À la Renaissance, le prince est la source du pouvoir et, par la redistribution des grâces et les délégations d’autorité, il s’efforce de s’assurer la fidélité des élites anciennes tout  en renouvelant sans cesse le vivier de ses serviteurs. De François Ier à Charles Quint, Henri VIII et Soliman le Magnifique, en passant par leurs favorites, chanceliers et secrétaires, c’est à la rencontre de ses hommes et femmes de pouvoir qu’invite cette rencontre.

Les intervenants :

Pascal Brioist, professeur des universités au CESR et à l’Université de Tours
Cédric Michon, professeur à l’Université Rennes 2, directeur des Presses universitaires de Rennes.

Pascal Brioist : L’art de gouverner sous François Ier, de Marignan à son retour de Milan et sa détention après la bataille de Pavie.

 

Gouverner, c’est se faire voir et être vu

Un fait peu commun à la Renaissance, François Ier est un roi que l’on n’a pas tenté d’assassiner. Arrivé jeune au pouvoir, il a bien su s’entourer, comme l’a écrit Cédric Michon. Revenu d’Italie, il commence par un tour de France, une habitude de tradition médiévale, car gouverner c’est se faire voir, montrer sa puissance, être vu par ses sujets avec tout le faste de la majesté. Son itinéraire a une logique qui doit faire naître “ une nation France ”, un concept assez confus. La perspective est plaisante pour ce jeune roi qui aime chasser, festoyer et être reçu par ses vassaux, petits et grands. Cependant, déplacer la cour n’est pas simple, jusqu’à 10 000 personnes avec les animaux, les chariots, des tentes, du matériel de cuisine, les lits de camps, bref toute une logistique. Le cortège est constitué de la famille royale, du conseil, de la chancellerie (un office gardienne des sceaux), et de la maison du roi (une série de départements comme la paneterie, la fruiterie). Mais aussi tous les plaideurs qui suivent les affaires du roi. Le voyage est très lent avec des villes étapes qui préparent les joyeuses entrées, avec ses décors, des spectacles et des dons  pour le roi. Symboliquement, les échevins donnent les clés de la ville. Le périple est préparé :  Ecouen, sur les terres de la famille de Montmorency, les villes picardes,  Amiens et Abbeville à l’architecture flamboyante, Boulogne et Dieppe, puis la Normandie et Rouen appartenant au duc d’Alençon, beau-frère du roi (belle mise en scène avec des automates et inauguration d’une statue royale. Les villes deviennent les caisses de résonance de la gloire de sa majesté royale. On passe aussi à Gaillon, château bâti à la mode italienne sur la Seine, à Argentan (spectacle avec automate : un lion qui lance des fleurs de lis et s’agenouille devant le roi).

On est dans une mise en spectacle à l’italienne face aux ambassadeurs. L’hiver, on revient à Amboise. En février 1518, la reine donne naissance à un héritier, promesse pour le royaume. Pourtant, dès avril 1518, François Ier fait un voyage en Bretagne semi-indépendante, la province de la mère de Claude de France, Anne de Bretagne.

L’autorité du roi est décrite par les légistes depuis Saint Louis 

Il est empereur en son royaume, ne tolérant aucun supérieur temporel. Le droit romain fait de lui l’incarnation de L’État et comme le roi est très chrétien, il est le défenseur de la foi. Le sacre lui confère une puissance mystique, par la grâce de Dieu, un guérisseur des écrouelles par simple imposition des mains. François a un physique avantageux digne d’un guerrier et ses qualités morales sont saluées par tous les ambassadeurs. (Référence,  Balthazar Castiglione ou le juriste Claude de Seyssel)

Des freins existent à la souveraineté royale : des impératifs religieux, des jugements en accords avec les avis de ses conseils et de ses parlements, suivre les ordonnances et les coutumes de ses pays, vivre du sien sans aliéner le domaine royal. Il doit respecter la loi salique qui exclut les femmes.

