Si l’essentiel des conférences proposées cette année dans le cadre du festival de géopolitique de Grenoble se proposant de traiter du pouvoir des villes sous l’angle politique ou économique, c’est à dire sous l’angle du hard power, il n’en reste pas moins que le terme même de pouvoir demeure polysémique et de ce fait invite à l’aborder de diverses manières.

De ce fait, à la lecture de l’intitulé du sujet, notre goût pour le cinéma fut piqué au vif. En A303, dans une salle agréablement remplie, Nashidil Rouiaï nous invite à aborder le temps d’une heure la cité de Hong Kong sous l’angle de la ciné-géographie : quels impacts les créations cinématographiques hongkongaises ont sur les stratégies d’influence étatique chinoises ?

Commençons tout d’abord en situant Hong Kong. Il s’agit d’une place à statut particulier (Région Administrative Spéciale) dans l’ensemble chinois. Longtemps disputé par la Chine et la Grande Bretagne depuis la guerre de l’opium et le traité de Nankin (1842) Hong-Kong est définitivement rétrocédée à la République Populaire de Chine en 1997.


De part son statut de Région Administrative Spéciale Hong Kong bénéficie de nombreux avantages sur les autres territoires de la République Populaire de Chine : monnaie propre, pluralité politique, la liberté d’expression mais dépendance sur les questions diplomatiques et militaires. C’est une des trois étoiles du capitalisme asiatique avec Tokyo et Shanghai. La ville a très longtemps tourné le dos à la Chine continentale. Ce n’est qu’à la suite des réformes chinoises en 1979 que Hong Kong a développé ses relations, notamment économiques, avec la République Populaire de Chine (province de Shenzhen notamment).

Pour autant nous ne pouvons ignorer l’importance culturelle de Hong Kong, via son cinéma. Bien longtemps les européens ont découvert la Chine et sa culture via les productions cinématographiques de la cité et encore aujourd’hui ce cinéma reste une porte d’entrée majeure. Ses grands réalisateurs et acteurs sont régulièrement récompensés à l’international. Cela a une importance à deux égards :

Ce casting fort joue sur la capacité d’exportation des productions. Or il est notable que la plupart des stars chinoises viennent de Hong Kong (John Wu, Jackie Chan, Bruce Lee etc.). Le star system joue donc un rôle clé. Par ses productions les spectateurs se familiarisent avec la Chine et notamment aux territoires chinois et les représentations qu’ils véhiculent.

De la sorte arrêtons-nous sur quelques exemples de cinéastes ou de réalisations abordant, d’origine exogène ou endogène, prenant comme lieu d’action Hong Kong.

Echelle endogène : Citons le réalisateur Wong Kar Wai, actuellement le réalisateur de Hong Kong le plus connu à l’international. Pour autant la ville n’apparait que trois fois dans ses productions. Depuis 1997 Hong Kong n’est plus présente car « Hong Kong n’est plus Hong Kong » depuis la rétrocession selon lui (une de ses productions s’intitule d’ailleurs 2046, référence à la dernière année du statut de Région Administrative Spéciale pour Hong Kong avant le retour plein et entier à la Chine). Observons la scène d’ouverture de Chung King Express : les Chung King sont des espaces intérieurs de passage, des no man’s land, sortes d’intercices urbains dans lesquels des foules affluent de toute part affluent ou des corps se bousculent. En dehors de quelques toits, aucune image de la cité ne ressort. Le flou est un élément important durant tout le film (image saccadée, gros plans, caméra épaule) sans jamais saisir la cité dans son ensemble. La ville est la place du film, mais Wong Kar Mai refuse d’en saisir une vision simpliste. En ce sens Wong Kar Wai sert avant tout la République Populaire de Chine en lui offrant un élément pour son soft power.


