Joseph DAUCE – journaliste indépendant
Mots clés : Sport – Afrique – Infrastructures – Inégalités – Football
Le sport, dans le cadre d’une étude géopolitique est un objet complexe et qui peut être considéré de 6 manières différentes et la question du sport en Afrique ne saurait se faire sans l’économie de l’un de ces 6 points :
– Un instrument de rapprochement des peuples et un outil pour la paix (reconnaissance de la Palestine par la FIFA ou la diplomatie du ping-pong entre Chine et E-U durant la guerre froide)
– Le sport est un substitut à la guerre (boycott des JO de Moscou dans un contexte de guerre froide)
– Espace de revendication politique (CAN 2010 l’équipe de foot du Togo est prise à partie par un groupe rebelle à la frontière Angolaise)
– Une arène d’affrontement (exemple du foot post colonial « on est supérieur à vous » ou le match entre Salvador et Honduras qui débouche sur un conflit en 1969)
– Une vitrine de la puissance avec l’exemple du Qatar (soft power qatari)
– Lieu d’observation des luttes sociales (Apartheid, jeux de Mexico en 1968, JO du Brésil 2016…)
La conférence s’organise de manière dynamique avec une série de 3 questions
L’Afrique paria du sport moderne ?
Le sport moderne s’est construit sans la tutelle de l’Afrique. De fait, à titre d’exemple, même si l’Afrique du Sud fait son apparition dès la 3ème olympiade (Saint-Louis, USA, 1904), il faut attendre la 15ème olympiade pour que les premiers pays d’Afrique noire le Nigéria et le Ghana rentrent dans la danse (Helsinki, Finlande, 1952).
Paria d’abord dans le monde journalistique →
De fait, la première misère du sport africain c’est son image dans les médias, les normes représentatives produites à son égard, celle d’une Afrique à la traine. On parle parfois de « sorciers blancs », de « marché à bestiaux », de « trafiquants d’espoirs », de « corruption endémique »… Autre exemple, celui du nageur Eric Moussambani de Guinée Equatoriale et qui participe aux JO de Sydney en 2000 en parcourant le100 m en 1min52 soit le plus mauvais temps. Le traitement médiatique de l’équato-guinéen est presque plus important que celui du vainqueur mais dans le but de décrier la misère du sport africain.
Paria en tant que terre déshéritée →
La deuxième misère majeure du sport en Afrique est le manque d’infrastructures sur le continent. Pour reprendre le cas du nageur Moussambani, il s’entraine dans une piscine d’hôtel de 20m et n’a jamais mis les pieds dans un bassin olympique. Ce cas permet de se représenter les problèmes infrastructurels. Déficit infrastructurel causé par un manque d’investissement. Hors tous les modèles modernes de la performance sportive établissent une forte corrélation entre réussite et dispositions infrastructurelles. Selon une étude de l’UNESCO le taux d’équipement sportif moyen des 15 pays les moins avancés en 2001 (dont Sénégal, Bénin et Congo) serait d’un gymnase pour 8,6Mi de personnes ( !?). Autre exemple le nombre de courts de tennis dans toute l’Afrique serait de 13000 (dont beaucoup font partie de complexes touristiques) contre presque 32000 sur le territoire français. Il en découle ainsi la possibilité d’une lecture géopolitique de la performance olympique. Les jeux d’hiver restent réservés aux pays du nord et 95% des événements sportifs internationaux sont organisés dans les pays les plus riches soit hors du continent africain. Une des conséquences de ce déficit infrastructurel est le faible gain de médailles aux JO de Londres en 2012. L’Afrique (et ses 1 milliard d’habitants) rafle 34 médailles soit l’équivalent de la France.
