En avant-première, les Rendez-Vous de l’Histoire de Blois 2022 proposent la projection au cinéma Les Lobis de l’épisode 3 de « L’incroyable périple de Magellan » de François de Riberolles, produit par Arte et Camera Lucida
Les 4 épisodes définitifs, du projet de Magellan au retour de la dernière caravelle de l’expédition à Séville, sont projetés en une seule soirée le 19 novembre et seront disponibles séparément en streaming sur Arte jusqu’au 17 janvier 2023.
La projection organisée au cinéma « Les Lobis » de RVHB sera celle de la 3e partie, la plus impressionnante avec la traversée du détroit et du Pacifique.
François de Riberolles :
Il y a 3 ans 1/2 j’ai proposé à Arte 4 épisodes. Cette série devrait être un succès d’audience, avec la particularité de combiner 3 composantes, car il est difficile de raconter une histoire du XVIe siècle sans reconstitution historique.
D’où une 1ère composante, le dessin. La 2ème, c’était d’aller tourner dans tous les endroits du monde, donc un tour du monde des lieux où était passé Magellan, sous Covid, ce qui fut extrêmement compliqué… La 3ème composante, les intervenants. Je voulais des intervenants qui connaissaient parfaitement l’histoire et le côté marin.
J’ai beaucoup navigué mais c’est l’exploit maritime qui m’a vraiment impressionné. Je voulais donc des raconteurs d’histoire et je sus très heureux d’être accompagné pour cette séance de 3 d’entre-eux : un historien-éditeur, Michel Chandeigne, dont le grand livre sur Magellan m’a accompagné durant ces 3 ans, un historien spécialiste des mondes asiatiques, Romain Bertrand, et un routeur de légende, dit « le sorcier », Jean-Yves Bernot.
Michel Chandeigne :
Je suis éditeur de textes anciens, je ne suis pas un vrai historien. Ayant accompagné François pendant cette aventure, je me réjouis de la version originale que je vous conseille car polyphonique avec du français, de l’espagnol, de l’anglais et du portugais.
FdR : J’ai l’habitude d’accompagner de grands marins sur toutes les mers du globe, mais là j’avais envie d’accompagner le plus téméraire d’entre eux, Magellan.
La séance se déroule en 3 parties. D’abord des questions du modérateur, ensuite l’épisode 3 d’une cinquantaine de minutes, enfin les questions du public.
Les intervenants
FdR : la 1ère personne que j’ai rencontré c’est Michel Chandeigne qui m’a aiguillé vers les bons historiens connaisseurs de Magellan. De mon côté j’ai trouvé des marins prestigieux, Robin Knox Johnson, 1er marin à faire un tour du monde solitaire et sans escale à 29 ans en 1968, Jean-Yves Bernot, un des meilleurs routeurs au monde, compagnon des plus grands navigateurs actuels. Et j’ai pu travailler avec l’historien Romain Bertrand, grand spécialiste de l’Asie du Sud-Est.
Leur part dans le film
MC : essentiellement des retours sur les questions de François à propos de mon grand livre de 1000 pages sur Magellan et le plaisir de voir que quelqu’un puisse s’en servir quotidiennement !
JYB : Comme navigateur et routeurUn routeur dans le langage de la marine à voile et en particulier des courses au large, c’est quelqu’un qui a une grande expérience météo et va donc conseiller le marin sur les options à prendre. sur toutes les mers du globe, j’aurais bien voulu y être. Les images sont magnifiques.
FdR : Ce qui m’étonne toujours surtout dans le sens Atlantique – Pacifique, c’est comment ils ont pu continuer avec l’impression de cul-de-sac devant soi continuellement. Magellan était poussé par une force inouie.
RB : Beaucoup de documents racontent cette histoire. Les archives ? En partie seulement. Mon rôle a été d’être un aide à la documentation historique, et notamment des demandes très précises à l’intention des dessinateurs. À quoi ressemblait le palais du sultan de Brunei… L’habitat et les habits. Les bijoux en or ont été trouvés dans des collections privées.
