Cette table ronde a pour objet l’ouvrage consacré aux écrits journalistiques, politiques mais aussi littéraires de Jean Zay publiés dans un gros volume de 1216 pages par les éditions Bouquins, sous le titre de Jean Zay, jeunesse de la République. À travers cette sélection de textes, il s’agit de faire mieux connaître la vie, la pensée et l’action politique de Jean Zay, homme politique remarquable assassiné par la Milice en juin 1944, alors qu’il n’avait pas 40 ans.
Les intervenants de la Table ronde sont les deux auteurs de l’ouvrage et la responsable de l’édition. Olivier Loubes est historien et enseigne en classes préparatoires à Toulouse ; il a déjà consacré 3 ouvrages à Jean Zay. Pierre Allorant est historien, docteur en droit, professeur et doyen de la faculté de droit, d’économie et de gestion de l’université d’Orléans ; Il est également président du Cercle Jean Zay. Anne-Rita Crestani-Mermillaud est éditrice de l’ouvrage aux éditions Bouquins. C’est dire que nous avons affaire ici à des spécialistes qui ont une connaissance approfondie de la somme considérable des écrits de Jean Zay. Mais ce sont aussi de fervents admirateurs du personnage qui ont à coeur de transmettre la mémoire de ce grand républicain et qui y réussissent fort bien. La présence parmi le public d’Hélène Zay en témoigne.
En introduction, Olivier Loubes estime que Jean Zay est à la fois connu (pour ses réformes de l’éducation, la création du festival de Cannes ou le projet de l’ENA) mais que de larges pans de sa vie et de son oeuvre ¬ en particulier comme ‘ecrivain ¬ sont largement ignorés. Peut être parce que sa vie et sa carrière politique ont été courtes, interrompues brutalement par son assassinat. Le but de cet ouvrage vise donc à réparer cette lacune et à faire connaître cet « écrivain de la République ».
Un républicain et un écrivain en herbe
L’attachement à la République chez Jean Zay s’inscrit dans une histoire familiale. Issu d’un père juif alsacien, membre de la franc-maçonnerie, et d’une mère protestante, le terreau républicain dans lequel Jean Zay a grandi est profond. Histoire familiale marquée par par l’Affaire Dreyfus, Olivier Loubes parle d’humanisme des minoritaires.
Le père de Jean Zay était journaliste et rédacteur en chef du journal républicain La France du centre. Avec un tel exemple paternel, Jean devient un véritable journaliste en herbe pendant la première guerre mondiale, en 1917, à l’âge de 13 ans! Sur un cahier d’écolier, écrit à l’encre violette, Jean Zay se transforme en rédacteur en chef et en journaliste rédigeant (avec sa soeur) l’essentiel des articles! il écrit aussi des textes de fiction.
La « fabrique » du républicain Jean Zay passe donc par l’écriture.
Une république ressourcée
Pierre Allorant rebondit sur les propos de son collègue et évoque la diversité des écrits de Jean Zay, à partir de 1932, quand il devient député et publie dans « La France du centre », dirigée par son père à Orléans. Ces sont pas moins de 147 éditoriaux et chroniques qui sont publiés entre 1932 et 1936. Ces éditoriaux et articles de fond, dont l’ouvrage offre une sélection, sont passionnants et très bien écrits. Il y a chez Jean Zay, à l’instar des autres « jeunes Turcs » du parti radical Piere Cot ou Pierre Mendès France, une volonté de rénover et de ressourcer la République. Jeunesse est ainsi un des mots-clé des écrits de Jean Zay. Quelles que soient les thématiques abordées, il y a chez lui une volonté d´ouvrir un dialogue avec les électeurs qui sont pris au sérieux et une démarche pédagogique pour expliquer et convaincre, qu’on retrouvera dans les années 50 avec le mendésisme.
À partir du 30 janvier 1933 et de l’arrivée de Hitler au pouvoir puis de l’émeute du 6 février 1934 à Paris, le danger du fascisme devient une préoccupation majeure pour Jean Zay. Avec une grande lucidité, il alerte les citoyennes et les citoyens du danger « fasciste » et le jeune pacifiste qu’il fut à 20 ans se convertit en républicain patriote, partisan d’un réarmement militaire et moral.