Le roi assure sa main mise sur la cour de cassation et d’appel et le conseil restreint. Il s’entoure de secrétaires d’Etat et de commissaires qui s’occupent des finances. En matière de justice, il s’appuie sur les parlements mais il crée en 1520 des maréchaux qui assurent la sécurité dans le royaume et des chambres des enquêtes qui aident les parlements. L’ensemble est régi par les offices. Les officiers (notaires, secrétaires) sont des nobles de naissance mais de plus en plus issus de la noblesse de robe (Philibert Babou de la Bordaisière de Touraine). Ces serviteurs sont élus par leurs pairs puis validés par le roi contre rétribution. Cette vénalité des offices offre des rentrées d’argent conséquentes pour le roi et on voit se constituer des familles d’officiers avec un esprit de corps. Ces derniers s’opposent parfois au roi qui les condamne si besoin au gibet de Montfaucon.

Une cour de mieux en mieux organisée

La cour est un espace public où se joue la gouvernance, lieu de spectacle de l’exercice du pouvoir. François Ier crée un cercle de privilégiés qui ont accès à sa personne, de sa famille, aux secrétaires jusqu’aux serviteurs. Il dispose de châteaux suffisamment vastes, tous en val de Loire ; Blois avec sa loggia inspirée de Bramante, Amboise où tout se passe… Mais il veut un plus grand logis qui puisse accueillir de grandes fêtes, l’équivalent d’un palais à l’italienne qui contient toute la suite royale, ce qui n’existe pas en France. Après l’agrandissement du château de sa mère à Romorantin, François Ier discute avec Léonard de Vinci pour bâtir son grand château. La mort de l’architecte conduit à la construction de Chambord.

La cour fonctionne comme un lieu où se concentrent les intrigues politiques ;  au centre la famille royale, la mère du roi, Louise de Savoie, sa sœur et son épouse Claude et ses maîtresses qui ont leur influence, la grande noblesse, les amis de jeunesse (la petite bande pour la chasse ou la guerre), le petit groupe des familles influentes qui gèrent les deniers royaux (les Boyer, les Baunes, les Robertet… qui parfois construisent eux-mêmes leur propre demeure comme à Blois l’hôtel particulier des Florimond-Robertet). Le roi a fort à faire pour apaiser les conflits de sa parentèle. L’étiquette n’est pas pesante à cette cour où la journée est strictement organisée. Le roi occupe les siens avec des divertissements, des fêtes, les repas. La maison du roi, divisée en départements, veille à la satisfaction des besoins essentiels du roi et de ses courtisans.

Une esthétisation du pouvoir royal par la musique

La chapelle donne les messes et la musique de la chambre du roi agrémente la vie avec les bas instruments (luths, violes et flûtes), l’écurie joue des hauts instruments (hautbois, saqueboutes et trompettes) lors d’événements exceptionnels.

La chambre du roi satisfait les besoins vitaux : de son lever à son coucher. L’hôtel charge la table, l’écurie et la fauconnerie tiennent prêts les animaux pour la chasse ou les spectacles guerriers et la sécurité est assurée par la garde écossaise et les archers.

Comment remettre au pas le pays après Pavie en 1525 ? Le roi est prisonnier et la noblesse est décimée. Durant la régence, Louise de Savoie doit subir des remontrances par le parlement de Paris. Quand son fils revient, il fait tenir un lit de justice qui passe au-dessus des décisions du parlement. Toutes les décisions de la mère du roi sont validées. François Ier reconstruit sa cour et les officiers plus anciens sont remplacés par une nouvelle génération d’hommes.

Cédric Michon, “ Dans la cour des rois ”

La question du pouvoir dans les quatre espaces de la France de François Ier, l’Angleterre d’Henri VIII, le saint-Empire germanique et l’Espagne de Charles Quint, et l’empire ottoman de Soliman le Magnifique.

Ce sont des souverains légitimes par rapport à leur prédécesseur et dont les règnes ont une grande importance dans l’histoire de leur pays. Ils arrivent au pouvoir sur la même période, ils ont l’arrogance de la jeunesse par rapport aux souverains vieillis qu’ils remplacent. Charles Quint succède à ses quatre grands-parents. Soliman est le seul héritier de Selim.