FdR : L’animation a beaucoup de vertus pour les documentaires, je l’avais fait pour « Calapagos de Californie » notamment avec Ugo Bienvenu et son pool de dessinateurs.
Magellan ?
Un quasi inconnu
MC : on a des portraits posthumes. Un en Italie qui est une copie d’un tableau originel disparu, peut-être sur les indications de Pigafetta, et qui est vraisemblable. Las Casas le décrit comme petit et trapu, très volontaire et le regard un peu torve… C’est le seul témoignage écrit que nous ayons. Rien d’ailleurs sur les capitaines espagnols, sur Del Cano et Pigafetta.
FdR : on a modélisé son visage en 3D pour que chaque dessinateur ait à sa disposition les mêmes traits pour Magellan. Comme on avait aucun portrait originel des autres, on a modélisé à partir des visages de l’équipe ! J’ai servi ainsi de modèle pour Pigafeta… On connaissait leur nom leur âge, c’est tout.
Un marin d’exception, qui s’est finalement peu trompé
Qu. du public : On peut s’étonner de la méconnaissance de la longitude à l’époque : on connaissait quand même sa vitesse (par les noeuds) et la taille du méridien terrestre (depuis Eratosthène).
JYB : le mot juste, c’est approximatif. On a pas encore de chronomètreIl faudra attendre le XVIIIe siècle et les sommes faramineuses mises en jeu en Angleterre pour inciter les inventeurs à résoudre cette épineuse question. C’est finalement un modeste horloger mais un génial inventeur, John Harrison qui devancera les astronomes les plus prestigieux de l’époque. et le calcul par distance lunaire est difficile sans terres, ce qui fut le cas pour le trajet à travers le Pacifique. On navigue « à l’estime » à partir d’un cap donné ; en plus Magellan et ses pilotes ignorent les courants du Pacifique. Or 3 noeuds de vitesse moyenne pour des courants de 3 noeuds avaient pour conséquence 45° d’écart sur le cap réel… ils étaient à 10-15° de longitude près, donc aucun moyen de savoir où se trouvait réellement l’anti-méridien.
Par contre, pou la latitude, pas de problème, on observe à midi à l’astrolabe et on est à 1/4 de degré près.
MC : Magellan avait néanmoins une vision extrêmement précise de la taille du Pacifique. On a une carte préparatoire de Reinel de 1519 donnée au roi avant le voyage dans laquelle le Pacifique est quasiment à sa dimension réelle : l’erreur sur les Molluques est de 9°! Cette performance vient de la cartographie portugaise : après le voyage aux Mollluques de 1512, les géographes avaient fixé pour la 1ère fois la limite du cap oriental de la Chine et avait donc considérablement rétréci sa taille. Reinel s’en était servi pour son célèbre planisphère.
FdR : tant qu’il n’est pas arrivé aux Philippines, il ne sait pas de quel côté il est de l’anti-méridien. D’où la théorie du 4e épisode. Il le mesure avec beaucoup de précision et il a dû comprendre qu’il était à quelques degrés près du mauvais côté.
Le public : Qu’est-il advenu de la navigation dans le détroit par rapport au Cap Horn ?
FdR : 2 à 3 cargos sont passés par le détroit pendant le tournage. Ç’est peu.
JYB : il y a toujours un traffic maritime principalement d’ouest vers l’est avec des eaux moins agitées que celles du Cap Horn. Il faut dire que dans le sens qu’a emprunté Magellan, il était contre les vents. Du temps de la marine à voile on a préféré le passage par le Horn découvert plus au sud par les Hollandais. Pas de risque d’échouer sur la côte avec des vents forts : les marins de l’époque préfèraient naviguer au large. Avec les moteurs on réutilise le détroit parce qu’il raccourcit légèrement la distance dans des eaux plus abritées.
