pierre-Jean-Georges Cabanis (1757-1808)1. La femme se destine à la procréation, elle est gouvernée par le sexe (hystérie chère à Hypocras). L’idée est très présente aussi au XIXe siècle.
En conséquence, on doit la mettre sous tutelle et la cantonner à la sphère domestique (voir Proudhon2). Le discours médical rejoint le discours religieux, comme le montre Françoise Héritier avec les menstrues, qui permettent d’analyser les « humeurs » féminines. Les femmes peuplent les hôpitaux psychiatriques… Elles sont considérées comme dénuées de raison et de créativité. Ce déterminisme biologique s’appuie sur la théorie de l’évolution et a fortement influencé les préhistoriens (Jacques Boucher de Perthes ou Gabriel de Mortillet3) : idée que ce qui est plus ancien est inférieur à ce qui est plus récent.
Que nous disent les données archéologiques ?
Tout d’abord, nous disposons de squelettes et de représentations féminines. La conférencière remarque que ce que l’on dit aujourd’hui des femmes en préhistoire doit toujours être justifié alors qu’on n’exige pas la même chose pour les hommes. Les squelettes peuvent désormais s’étudier comme squelettes féminins grâce à l’ADN. Les femmes néandertaliennes4 ont une forte ossature.
Pour les représentations5 (voir les travaux de Claudine Cohen6), on a beaucoup d’images vulvaires du paléolithique.
Les hommes préhistoriques n’ont sans doute pas la même idée de la femme dangereuse dont le sexe doit être caché8.
On les retrouve vers – 25 000 ans de l’Angleterre à la Sibérie, leur sens est sans doute différent. Ce serait une erreur de n’en rester qu’à l’hypothèse. Les formes sont variées : gravures rupestres, statuettes, Vénus plantées ou amulettes portées en pendentifs (peut-être pour protéger l’accouchement). Elles sont visibles dans des cultures différentes comme le montrent les outils lithiques qui les accompagnent.
On peut supposer que ces représentations ont été faites par des femmes (peut-être des autoportraits car il n’y a pas de traits du visage). Les femmes allaient dans les grottes, on le sait aujourd’hui. Pourquoi pas des représentations de divinités féminines ?
La division sexuelle du travail
Qui a taillé les outils lithiques ? On peut déterminer si c’est un débutant ou quelqu’un de chevronné mais peut-on dire si c’est un homme ou une femme ? L’argumentation classique se base sur les peuples chasseurs qui existent encore aujourd’hui. Les femmes assurent la cueillette, la construction des huttes, le tannage des peaux et la confection des bijoux mais ces peuples aussi ont évolué. Ils ne sont pas des hommes préhistoriques et leurs cultures sont très diversifiées. On a conclu trop vite que la femme assurait la cueillette et le travail des matières souples. Il est difficile de sortir de cette représentation mentale, de ses clichés.
Or quand on cherche on trouve : les Néandertaliennes ont la même déformation du squelette que les hommes (trace du lancer des armes de chasse). Les traces de mains dans les grottes montrent qu’il y a des hommes et des femmes
Donc pourquoi n’auraient-elles pas peint des scènes comme à Chauvet ou à Lascaux (-25 000 ans AP) ?
Le statut social
Pour les sépultures, on a autant d’hommes que de femmes, avec le même mobilier funéraire et les mêmes parures.
Par exemple à Saint-Germain la rivière (-15 570), on voit une femme en apparat ; ce qui montre que le statut social ne différencie pas les hommes des femmes mais les femmes entre elles. (http://journals.openedition.org/paleo/docannexe/image/1293/img-3.jpg).
Des sociétés matriarcales ?
C’est un point controversé. Les sociétés matriarcales sont sans doute antérieures ou sociétés patriarcales. Le pouvoir est transmis de mère en fille car c’est la seule trace connue de lignée. La paternité est incertaine. La connaissance d’un savoir sur la procréation ne serait apparue qu’avec l’élevage, par l’observation. On ne peut donc pas l’affirmer mais on peut supposer l’existence d’une société matrilinéaire et ce, sans doute jusqu’à l’âge du bronze. Le travail reste à faire.
En effet, la période charnière est le néolithique : réchauffement climatique, sédentarisation, domestication, d’où un changement sociétal. Les castes et les inégalités apparaissent, avec sans doute un bouleversement de la relation homme-femme et peut-être une différenciation sexuelle du travail. Certains avancent l’idée que ce sont les femmes qui seraient à l’origine de l’agriculture car comme cueilleuses, elles ont une connaissance des plantes. L’hypothèse est récente. Au néolithique, on trouve des déesses, le culte de la déesse-mère avec des lieux de culte avérés.
Pour montrer le statut des femmes, on peut s’appuyer sur quelques exemples : la Dame au Léopard Çatal Höyük
Les squelettes de Stonehenge (14 femmes sur 23 sépultures).
La situation des femmes semble surtout varier en fonction de leur position sociale plutôt qu’en fonction de leur sexe comme le montre les pathologies étudiées sur les squelettes.
Des guerrières chez les Celtes
Citons les Amazones, les Scythes d’Ukraine, les Vikings (tombe de Birka en Suède), etc.
Conclusion
Comme les hommes, les femmes ont contribué à l’évolution de l’humanité.
Marylène Patou-Mathis, L’homme préhistorique est aussi une femme, Allary Editions, 2020, 352 p.;
Sur France-Culture :Non, les femmes préhistoriques ne balayaient pas la grotte
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1 On lui doit cette citation : « Il faut que l’homme soit fort, audacieux, entreprenant ; que la femme soit faible, timide, dissimulée. Telle est la loi de la nature » in Rapports du physique et du moral de l’homme 1805
2 « Convaincu de l’infériorité naturelle des femmes, Proudhon les pensait incapables « de produire des idées » : êtres passifs, elles n’accéderaient au verbe que par la médiation de l’homme. » extrait de l’article Proudhon Pierre-Joseph, dans le Dictionnaire biographique Le Maitron
3 Co-fondateur, avec Paul Broca (1824-1880), de l’École d’anthropologie de Paris, et titulaire de la chaire d’anthropologie préhistorique
4 Voir la représentation au Musée des confluences de Lyon
5 Par exemple dans la grotte de Cussac
6 Voir la recension sur la cliothèque de son ouvrage : Femmes de la préhistoire ou La conférence en ligne : https://vimeo.com/208296727
Claudine Cohen : La femme des Origines. Images de la femme dans la préhistoire occidentale, Paris, Belin-Herscher 2003, (dernière réédition 2020)Femmes de la préhistoire, Paris Belin 2016, Poche Tallandier 2019
7 La Ferrassie est un site préhistorique sur la commune de Savignac-de-Miremont (Dordogne)
Modification effectuée
Si je peux me permettre il s’agit de Claudine Cohen, et non de Catherine je crois. 🙂
Merci de ton compte rendu, chère collègue, n’ayant pu y être je lis! Ce sujet est passionnant !