Géopolitiques de Nantes – Information et désinformation en temps de guerre

Intervenants :

Patrick Chauvel, photographe de guerre depuis 30 ans, il couvre en ce moment la guerre en Ukraine.

Gérard Grizbec, spécialiste des fake news, enseignant à l’IRIS, journaliste à France 2

Isabelle Veyrat-Masson, Directrice de la Recherche au CNRS sur l’histoire et la société des médias.

Florence Hartman, auteure et journaliste au Monde, elle a couvert la guerre en ex-Yougoslavie.

Modérateur : Gaspard Schnitzler, enseignant chercheur à l’IRIS

Voici une transcription des éléments essentiels de ce grand atelier mené avec brio par Gaspard S et des intervenants passionnés et passionnants.  

 

  • La médiatisation de la guerre en Ukraine, le continuité historique, la place de l’image ?

IVM : La place de la guerre et des images de guerre sont différentes en fonction des acteurs différents, et l’apparition des nouveaux médias. L’image influence la manière de voir le monde, selon trois modèles :

– Le premier modèle est fictionnel. On peut parfois raconter la guerre comme une fiction, avec des héros, des péripéties.

– Un deuxième modèle frappant : la politique, la guerre n’est pas une fiction mais elle est contrôler par le politique qui censure, interdit et fabrique des pools.

– Un troisième modèle  de vision de la guerre : la vision militaire, avec les journalistes qui s’intègrent à l’appareil militaire. Ces trois modèles sont visibles pour la guerre en Ukraine, car la proximité du conflit y invite.

  •  L’objectivité et les images photographiées.

P.C : «  Je ne suis jamais objectif, le choix de l’angle se fait par rapport à la sensibilité et l’éducation que j’ai reçue.»

En Ukraine, il y a une certaine méfiance vis-à-vis des journalistes car les jeunes se servent trop de leur téléphone et dévoilent des positions stratégiques. Pour prendre et diffuser une information, cela prend du temps. L’Ukraine est très contrôlée, il y a du monde partout. Il n’y a pas que le massacre de Boutcha, il y en a plein d’autres. J’ai photographié une jeune femme qui a été violée, tuée et enveloppée dans un manteau de fourrure, afin que l’on cesse le déni et que l’on révèle la violence de la guerre et que les exactions russes soient reconnues comme des crimes de guerre. La guerre en Ukraine ressemble à la guerre des tranchées. En trente ans de guerres civiles couvertes je n’en ai jamais vécue comme celle en Ukraine, sauf celle en Tchétchénie en 1995. Là l’image est importance car nous sommes au bord d’une guerre nucléaire massive. Personne ne peut empêcher la presse de travailler mais peut la contrôler.

 

  • La vérification de l’information par rapport à la propagande.

F.H : « En Ex-Yougoslavie, c’était une autre époque en terme de technologie, il y avait une certaine liberté de circuler et de faire son travail. Aujourd’hui, avec les enlèvements de journalistes contre des rançons, la difficulté de libre-circulation c’est différent. On peut être tué quand on est journaliste. »

Les premiers jours de la guerre en Ukraine l’ont stupéfaite, car les journalistes étaient en plan fixe, dans des hôtels, les cadres étaient serrés, sans aucun élément de vie. Il y avait une sorte de contraste entre la réalité de la guerre et la vie quotidienne des Ukrainiens. C’est identique du côté russe.

La question du pacifisme est exclue, tout comme en ex-Youglosavie, la non-intervention de l’Europe.

  •  La place du journalise dans l’information, est-ce une menace dans la guerre ?

GG : L’objectivité du journaliste n’existe pas. La subjectivité est toujours présente.

En 1999 lors de la guerre du Kosovo, à Paris la vision est déjà plus large avec les dépêches AFP, le retour des différents journalistes, contrairement au journaliste qui ne raconte que ce qu’il a vu. A Bagdad, qui est une grande la ville, les populations étaient en liesse dans une partie de la ville lors de l’arrivée des Américains, alors que pour le reste de la population, il ne passe rie de l’autre côté de la ville.

