Islamisme – Par delà les rodomontades, les crispations et les usines à gaz
Cet article qui est longtemps resté en attente semble trouver sa pertinence avec la réapparition, après le Burkini dans les piscines municipales de Grenoble, de tenues qui suscitent quelques émotions.
Il s’agit du Kamish et de l’Abaya, que dans certains collèges, des élèves entendent porter, avec un argumentaire parfois confus, qui associe une affirmation identitaire, et clairement religieuse, ou un effet de mode. Cela est organisé souvent sur les réseaux sociaux.
Il est évident que dans le contexte des élections législatives, après une élection présidentielle, qui a été également marquée par les questions identitaires, ce type de publication n’est pas forcément fortuit.
Une vidéo à regarder attentivement
La réponse du Ministre
Pour autant, notre propos n’est pas de cultiver le #pasdevagues dont les effets délétères sont connus. Des reportages, qui présentent l’intérêt d’être publiés plus rapidement que les rapports institutionnels, montrent que dans certaines situations, ces affirmations vestimentaires traduisent une insidieuse pénétration de l’islamisme dans le système scolaire.
Nous sommes professeurs de terrain, attentifs à ce qui peut se produire dans nos classes, et force est de constater que le sujet devient récurrent.
Lorsque dans un collège du sud de la France, pour marquer leur différence avec l’arbre de Noël installé dans le hall du collège, des élèves cherchent à organiser une prière publique dans la cour, il semble difficile d’imaginer qu’une telle démonstration ait pu germer dans l’esprit de quelques adolescents.
C’est donc bien à cette réflexion que les Clionautes se sont attachés. À la suite du récent rapport Obin, que nous avons lu attentivement, et à propos duquel nous exprimons des préconisations, un dispositif de formation à la laïcité a été mis en œuvre.
Nous sommes toujours dans l’attente d’un bilan de cette initiative.
Nous sommes plutôt pessimistes à ce propos, puisque nous serions bien en mal de trouver le moindre retour d’expérience sur la masse de réformes que l’éducation nationale a pu subir.
En attendant, et parce que cette pression insidieuse d’une religion instrumentalisée par certains à des fins politiques, préoccupe de plus en plus de collègues, et tout particulièrement en histoire et en géographie, nous avons fait le choix de dire clairement les choses.
On trouvera ci-dessous un certain nombre de préconisations qui vont très au-delà de la mise en œuvre d’une pyramide descendante de formations, dont nous savons parfaitement qu’elles sont très loin d’avoir irrigué la profession.
Cela est la conséquence d’un profond désenchantement de notre profession, mais aussi d’un certain nombre de postures, au niveau des directions d’établissement, qui cherchent plutôt à passer entre les gouttes qu’à affronter les problèmes quand ils surviennent.
La tragédie du collège du Bois d’Aulne a d’ailleurs montré qu’une anticipation aurait été largement bienvenue, et aurait pu éviter cette atrocité.
Depuis le milieu du mois d’octobre, une fois retombé le rideau sur la commémoration de l’assassinat de Samuel Paty, les dispositifs de formation à la laïcité ont été mis en place. Ils sont issus du deuxième rapport Obin et reposent sur la formation de 1000 formateurs qui iront dispenser la bonne parole dans tous les établissements, en direction de tous les personnels. Ce dispositif vient compléter celui, existant par ailleurs, des référents laïcité
Ce deuxième rapport Obin, nous l’avons lu attentivement en son temps et nous avons essayé de faire entendre nos propositions.
Elles sont rappelées sur le PDF ci-dessous.
L’analyse et les propositions des Clionautes
Islamisme – une histoire qui vient de loin
Le tournant de cette islamisation dans les pays occidentaux qui touche l’immigration de la deuxième et troisième génération prend en compte différent facteurs.
Du point de vue global, le tournant a été l’humiliante défaite des pays arabes lors de la guerre des six jours que les islamistes ont présentée comme un châtiment de Dieu contre des régimes politiques apostats, c’est-à-dire laïcs ou assimilés.
Ce phénomène a touché les pays arabes, dont les autorités politiques ont voulu, pour se protéger d’une contestation interne, donner des gages à ce courant d’opinion, et favoriser une sorte de réactivation identitaire.
Cela s’est traduit dans les années 70, en Algérie comme en Tunisie par un retour de « l’arabisation » qui a fait de sacrés dégâts dans la communication scientifique.
Par ailleurs, ces régimes, qui voyaient avec inquiétude une sorte d’extrême-gauche marxiste se développer dans le monde étudiant ont favorisé des groupes islamistes, en autorisant notamment des salles de prière dans les universités. Le but était de marginaliser les marxistes contestataires et même certains groupes qui se revendiquaient du Nasserisme.
En Europe occidentale, en France notamment, l’extrême-gauche des années 70 n’avait strictement aucune complaisance alors avec l’islam politique. La référence était les mouvements armés palestiniens, présentés de façon très inexacte d’ailleurs comme « révolutionnaires ».