Afrique du sport et mondialisation →
On pourrait laisser penser que l’Afrique serait donc isolée, hors de la mondialisation du sport, hors c’est faux. Il y a une circulation constante de sportifs et de capitaux liés au Sport entre l’Afrique et le reste du monde et ce dès le XIXème siècle. Néanmoins et c’est la 3ème misère du sport africain, cette circulation a tendance à être fortement inégalitaire et ne s’effectue que dans un sens, c’est « l’exode des muscles » liée à la masse salariale. De fait le salaire moyen d’un joueur de foot ghanéen est de 200 dollars. Cela provoque des mobilités systématiques de l’Afrique vers l’Europe.
Le marché à bestiaux →
C’est ici la 4ème misère du sport africain et c’est également le terme utilisé pour parler de la CAN (Coupe d’Afrique des Nations). Cet événement est le marché préféré des agents véreux (européens ou du Moyen-Orient) qui vont chercher des joueurs à bon prix pour un investissement rentable. On observe alors une « traite négrière » (notion forte faisant référence au commerce triangulaire) des sportifs africains qui peuvent démontrer certains relents néo coloniaux.
Du forfait à la revanche pour l’Afrique ?
La revanche africaine sur le colonisateur →
Dans les années 30 Pierre de Coubertin évoque un projet de colonisation africaine pour discipliner l’Afrique en parlant de « disciplinisation des indigènes ». Il affirmait également « qu’une victoire de la race dominée sur la race dominatrice peut prendre une portée dangereuse ». De fait le sport a pu cristalliser les velléités indépendantistes et renforcer l’identité nationale. De fait le FLN se dote d’une équipe de foot avant même l’indépendance de l’Algérie et s’en sert comme un vecteur de revendication politique (même chose pour le Congo) et d’identité nationale avec un hymne et un drapeau. Parvenir au CIO vaut alors valeur de reconnaissance diplomatique pour ces Etats. Utiliser le sport pour s’imposer sur la scène internationale c’est également l’exemple du combat entre Mohammed Ali et George Foreman à Kinshasa (Zaïre) en octobre 1974 (ciné Ali). Ce « combat dans la jungle » considéré comme le meilleur combat de boxe de tous les temps est l’occasion de promouvoir la patrie du chef d’Etat Sese Seko, d’accentuer le culte de sa personnalité et de présenter le continent africain sous un jour flatteur aux yeux du monde (même si le match se déroule à 4h du matin pour qu’il soit diffusé aux EU).
Apartheid et sport →
En Afrique du Sud, Mandela a toujours souligné le rôle du football mais aussi du rugby (ciné invictus) dans la lutte contre l’apartheid et rappelle que « le foot était la seule joie des prisonniers ». Il y a une véritable prise de conscience internationale sur le régime d’Apartheid dans les années 60-70. Les Nations Unis poussent les sportifs de ne pas prendre part à des compétitions où l’apartheid serait mise en place et l’Afrique du Sud est mise à l’écart des grandes compétitions.
Le poids électoral de l’Afrique dans les instances du sport →
Cette revanche de l’Afrique est plus contemporaine. En effet le poids de l’Afrique dans les organisations internationales du sport est de plus en plus important. On ne peut plus composer sans l’Afrique qui représente 25% de la masse électorale de la FIFA par exemple. D’ailleurs en 2015 le prince jordanien candidat à la présidence de la FIFA espère le soutien de l’Afrique. Blatter lui-même affirmait que « l’Afrique est le continent du football », superlatif pour s’accaparer des voix africaines. Composer sans l’Afrique aujourd’hui c’est aller droit au mur.
L’Afrique du Foot →
Mais la revanche de l’Afrique doit se faire également dans les stades (c’est ce que retient le monde). Outre les valeurs sures du sport en Afrique que sont le rugby (Afrique du Sud, Namibie), le demi fond en athlétisme (kenyans, éthiopiens, érythréens régulièrement médaillés aux JO), la Cote d’Ivoire pour le sprint ou même le Togo en ski de fond, les nations africaines ne cessent de gagner en notoriété. Le football africain surclasse largement la CONCACAF (Amérique du Nord) ou l’AFC (Asie) et la CAN constitue l’un des événements sportifs les plus médiatisés de la planète. La CAN voit d’ailleurs l’arrivée des sponsors et médias européens. Enfin sur les dernières coupes du monde de football plusieurs équipes africaines ont atteint le stade des quarts de finale.
