Images de propagande et réalité de la ligne Maginot. Service Historique de la Défense, Nicolas JACOB

 

Nicolas Jacob est commissaire en chef, Docteur en Géographie. Responsable du centre d’archives de l’armement et du personnel civil au service historique de la défense. (Chatelraux)

Service historique de la Défense. 450 km d’archives linéaires. 1 million de titres en bibliothèque. Mission pour la symbolique militaire et pour l’’histoire. Création d’une vraie capacité d’histoire. Fin de la Première Guerre mondiale : c’était plutôt de l’histoire officielle. Aujourd’hui, c’est de l’Histoire générale. Un laboratoire d’une vingtaine d’historiens qui font de la recherche en matière militaire. Ils font des études : les archives sont aussi une source pour le pouvoir, pour le relationnel : des études axées sur l’actualité. En plus, une mission d’enseignement, vers les écoles militaires supérieures et vers les universités.

Ces Archives sont accessibles à tout le monde. Il y a 10 centres en France.

 

Thématique : les images de propagande concernant la Ligne Maginot. C’est un marqueur dans l’imaginaire. L’échec de 1940 est très fort, c’est un traumatisme fort. Il montre la fin de la suprématie française. La France avait en effet à la fin de la Première Guerre mondiale la première armée du monde.

La ligne Maginot, telle qu’on la perçoit, est le symbole de la défaite. Elle est le symbole d’une  stratégie passive et inefficace. D’une absence de vision : elle ne couvrait pas la frontière du Nord, elle a été contournée par les Ardennes, la Belgique, par l’armée d’Hitler. Et pourtant, à l’époque, elle représente l’aboutissement de la haute technologie qui est mise en avant par des images de propagande.

 

De l’image au réel

 

  1. Une démonstration par les images

 

Différentes images de la ligne Maginot

 

Une image de la Ligne Maginot dessinée, représentée dans L’Illustration du 1er octobre 1938. Cela montre un fortin surpuissant et rassurant. L’image sort au moment des pourparlers de la conférence de Munich, quand on donne une partie de la Tchécoslovaquie à l’Allemagne. Cela cherche à rassurer l’opinion, 20 ans après la Première Guerre mondiale.

 

Une image qui la montre comme un  complexe très puissant, avec des étages souterrains.

Des Cuirassés qui montrent une invulnérabilité potentielle. La maîtrise totale du territoire jusqu’à la frontière. A l’époque, dans une France qui est à 60% rurale, c’est une forme de science fiction. Elle a une position en hauteur, sur la montagne. On avait l’impression qu’il y en avait partout, de Dunkerque à Mulhouse.

 

La ligne Maginot semble inspirée de la marine; on a des images qui montrent qu’elle ressemble aux bateaux de guerre. Elle est aussi composée de forts : des lieux clos. Comme sur un bateau! Chacun y a sa place assignée, avec un fonctionnement en équipage.

 

 

  1. Une habile adaptation

 

Des forts entourant Metz et Thionville ont été construits par l’Allemagne en 1900-1910. Ce sont des forts enterrés avec des galeries souterraines d’approvisionnement et des cuirassés qui affleuraient. 8 forts autour de Metz, 3 « festen » autour de Thionville.

Ces forts représentent une très grande puissance de feu et de dissuasion.

 

Une fois la région récupérée en 1918, ces dispositifs sont étudiés par la France. C’est une ligne sans nom.

Les tourelles de la Ligne Maginot sont proches des tourelles à coupoles et des canons longs de cette ligne allemande. Il y a des tourelles à éclipse, escamotables. Les canons ne dépassent pas de la tourelle (ce n’est pas une démonstration de force). Il y a de longues galeries.

Ce système servait à dissuader la France d’attaquer directement Metz.

 

C’est un complexe avec des installations logistiques, avec des dépôts de matériel et de munitions. Tout était prévu comme sur un sous- marin.

 

 

  • Une réalité moins flatteuse

Elle contient des armes nombreuses, mais pas de canon de gros calibre. Ce sont des matériels de haute technologie.  Il y a des mortiers de 81 à azimut fixe. La portée est modifiée par l’ouverture de la chambre. Ce type de mortier est proche du mortier de tranchée de la Première Guerre Mondiale, mais là, c’est de la haute technologie : armement puissant, lance bombe de 135 : Mitrailleuse Reibeil fabriquée à Châtellerault.

 

Il n’y a pas de continuité. Elle est terminée vers 1935 : la ligne Maginot est ponctuée d’intervalles complétés par des abris. C’estC’es alternance de gros et petits ouvrages de Metz, Thionville et Boulay.

 

En parallèle, la France construit des édifices de défense dans les Alpes, entre la France et Italie (ancien allié, proche de l’Allemagne, donc la méfiance s’instaure). Cela ressemble à la ligne Maginot : c’est la « Ligne Maginot des Alpes » (fort de Saint Agnès au dessus de Menton)

 

 

  1. Des réalisations ultérieures

En  Allemagne, des réalisations s’approchent de ces vues de propagande. Ce sont des complexes très compacts.

Les Bases sous marines de l’Atlantique (La Pallice, Brest, …)

Le Pas de Calais : lancement de V2 (grande dimension)

Suisse : installations complexes souterraines, avec des abris d’aviation sous roche (Guerre Froide).

 

Il y a eu une peur dans le Tyrol, avec le fantasme du réduit alpin qui aurait caché les derniers SS.

 

 

  1. Qu’est ce que la Ligne Maginot ?

Une ligne Infranchissable ?

Une Ligne fortifiée est d’abord une  dissuasion :

  • par exemple, Gaston IV de Foix Béarn dissuade tous ses ennemis du XIVème siècle, vers 1360, grâce à une ligne de châteaux forts .
  • Le système du « pré carré » de Vauban : empêche les Espagnols des Pays Bas espagnols (Belgique actuelle) et impériaux de rentrer sur le territoire. Il a été efficace de la guerre de Hollande (1668) à 1814 : aucune invasion étrangère. Des sièges, des incursions (Valmy) mais pas d’invasion ni d’occupation.
  • Le Système Serré de Rivière de 1873 à 1940 (comme La Pompelle à Reims : il a joué son rôle, n’est pas forcé).

La Ligne Maginot cherche à rejouer ce rôle.

Elle est le fruit d’une longue controverse. Il faut repenser la défense aux frontières après la Première Guerre mondiale : le Maréchal Foch veut profiter de la victoire et occuper le plus possible de la rive gauche du Rhin (il voit loin, il voit mondial et il voit stratégie), et Pétain (qui lui veut épargner les hommes).

 

La Ligne Maginot est un système de combat pour éviter la boue et la tranchée, d’où la débauche d’abris. Les ouvrages ont plutôt bien résisté.

 

Conclusion : la Ligne Maginot a été source d’imaginaire. La BD s’en est emparée.

Malheureusement, jusque dans les années 1970-1980, on trouvait des représentations fantaisistes dans les ouvrages pour les jeunes.