L’islam dominant, pratiqué jusque dans les années 80 restait celui des « Darons », celui des pères. Jamais un jeune ne se serait permis de faire la moindre réflexion à un ancien sur ses pratiques religieuses.
La crise économique, dans le contexte des deux chocs pétroliers, les conséquences sociales de la dérégulation libérale, ont eu comme conséquence une montée du chômage qui a fait perdre leur autorité aux pères de famille.
Dans le même temps, la massification de l’enseignement secondaire permettait aux familles d’exprimer une exigence, une demande sociale à l’égard de ce qui leur apparaissait comme un élément central de la société dans laquelle ils vivaient.
Les réponses à ces exigences n’ont pas été satisfaites, loin s’en faut, d’autant plus que la remise en cause des autorités traditionnelles a favorisé la recherche de substituts. C’est dans ce cadre là que les premières confréries commencent à se développer.
J’ai été amené, à la fin des années 80, dans le secteur Lille–Roubaix–Tourcoing, à faire ce constat. Des Frères musulmans ont commencé à intervenir avec des écoles coraniques et à développer une forme de religiosité visible. Avant l’affaire de Creil, largement médiatisée, de façon plutôt banalisée, le port du voile islamique devenait visible, tout comme les dispenses de complaisance pour les cours d’enseignement physique et sportif, la non-participation aux sorties scolaires, plus faciles à mettre en œuvre alors, lorsqu’elles impliquaient une nuitée hors du domicile familial pour les jeunes filles.
C’est encore une fois l’international qui va interférer avec l’évolution de l’islam dans les pays d’immigration.
Islamisme – Le tournant de 1979
La révolution islamique en Iran en 1979 qui remet en cause la domination ancienne des États-Unis dans le golfe arabo-persique, l’installation de la guerre civile au Liban à partir de 1975, qui montre là aussi la montée en puissance d’un islam politique, certes chiite, mais capable de remettre en cause l’ordre établi, a contribué à donner à une partie de cette opinion publique de culture musulmane une certaine fierté.
L’attentat contre la Mecque, également en 1979, a conduit les autorités saoudiennes à remettre en cause les timides aspirations à la modernité qu’elles avaient pu exprimer, et à se lancer dans une forme de prosélytisme de leur conception de l’islam sunnite, permettant de contrer l’influence de l’Iran chiite.
C’est dans ce contexte-là que des mosquées financées par l’Arabie Saoudite, et les autres monarchies du golfe, dont le Qatar, se sont développées, en Europe occidentale, mais également en Afrique subsaharienne.
C’est également la période pendant laquelle se déroule l’intifada, dans les territoires occupés de Gaza et de Cisjordanie.
Ici aussi, on commence à voir, dans la jeunesse scolarisée, une sorte d’intérêt pour ce conflit israélo-palestinien, et de façon quasiment simultanée, avec la guerre en Bosnie, une sensibilité particulière aux traitements dont les « musulmans » sont victimes.
Dans des zones fortement impactées dans le chômage, à partir de 1990, des liens s’opèrent, entre la délinquance de rue, celles liées au trafic de stupéfiants, notamment dans la zone frontalière du nord de la France, et des regroupements dans les mosquées.
Islamisme – Sur fond de détresse sociale et d’affirmation identitaire
Il s’agit là du phénomène qui touche Roubaix comme Tourcoing par exemple, et qui se diffuse peu à peu dans toutes les zones dans lesquelles la politique urbaine entamée dans les années 60 mais impactée par les crises économiques, a contribué à la formation de ghettos à caractère social et ethnique.
Les différents groupes de Frères musulmans, celui du Tabligh, avec de très nombreuses passerelles entre les uns et les autres, y compris des groupes salafistes visant un repli de type sectaire se sont engouffrés dans la brèche qui étaient largement ouverte.
Nous passons de l’islam des pères, à celui des petits frères, ou des frérots, à la connaissance théologique sommaire, basée plutôt sur des interprétations réductrices.
Le regroupement familial a également joué son rôle, tout comme des formes de mariages « gris », qui sans être des phénomènes de masse, conduisaient certaines familles à se mettre dans une posture d’auto exclusion, cherchant à utiliser les dispositifs sociaux, comme moyen d’existence dans un contexte économique difficile.
Ce n’est plus la foi intérieure qui compte, mais bien les postures que l’on affiche
La polémique qui a eu lieu à Creil, en 1989, l’embarras de l’État qui a laissé le conseil d’État adopter une posture plus « tolérante » a ouvert littéralement la porte à ce courant islamiste qui mettait l’accent sur la posture, sur le vêtement, sur les interdits alimentaires, et sur une forme d’auto exclusion à l’égard de la société des mécréants.
C’est la période où la question du halal va devenir centrale, et on peut reprendre l’ouvrage de Gilles Kepel sur 93, et l’on voit peu à peu les rituels prendre de plus en plus d’importance. La question du Ramadan devient essentielle, surtout que pendant cette période, en raison des changements du calendrier lunaire, il se déroule en pleine période scolaire. Depuis deux ans, il a lieu pendant les vacances d’été. Ce qui limite en partie les problèmes, même si la question a pu se poser il y a trois ans, à propos des épreuves du bac. Un certain nombre « d’accommodements raisonnables » ont pu être trouvés.