Autre point : la généralisation de l’information conduit parfois à tomber dans l’erreur. Il faut donc vérifier les images. Pour comprendre la fake-news, il faut comprendre comment elle se fait. Elle passe par une émotion, une fake-news est toujours incroyable et passe par l’image ou la vidéo.

Les nouvelles technologies sont de véritables outils qui permettent de faciliter les liens et les échanges mais la rapidité de celle-ci créée de la concurrence, la rapidité et son pendant négatif : la mauvaise information.

  •  L’immédiateté de l’information

IWM : C’est un questionnement pour les gouvernements. Un pays peut choisir d’être dans la désinformation permanente ou dans la transparence. Russia Today et Spoutnik ont été censurés, mais cela avait-il un sens ? Il aurait été intéressant d’avoir l’avis en direct des journaux pro-russes. Au début du conflit, un sondage table sur un pourcentage de 80% de Français qui sont pro-Ukrainiens. Parfois la désinformation peut être source d’information.

Cette vision d’Isabelle Veyrat-Masson n’a pas été partagée par Patrick Chauvel. Pour lui, il fallait interdire les informations de Russia Today et de Spoutnik.

 

  • La place et l’utilité de photo

PC : Les photos sont des faits et doivent être accompagnées d’un texte. Une image résume un contexte, un fait, une situation. Le rassemblemnt de ces photos n’est pas seulement pour la presse mais pour plus tard, pour nourrir l’Histoire. Quand on photographie, on interroge toujours les gens. Pour la jeune femme prise en photo, j’ai retrouvé son père, et j’ai tenté de comprendre sa famille. Cela permet de raconter l’individu. Compiler toutes les images c’est raconter l’histoire d’un pays. La photographie sert la propagande. La photo ne suffit plus, il faut un texte. Certaines histoires sont déformées ou fausses, et l’on se doit de rétablir la vérité.

IVM : Une image de fake-new est un paradigme de conflit, elle peut induire en erreur et tromper.  Elle met systématiquement en doute l’ensemble de la bonne information. Elle coûte très cher, car elle empêche la confiance.

 

  • L’information et le maintien de l’intérêt de l’opinion publique

FH : La guerre des Balkans a tenu en haleine l’opinion publique pendant longtemps car il y avait des désaccords entre le gouvernement et l’opinion publique. Il y a toujours de l’émotion. Pour la guerre en Ukraine, les Russes ont réagi à la guerre car ils se retrouvent mobilisés. C’est le même mécanisme avec les populations européennes qui ont froid, ils n’adhérent plus à la guerre et c’est au gouvernement d’agir. Une certaine lassitude émerge.

 

  • Le temps long de l’information et l’immédiateté de celle-ci

Les informations servent aux journaux, mais serviront aussi de preuve pour la justice et pour faire l’Histoire. La photographie et la vidéo ont de vrais problèmes de réputation. Il faut du recul pour montrer les choses de façon honnête. Ce fut le cas des journaux au sujet des bavures de l’armée française au Sahel.  Il en est de même avec le conflit au Moyen-Orient, c’est soixante-dix ans de complexité, sur le terrain, la réalité de la vie quotidienne est brouillée et contradictoire avec l’information parfois transmise.

Pour conclure ce compte-rendu, deux  morceaux choisis, de Patrick Chauvel :

« On est là pour interpeller, pas pour choquer ». Le rôle du journaliste doit aborder le choix des photos qui doivent ou non être publiées.

« Moi je raconte une histoire et la somme de toutes les histoires permettront de s’approcher de la vérité. » En lien avec la photographie qui est prise à un instant T.

Ce grand atelier, est le reflet de la qualité des intervenants et de la préparation de ces conférences menées par l’IRIS, qui ont fait la réussite de cette neuvième édition des Géopolitiques de Nantes.

La totalité de ce grand atelier se retrouve en podcast dès le 3 octobre, en vidéo sur la chaîne Youtube du Lieu Unique , ou en écoute libre, sur soundcloud.com/lelieuunique,