La Fabrique du Festival de Géopolitique de Grenoble nous propose un premier atelier intitulé « Géopolitique de l’adaptation ». Ces ateliers ont pour but de lancer en ligne le festival qui aura lieu du 24 au 26 mars 2021.
Cette première table ronde a lieu avec Jean-Marc Huissoud, enseignant-chercheur et directeur du festival de géopolitique de Grenoble, Nathalie Belhoste, enseignante-chercheure en géopolitique et Grégory Vanel, professeur-assistant en économie. L’animation est assurée par Sophie Cuermi, juriste internationaliste diplômée GEM/IRIS Sup.
L’enregistrement de cette table ronde est disponible ci-dessous :
Sommes-nous obligés de nous adapter dans l’urgence ?
JMH : 3 géopolitiques, une de l’actualité, une prédictive et une prospective qui pose la question de l’adaptation avec des règles du jeu qui sont en train de changer. Or on n’est pas dans l’urgence, mais dans la réflexion sur ce qui est en train de se passer, si on veut à peu près prévoir pour dans 20 ans.
Cela suppose des ruptures que l’on doit analyser pour orienter nos dispositifs et la géopolitique du monde en train de naître.
GV : La surprise est là. Le présent est trop analysé en fonction du prisme du passé. Se poser la question des futurs possibles est nécessaire en tenant compte de l’incertitude, de la surprise.
NB : L’adaptation, comme processus, mais aussi comme possibles. Donc changer d’image mentale.
Remettre de la lenteur dans l’analyse géopolitique ?
JMH : La géopolitique est une discipline qui a la responsabilité d’expliquer que l’événementiel, la gestion du risque au jour le jour n’est pas pertinente. Prendre le temps, réfléchir en sachant que nous en verrons les effets dans 20 ou 30 ans. Les vieilles structures vont casser, les autres s’adapter.
Le sapeur-pompier arrose pour éteindre l’incendie en détruisant tout autour. La peur, l’émotionnel, l’angoisse, nous devons y répondre pour réorienter les choses pour qu’il y ait le moins de casse possible.
GV : Comme il n’y a jamais de réponse simple à des problèmes complexes, une perspective écosystémique est nécessaire. L’urgence est toujours réactive. Or le cerveau humain n’est pas fait pour penser des problèmes complexes dans l’urgence. Ce qui conduit à des erreurs de jugement, individuelles et collectives.
Le mot de crise est partout. Pourquoi parler alors d’adaptation ?
JMH : La crise est la raison pour laquelle il est impératif de penser qu’il faut s’adapter. La modernité scientifique nous a fait croire que nous étions à l’abri.
Ce n’est pas « tout va mal » mais « on va essayer de s’en sortir ». On peut aussi imaginer que on ne s’en sortira avec la crise environnementale.
Pour apporter des réponses il va falloir abandonner certaines choses pour en construire d’autres. L’état de stabilité est rare et souvent illusoire. La géopolitique prédictive refuse qu’il n’y ait pas de solution.
NB : Poser un processus d’adaptation, c’est se poser la question de faire en sorte que ça tienne. D’où une sorte d’équilibre à retrouver et à réinventer.
GV : La crise est l’acte fondateur du renouveau du système social. Attention : la réflexion sur la cause amène à uniquement chercher des responsables. On peut penser collectivement ce qui freine et sortir du carbone sans rester dans la responsabilité des énergies fossiles.
Le principe évolutionniste ne dit pas qu’il y ait une seule façon de s’adapter mais plusieurs. Donc des compromis dans l’action et dans le temps.
JMH : La posture du festival c’est se dire qu’on ne restaurera pas le monde d’avant en le rendant propre ou vertueux. On appelle au débat tout en tournant le dos à ceux qui idéalisent le passé.
Le mot « crise » que l’on entend partout, en fait ne mène nulle part.
NB : Comment va-t-on réagir à ces défis, aux formes de résistance ? Ce sera intéressant à observer.
S’adapter, est-ce le lot des plus faibles ou une capacité de puissance ?
JMH : Sur le plan théorique, ceux qui émergent des crises sont en général ceux qui se trouvent en marge des systèmes rigides. Le monde antique du Croissant fertile s’est ensuite déplacé périphériquement. Il y a quelque chose à regarder là.
Reconsidérer la notion de puissance
JMH : Les acteurs les plus puissants qui s’inquiètent sont-ils mieux placés ? Si les Etats-Unis pensent rester les leaders parce qu’ils se pensent les meilleurs – on se fiche du multilatéral, etc. – ils seront les leaders d’un monde qui sera limité par rapport aux autres qui voudront évoluer avec des produits ou des règles nouvelles.
La puissance, c’est l’ensemble des leviers d’actions que l’on peut utiliser. L’ennui c’est qu’on ne sait pas si ces leviers seront encore efficients. Les pays qui possèdent le pétrole en feront quoi demain ? Ceux qui ont le lithium ou les terres rares et les moyens de les négocier, ceux qui imposent de nouvelles normes environnementales risquent de renverser la table.