RB : Ce qui est frappant, c’est le désintérêt dans les années suivantes pour cette route. Or en 1522, année du retour de Del Cano à Séville, Cortez prend Tenochtitlan et trouve un débouché vers la « Mer du Sud » à l’ouest. Les navigations vers les Philippines se feront donc à partir de la côte-ouest du Mexique.
JYB : Francis Drake l’a emprunté à l’aller mais les difficultés de navigation avec les courants contraires l’ont conduit à emprunter le passage sud entre les îles auquel il a donné son nom. Au retour, il est passé par le Horn d’où le nom de détroit de Drake entre Cap Horn et péninsule antarctique. Ce passage a été beaucoup plus emprunté pour les raisons évoquées plus haut.
Le public : L’anti-méridien, ça signifie quoi ?
RB : Dans l’épisode 1, il y a une très belle scène de Michel avec une orange…
MC : 1492, Colomb arrive aux Caraïbes. Il est persuadé comme tous ses contemporains d’être arrivé en Asie. La route des Indes est déjà ouverte par les Portugais depuis 1488. Le Pape leur demande donc de se partager l’Asie, les uns l’ayant atteinte par l’ouest, les autres par l’est. D’où le traité de Tordesillas, 1494 qui trace en fait une ligne au milieu de l’Atlantique.
Dans leurs esprit les 2 puissances catholiques se partagent la Chine et l’Inde. Saut qu’on découvre peu à peu une autre réalité géographique avec la présence du continent américain.
Le problème, c’est l’autre côté avec le doute sur la position des Molluques découvertes peu avant par les Portugais. Magellan compte d’ailleurs non pas faire un tour du monde mais revenir par le même chemin, celui octroyé par le traité aux Espagnols.
Et oui, jamais Magellan n’avait envisagé de faire un tour du monde !
Un traitre à sa patrie ?
Comment le personnage de Magellan est-il considéré aujourd’hui par les Portugais ?
RB : la notion de nationalité est floue à l’époque. Les soldats professionnels servent les souverains qui les paient le mieux. Le prendre pour un traitre, c’est transposer son époque au XIXe siècle. On sait que de nombreux pilotes portugais ont travaillé à St Malo, à Dieppe. Le lien de sujetion est le plus important (note sur d’autres navigateurs ayant travaillé pour d’autres rois).
MC : Ce qui n’a pas empêché qu’il ait rencontré une franche hostilité pour constituer son équipage. Car il y avait de nombreux nobles espagnols qui étaient d’excellents navigateurs et auraient pu prendre sa place.
FdR : Magellan reste un héros controversé avec nos concepts de nation. Et Sebastian Elcano a beaucoup fait pour minimiser son rôle au retour d’Espagne…
JYB : Pour les marins, il reste LE héros.
MC : Un héros pour le grand public, pour les marins et les romanciers comme Stefan ZweigAuteur d’une biographie de Magellan, basée sur le récit de Pigafetta, magnifiquement écrite, mais en partie inexacte. Une traduction récente en français rend justice à la beauté du texte de Zweig : https://www.babelio.com/livres/Zweig-Magellan/14368, mais rarement pour les historiens, car ce que tout le monde aime, c’est que Magellan est un perdant. On l’a pour cela dédaigné pendant des siècles au profit de Colomb ou de Gama plus susceptibles de servir un récit national.
Ce qui nous a permis en France et pour la 1ère fois au monde de publier en 2007 l’ensemble des sources sur le voyage de Magellan, avec beaucoup de découvertes étonnantes.
Note personnelle : Ce magnifique ouvrage pourra faire l’objet d’un beau cadeau pour les fêtes de Noël.
Il est disponible ici.
Et si vous l’ignorez, Magellan a eu des marins français à son bord :
Les compagnons français de Magellan (1519-1522)
Ed. Chandeigne, 2022, 240 pages, 14€