Autres grandes oeuvres du cinéma de Hong Kong : les polars. La ville y est représentée verticale. Les grattes ciels, lorsqu’ils apparaissent, sont associés à des instances du pouvoir (Infernal Affairs ou Confession of Pain). Ce n’est pas étonnant car Hong Kong est la ville la plus verticale (l’indice de verticalité est de 128 000, énorme en comparaison à celui de New York City qui est à 40 000). L’importance symbolique de ces bâtiments est un élément crucial pour saisir la course au ciel que se lancent les métropoles, et forger de la sorte la réputation d’une ville. Ces bâtiments créent donc une image d’Epinal pour Hong Kong.

Pour autant, si Hong Kong est présenté comme ville globale, Hong Kong est aussi dessinée comme une ville familière, pour permettre aux spectateurs de s’identifier aux personnages. De nombreuses scènes saisissent les intérieurs des logements, des scènes de la vie de personnages souvent largement occidentalisées (dégustation de vin, Noël).

Echelle exogène : Les images diffusées par Hollywood ne sont pas en reste et importent largement les représentations que nous nous faisons de HK. Plusieurs approches :

1)La synecdoque (Lara Croft 2003 et The Dark Knight 2008)
Lara Croft : La 1ère image du film présente la Victoria Harbour dessinant la modernité de la cité. De la ville nous ne garderons que cette image de richesse via la skyline.
The Dark Knight : Pour la 1ère fois Batman quitte Gotham pour rejoindre Hong Kong, et la Hong Kong de la finance. Les images nous permettent de saisir en plongée la « forêt de buildings » du centre de HK. A travers ces deux exemples, et pour le dire schématiquement, HK se réduit au quartier économique. Ce procédé de synecdoque crée un lieu singulier et fort différent de la diversité urbaine. Cette manière de procédé représente HK sans le représenter réellement, à travers une image qui la modifie.
2) Juxtaposition et lieux incompatibles (Battleship et Transformers)
Extrait 1 du film Transformers. Par la magie du cinéma l’on parvient à relier par l’image deux lieux extrêmement différents et éloignés. Les personnages parviennent dans la ville par le quartier d’affaire et traversent en une fraction de secondes le Victoria Harbour. Tout ceci pour mettre en exergue deux éléments marquants de la géographie de la ville.

Extrait 2 de Battleship. L’arrivée de la météorite sur Hong Kong se fait près d’un symbole de l’orientalisme : un Bouddha géant, avant de tomber sur le quartier d’affaire. Or si le Bouddha géant existe, il se trouve à 20 km de la cité. Juxtaposer le Bouddha avec la ville en arrière plan est géographiquement impossible. Cette association crée de nouveaux lieux, avec un fort effet symbolique : la modernité de Hong Kong se conjugue à l’orientalisme asiatique : une cité économiquement occidentale et culturellement orientale.
3) La création de lieux (Pacific Rim)
Le quartier de Bone Slums présenté dans le film n’existe pas. Pour autant, en multipliant les symboles orientaux forts (néons puissants, idéogrammes chinois, étroitesse des rues etc.) le film crée un espace symboliquement fort mais qui revient à adopter une vision exotique de l’altérité et de l’orientalisme.

Terminons en élargissant le débat : pourquoi ces images d’un Hong Kong magnifié ne traite jamais réellement du nouveau Hong Kong, celui des cités dortoirs dans le nord du territoire ? Soyons cyniques : les revenus du box office chinois explosent. La République Populaire de Chine est un marché incroyable mais des quotas à l’importation sont imposés : seuls 44 films étrangers peuvent y être diffusés chaque année. C’est donc une guerre pour passer l’organe de censure chinois. Les acteurs de la production cinématographique ont tout intérêt à mettre en scène une image magnifiée du territoire, ou développer les co-productions avec la Chine qui imposent des lieux et des personnages chinois. Ainsi ces productions deviennent de véritables vecteurs de transmission d’une certaine idée de la Chine.

Crédits :Carto© n°21 et n°27