A quand la victoire du continent noir ?
Outre la captation des talents, l’exode massif des sportifs africains, un Etat africain est-il en mesure de briller, à court ou moyen terme, sur la scène internationale sportive ?
Perspective d’investissement →
La question de qui va investir se pose. Pour accroitre l’attractivité du sport en Afrique mais aussi pour permettre la réalisation d’entrainements de haut-niveau, de confrontations conformes à leur rang ou à l’obtention d’infrastructures adaptées. En l’Etat le salaire moyen de d’un joueur de foot de 1ère division en Cote d’Ivoire est de 220 euros. Si les salaires augmentent, la proportion du maintien dans leur pays est renforcée. Le sport se professionnalise petit à petit. En Algérie c’est environ 10000 euros car les clubs sont financés par les contribuables. En termes d’investissement, l’Afrique connait une progression de 136% de ses investissements directs étrangers. Le secteur du BTP est en pleine croissance. Il y a aussi des projets de développement autour du sport notamment le programme « Plus de place au sport – 1000 chances pour l’Afrique » lancé par l’Allemagne au Togo. C’est donc un continent qui attire les investisseurs. L’investissement sur l’éducation est un des meilleurs indicateurs d’espoir, l’école étant le premier lieu de la découverte et de la pratique du sport. Enfin un autre indicateur d’investissement est la diplomatie des stades mis en place par la Chine. Elle construit un stade gratuit lors de ses contrats. Les 3 derniers pays hôtes (Angola, Gabon, Guinée Equatoriale) de la CAN ont vu au moins la construction d’un stade sachant que ces pays ont d’importantes réserves de pétrole, on imagine aussi les contres parties.
Limites de la corrélation entre investissement et performance sportive → Comment expliquer le classement en athlétisme du Kenya alors 147ème PIB mondial et 1ere place aux championnats du monde d’athlétisme 2015 ?
Autres investissements : arrivée des sponsors, droit de diffusion →
Les sponsors arrivent petit à petit. 4,4 milliards de téléspectateurs en audiences cumulées pour la CAN 2010 ( !?). Bolloré Africa logistics, la téléphonie avec Orange (Volley et Hand tunisien), Lagardère (Jeux africains de Brazzaville en 2015) ou l’équipementier Puma sont d’autant d’entreprises qui investissent et sponsorisent l’Afrique.
La question de la gouvernance →
Sur la gouvernance au sein des institutions du sport peut-on avoir un Obama du sport ? C’est le cas du Camerounais Issa Hayatou qui cumule les fonctions dans les hautes instances du sport, président de la CAF (Confédération Africaine de Football), président de la commission finance de la FIFA, président délégué de la commission d’organisation de la coupe du monde de la FIFA, membre du CIO, etc. C’est l’un des hommes les plus influents du foot. Enfin, l’Afrique accueille également de nombreux jeux régionaux qui permettent de mettre en évidence que la mondialisation du sport inclus l’Afrique avec par exemple les Jeux du Commonwealth pour 2022, Jeux de la francophonie ou Jeux méditerranéens.
Lors de l’échange de nombreuses questions se posent →
→ Retournement de situation avec son intégration à la mondialisation avec le dopage, les conflits (disparition du Paris-Dakar par exemple)
→ Intégration des femmes dans le sport ? Question de la radicalisation d’une partie de l’Afrique.
→ Peut-on parler de deux ou plusieurs Afriques? Une qui gagne (Afrique du Sud, Maghreb…) et une autre toujours en retrait (Pays du centre de l’Afrique ou PMA).