À ce propos, Olivier Loubes revient sur deux « textes maudits » de Jean Zay : Le drapeau publié en 1924 à l’âge de 19 ans et les extraits du carnet secret de Jean Zay publiés par la presse collaborationniste (Gringoire) en 1941. Ces deux textes ont été au coeur d’une campagne de haine orchestrée par l’extrême droite qui n’est sans doute pas pour rien dans la fin tragique de leur auteur.
Le drapeau est un pastiche litteraire écrit par un jeune homme de 19 ans. Il doit être replacé dans le contexte des années 20 et de la génération de pacifistes écoeurés par le sacrifice de la jeunesse francaise sur les champs de bataille de la guerre 14-18, ordonné par des “vieux”, au nom d´un nationalisme étroit. Le conférencier rappelle que si Jean Zay a été pacifiste intégral pendant la République de Weimar, dès 1934, il fait partie de ces députés de gauche qui votent les crédits de guerre. Malgré cela, l’extrême droite francaise poursuivra Jean Zay de sa vindicte jusqu’à sa mort.
Le deuxième texte maudit est constitué d’extraits des carnets dits secrets de Jean Zay publiés par Gringoire en 1941. Il s’agit du verbatim du conseil des ministres de septembre 1939 au moment de l’entrée en guerre. Les auteurs avouent avoir beaucoup hésité à publier ce texte, car l’original a disparu et on ne peut garantir l’authenticité d’un texte diffusé par des collaborationnistes pour salir l’honneur d’un homme.
Une République en captivité
Cette dernière partie est consacrée à l’oeuvre litteraire de Jean Zay pendant sa captivité à Riom, entre l’automne 1940 et le 20 juin 1944. En prison, il renoue avec ses premières amours de jeunesse : la litterature. L’écriture est pour lui une manière de supporter l’enfermement et la solitude mais aussi de se projeter vers un avenir où`la France libérée devra rétablir et rénover la République. Il s’agit aussi de subvenir aux besoins de sa famille, de son épouse et ses deux filles, puisque certains livres sont publiés sous un pseudonyme. Il compose ainsi deux romans policiers et 21 nouvelles essentiellement policières!
Olivier Loubes rend ensuite un hommage appuyé à ce qu’il qualifie comme le maître-ouvrage de Jean Zay : Souvenirs et solitude dont il conseille vivement la lecture. Les feuillets étaient cachés dans le landau lors des visites de l’épouse de Jean Zay, au fur et à mesure de leur rédaction. Ce livre publié en 1949 par sa veuve n’est pas un testament car l’auteur voulait et pensait vivre. Ensemble de réflexions sur les raisons de la défaite, le livre parle aussi de l’avenir et propose des pistes pour le renouveau de la République après la guerre, certaines idées qui le rapprochent de Pierre Mendès France qui était aussi son ami.
Questions du public
Q : Pourriez-vous évoquer l’action de Jean Zay dans le domaine des arts?
Réponse : Jean Zay fut ministre de L’éducation et des beaux arts, domaine auquel il accordait beaucoup d’attention. La conviction de Jean Zay est que face à la montée du fascisme en Europe, la démocratie doit montrer sa force et la culture, par son rayonnement international et son impact sur la diffusion des idées, est une arme. La création du festival de Cannes en 1939 procède de cette vision. Une sorte de « Soft Power » avant l’heure, en quelque sorte…
Q : La mémoire de Jean Zay est -elle suffisamment présente à Orléans?
Réponse : Jean Zay était profondément attaché à sa ville natale dont il était l’élu et y avait conservé de nombreuses attaches. Les traces de la mémoire de Jean Zay sont présentes à Orléans, même si elles sont parfois discrètes. Pierre Allorant espère qu’un jour une université à Orléans portera le nom de l’illustre natif.
À l’échelle nationale, les progrès sont importants depuis 30 ans, avec bien sûr la panthéonisation en 2015. 130 établissements scolaires portent son nom en France. L’ouvrage présent participe aussi de ce travail de mémoire.
Conclusion : des conférenciers passionnés nous ont offert une conférence passionnante. Maîtrisant parfaitement le sujet, ils ont su éclairer les multiples facettes de la vie courte mais riche et multiple de Jean Zay. En ces temps troublés, il n’est sans doute pas inutile de redécouvrir la pensée et les valeurs de ce grand républicain…