Et il faut se souvenir que les éditions Belin avaient fait le choix de retoucher une miniature persane pour flouter le visage du prophète, dans un manuel de cinquième.
La représentation du prophète de l’Islam – La position des Clionautes
Islamisme – Des accommodements raisonnables ?
À cette époque, les Clionautes étaient déjà intervenus.
Pour en revenir à cet épisode qui est l’objet d’un débat sur notre groupe, et bien entendu un an après ce qui apparaît comme un tournant, c’est-à-dire l’assassinat de l’un des nôtres, professeur d’histoire et de géographie, il faut bien mesurer la complexité de la situation qui ne s’accommodera jamais de raisonnements simplistes.
Il est incontestable que des courants politiques, sur l’ensemble du spectre, s’inscrivent clairement dans une instrumentalisation de la situation actuelle. Aborder de façon spectaculaire, et donc forcément réductrice, telle ou telle question permet d’exprimer au final ce que les médias reprennent à l’envi. Une forme de dénonciation de l’islam que l’on agglomère à l’islamisme politique et une dénonciation de l’islamophobie que l’on assimile clairement au racisme. Et nous savons que ce concept est largement discuté.
Se rajoute à cela la quête de notoriété, et l’obtention bien entendu de celle-ci, par ceux qui ont tout intérêt à entretenir leur « fond de commerce ».
Pour occuper des temps d’antenne les chaînes d’information en continu ont largement ouvert leurs plateaux à des personnalités qui ont pu réussir quelques coups éditoriaux comme Barbara Lefebvre et pour le dernier en date Didier Lemaire. Une certaine notoriété médiatique suffit à désigner des spécialistes autoproclamés ou plutôt pour ceux qui composent les plateaux des chaines d’info, « de bons clients » élevés au statut enviable de chroniqueurs.
On trouvera la même logique dans des proches de la gauche de la gauche, qui voient dans la laïcité un instrument de la domination bourgeoise, et qui accèdent avec une complaisance surprenante aux tribunes ouvertes de certain quotidien vespéral, ou d’un titre qui fut naguère fondé en 1973 par des anciens de la gauche prolétarienne.
Une instrumentalisation de la laïcité ?
On peut également trouver une instrumentalisation de la laïcité qui se décline désormais entre les orthodoxes au fonctionnement de groupes d’influence, comme le Printemps républicain, les organisations historiques, (Libre Pensée) qui sont en demande de visibilité.
Il y a dans cet inventaire à la Prévert, des points communs. Celui de l’obtention d’une présence médiatique qui part des réseaux sociaux, et qui conduit à ce que les médias traditionnels leur consacrent de plus en plus d’importance.
Il y a d’ailleurs une confusion majeure à mon sens entre les réseaux sociaux et l’opinion publique. Les deux ne sont pas identiques. Les réseaux sociaux ne peuvent être, de par leur nature, que des révélateurs, des initiateurs mais en aucun cas des lieux de production d’idées. Nous sommes loin de « l’intellectuel organique » dans ce domaine. Et si Éric Zemmour cite souvent Gramsci à propos de la bataille des idées, ses contempteurs ne semblent pas faire la différence entre le débat d’idées et l’approximation qui vise à occuper la « résosphère ».
Cela traduit une évolution délétère, et même une dérive mortelle du métier d’informer, je n’ose même plus parler de journalisme, car ce n’est plus l’enquête, l’investigation qui fonde l’information mais la recherche dans les réseaux sociaux des « angles » qui vont permettre de construire des sujets. Le but recherché est celui de l’audience, de l’audimat, avec cette logique d’un sujet qui en chasse un autre.
Les médias ont aujourd’hui un comportement plutôt « moutonnier », et ils sont à la remorque les uns des autres. À partir du moment où un sujet fait le buzz, il faut forcément le suivre.
Mais cela contribue à faire oublier l’essentiel, celui auquel nous autres, professeurs d’histoire et de géographie sur le terrain, faisons face tous les jours.
Bruno Modica
Impact de l’islamisme à l’école
Hanifa Cherifi
Hommes & Migrations
D’accord sur tout. On pourrait rajouter que les musulmans « sérieux » ou « normaux » sont, à ma connaissance, les premiers ennuyés, et le mot est faible. Ainsi que les quelques millions de ceux qui ont abandonné l’islam, mais ont, par exemple, un nom de famille arabe.
À propos de ces deux dernières catégories se sont multipliées les remarques agressives sur la diffusion des prénoms « arabo–musulmans », qui n’ont souvent rien de musulman (« nour » : la lumière) et surtout qui sont choisis comme le veut la tradition, parmi ceux d’ascendants, donc n’ont rien à voir avec ce que pense l’enfant qui l’a reçu.