NB : La puissance peut-elle être seulement militaire quand on est dans une crise sanitaire ou écologique ? Et comment s’adapter à la question de la pauvreté ou de la frugalité ? De ce point de vue les Occidentaux n’ont pas montré grand chose.
GV : Les Occidentaux ont construit leur puissance économique sur leurs forces productives. Dans le monde qui arrive, avoir accumulé des sécurités matérielles est peur-être superflu. Le Costa-Rica qui n’a pas d’armée est premier en matière de développpement durable.
La résilience des mammifères sous les dinosaures, c’est le tournant de l’intelligence. Il nous faut sortir de l’idée que la matérialité du monde est essentielle. Nous nous y sommes habitués car nous avons accumulé du matériel. D’où nos difficultés à recycler, économiser etc. Comment en sortir mentalement ?
Sortir de la matérialité
JMH : de quoi avons nous besoin ? D’énergies propres, de capacités à négocier et à collaborer, de construire un projet solidaire sans se déchirer.
Les enjeux se sécurité ne sont donc plus les mêmes.
Sur le mythe de l’effondrement : les institutions, la montée des violences oui, les peuples Egyptiens ou Mayas n’ont pas disparu. Leurs civilisations se sont effondrées pourtant…
A priori les sociétés humaines vont perdurer, la question est l’adaptation.
NB : Quelles circonstances et fonctions vont apporter des besoins nouveaux ?
GV : La nature de l’insécurité a changé. Voilà pourquoi on préfère l’adaptation à la crise. Plein d’espèces ont survécu en rapetissant…
Questions du public :
S’inspirer des leçons des anciennes sociétés sorties de crises anciennes ?
GV : Tout n’est pas conscientisé. La notion de répondre à un problème n’est guère compatible avec la notion d’adaptation. Il faut laisser la place à la surprise ou à la contingence.
Au XIXe, on enfouissait les déchets pour éviter les épidémies. Veut-on faire la même chose ?
NB : La comparaison des crises sanitaires passées n’aide pas globalement. Les contextes changent, l’imprévu modifie les donnes antérieures.
JMH : Les solutions sanitaires étaient-elles des solutions ou plutôt l’attente de la fin de l’épidémie ? Ceci dit, ce savoir s’est construit puis s’est perdu avec l’arrogance technologique et l’oubli du vieillissement de la population.
Avec quels outils s’exerce la puissance ?
GV : Conflits de projets, de territorialité ? Cela rajoute une couche réaliste : la rivalité c’est le potentiel d’un territoire.
NB : Ce qui manque c’est la question des représentations : les sociétés seront-elles capables de remettre en cause celles qui jusqu’à présent les valorisaient ?
JMH : Dans le monde germano-celte la puissance se porte sur les troupeaux. Puis, au Moyen-Age, ce sont les terres agricoles ; le XIXe se déplace sur les ressources minières et industrielles. La valeur d’un territoire change avec la valeur du monde : le Sahara n’avait aucun intérêt avant la fin du 19e. Aujourd’hui il est l’enjeu de base de contrôle des groupes djihadistes. Demain : le sable pour faire les panneaux solaires et les y installer…
GV : Il sera plus simple pour la géopolitique de s’adapter en continuant à empruntant des concepts des autres sciences sociales qui elles sont plus enfermées dans des concepts-silos.
L’adaptation est-elle possible à de tels niveaux de surpopulation et de réchauffement ?
GV : On néglige l’intelligence des populations (ex. la production du riz c’est le manque de monde qui pose problème). Relocaliser demande du monde ? Le malthusianisme est une solution passéiste. La collapsologie est l’idée qu’une seule solution est possible.
JMH : Les projections démographiques de l’ONU, 11 milliards d’humains en 2050 sont inimaginables si on vit comme des Américains. Est-ce possible ? Le dire ou dire le contraire n’est pas la seule issue. La perte du confort, de la liberté individuelle sans solidarité sera douloureuse, mais ce n’est pas ou l’effondrement ou l’adaptation.
GV : L’hypothèse de la collapsologie a le mérite de montrer un monde possible.
Pourquoi pas de réaction à l’émergence de la pandémie ?
NB : La société s’est construite sur une sécurité sanitaire qui arrangeait tout le monde mentalement. On refusait un scénario dérangeant.
GV : L’Europe a été touchée en priorité par son arrogance technique et culturelle. On s’est focalisé sur les questions valorisant la richesse et non sur la sécurité comme les Sud-Coréens qui avaient l’expérience du SRAS.
On s’est d’ailleurs bien marré avec les Italiens au début (syndrome de la ligne Maginot)…
JMH : Le mode de détection de l’OMS fonctionne. Or le problème s’est grippé avec les autorités régionales de Wuhan refusant de reconnaître la réalité de la pandémie.
Enfin, n’oublions pas que l’Asie de l’Est a toujours été un foyer d’infection dû au climat tropical humide…
Le festival sera extrêmement riche !
Prochaine intervention le 3 nov à 18h sur la question de la sécurité alimentaire et sa perturbation par le changement climatique : « De la fourche à la fourchette ».
A bientôt !