Chacun de ces règnes dans la gouvernance peut se diviser en trois phases :

1 – La prise du pouvoir où les souverains conservent aux affaires des conseillers importants sous le règne de leurs prédécesseurs. Pas d’interruption dans les dossiers. Par exemple, Antoine Duprat, président du parlement de Paris, proche de Louise de Savoie qui devient chancelier de France sous François Ier, ou Florimond-Robertet. Artus Gouffier domine les autres. Dans le cas de Charles d’Espagne, le roi arrive avec ses conseillers flamands, une erreur politique, car les nobles castillans et aragonais y voient une usurpation du pouvoir.

2 – Le placement d’un favori fait par le souverain

Ibrahim Pacha devient grand vizir avec Soliman le magnifique. Anne de Montmorency, ami d’enfance à Amboise, s’impose à la tête du conseil, ou Thomas Cromwell s’avère le plus proche d’Henri VIII.

La disgrâce d’Ibrahim Pacha par son assassinat permet à Soliman de rappeler qui est le chef. Anne de Montmorency n’a pas su ramener le duché de Milan par la négociation dans le giron de la France. Il est donc éliminé politiquement sous François Ier. Il ne reviendra que sous Henri II.  Charles Quint a toujours su diviser pour régner.

3 – Aucun personnage émerge dans les conseillers, un temps de confirmation du pouvoir royal

L’iconographie du portrait royal montre la magnificence : Charles Quint assume une représentation de guerrier mais aussi d’administrateur de l’empire, assis comme un bureaucrate ou un homme d’Église.

Les formes de pouvoirs : qui est la personne la plus puissante après les souverains ?

C’est incontestablement une femme, Louise de Savoie qui exerce une dyarchie avec son fils, entre 1515 et 1526. Ensuite la jeune génération succède à ceux qui ont disparu après Pavie.

Autour de Charles Quint, une galerie de femmes s’avère très intéressante. L’Empire est immense de Mexico, Lima jusqu’à l’Italie, un espace sur lequel il exerce son autorité considérable qui demande de s’appuyer sur des personnes de confiance dans le cadre de la famille, les femmes sont idéales car elles ne peuvent pas contester le pouvoir.

Marguerite d’Autriche, tante de Charles, sera régente des Pays-Bas. Les femmes non officielles souvent maîtresse du souverain cherchent à avoir un rôle politique comme la duchesse d’Etampes qui comprend bien les enjeux internationaux. Pourtant proche du roi,  cette dernière ne parvient pas à influencer les décisions. Anne Boleyn cherche à influencer vers les réformateurs mais elle est vite écartée. Roxelane est la seule qui réussit en politique et devient l’épouse de Soliman.

Quel est le profil sociologique des courtisans, des hommes de pouvoir ?

Un état embryonnaire a besoin de chevaliers, d’une domesticité, de sa maison (de domus en latin). Ensuite, les monarchies plus développées fonctionnent avec des administrateurs, et des bureaucrates (pour lever des impôts et produire des lois). Il y a donc un mépris social qui s’exprime entre l’ancienne noblesse d’épée et la noblesse de robe. En Angleterre, on peut comparer Thomas Cromwell et Thomas Howard.

Hans Holbein le jeune, Portrait de Thomas Cromwell
1534, conservé à la Frick collection de New-York
source Wikipédia.

On voit un portrait de bureaucrate sans attribut noble, avec la plume, le ciseau, les sceaux et une lettre écrite d’Henri VIII qui le nomme “ maître des joyaux ”, un petit office, le responsable des bijoux du roi, un petit rôle dans la domesticité qui est mentionné. Pourtant, il devient aristocrate alors qu’il est fils de brasseur.

Il est en opposition avec le plus puissant des aristocrates anglais, le duc Thomas Howard qui se fait portraiturer par Holbein avec le bâton d’or de maréchal, le bâton de trésorier, le collier de chevalier de la Jarretière et un revers manteau que lui a offert Henri VIII.


Hans Holbein le jeune, Portrait de Thomas Howard, 3ème duc de Norfolk
Vers 1539, Royal collection
source Wikipédia.

 

En conclusion :

L’État a besoin de membres des deux types : des nobles et des administrateurs. On ne saurait surestimer l’importance des élites intermédiaires qui font descendre la volonté royale par une cascade de hiérarchie nobiliaire jusqu’au peuple mais qui font remonter aussi par cette même cascade le pouls de la population.