La toponymie  et nombre  de documents d’archives  attestent que les Juifs étaient bien  présents dans les villes européennes depuis le haut Moyen âge, et souvent en relation étroite avec le  pouvoir en place. La table ronde a pour objet de retracer cette présence des Juifs en ville au Moyen âge et les tensions dont ils sont victimes à partir du 14siècle. La fin de la table ronde donne quelques pistes de transposition pédagogique de cette question dans l’enseignement secondaire.

La table ronde est animée par Claire Soussen, professeure d’histoire médiévale à la Sorbonne et spécialiste des relations entre juifs et chrétiens à la fin du Moyen Âge, particulièrement en péninsule Ibérique. Elle est chargée de la partie scientifique de la question. Florence Chaix IA-IPR de l’Education nationale, et Francoise Beauger-Cornu professeure d’histoire-géographie dans le secondaire et à l’INSPE, sont chargées de la partie pédagogique.

Des Juifs présents en  ville depuis le haut Moyen âge

En introduction, Claire Soussen évoque la présence des Juifs attestés par diverses sources au 5-6e siècle en Italie du sud, en Sicile et en Catalogne. Ils sont mentionnés dans les actes des conciles ou bien encore par Grégoire de Tours, par exemple. Aux 9et 10siècles, ils apparaissent dans les sources en Allemagne du nord, à Cologne. Tous Les Juifs ne vivent pas en ville mais sont souvent associés à la ville. Les quartiers juifs en ville les rendent plus visibles dans les sources. Minorité dans la ville chrétienne, se pose alors selon les époques la question de leur visibilité ou invisibilisation.

Les origines et les motifs de la présence juive en ville relèvent souvent d’un intérêt réciproque, selon Claire Soussen. Par exemple, vers 1084, selon les sources,  l’évêque de Spire fait venir des Juifs en ville, en leur accordant des privilèges qui sont loin d’être négligeables : par exemple,  la possibilité de faire du commerce avec les Chrétiens, notamment alimentaire. En Italie, au 13et surtout 14siècles, certains princes signent des « condote », des contrats d’installation avec de petits groupes de Juifs. Ces contrats assurent aux Juifs une protection princière et précisent parfois les taux d’usure légaux à pratiquer pour les prêts à intérêt. La relation basée sur l’intérêt réciproque est ici évidente.

On trouve parfois des témoignages de l’attachement des Juifs envers la ville où ils vivent. Ainsi, à Béziers en 1214, sur une pierre synagogale gravée retrouvée dans la cathédrale ou bien un texte dans lequel les Juifs parlent de Montpellier comme d’une nouvelle Jérusualem.

À partir du 12siècle, on assiste à un processus progressif  de communautarisation des minorités urbaines juives : des privilèges d’autonomie leur sont accordés pour la gestion de leurs affaires internes et la nomination de juges qui appliquent la loi juive. Un responsable communautaire sert de relais avec les autorités urbaines chrétiennes. Cela s’accompagne souvent  à partir su 13siècle de gestes rituels de prestation de serment.

 

Les formes de la présence juive dans la ville du Moyen âge

À partir du 11siècle, les Juifs se regroupent dans un quartier juif ouvert dont le nom varie selon les lieux : Judería en Espagne, juiverie en France… Le quartier juif, qui regroupe au maximum 10% de la population urbaine totale, est souvent dans le centre urbain, les Juifs ne sont pas (encore) mis à l’écart. Par exemple, à Paris, la juiverie se situe sur l’île de la Cité jusqu’au 12siècle. Plus tard, ils sont expulsés puis rappelés. À Barcelone, Le quartier juif est central, mais le cimetière est situé en périphérie et souvent en hauteur, à Montjuich pour Barcelone.

Le quartier juif est le lieu fondamental de la vie juive. C’est là qu’on y trouve les équipements communautaires indispensables : La synagogue et plus encore le mikvé  (le bain rituel de purification). Enfin, le cimetière avec les stèles. La boucherie, où l’on vend la viande casher, est une autre infrastructure fondamentale et les écrits réglementant le commerce de la viande sont nombreux. Les autres activités urbaines fréquentes des Juifs sont le commerce, le prêt, l’artisanat et la médecine.

 

L’évolution de la présence juive dans les villes (à partir du 14siècle)

À partir du 14siècle, la situation des Juifs dans les villes de l’Occident chrétien se complique, en lien souvent avec le renforcement de l’autorité royale : leur nombre tend à diminuer et un processus d’invisibilisation se met progressivement en place. Des décrets d’expulsion divers sont pris en Angleterre ou en France.

Dans la péninsule ibérique, les massacres de l’éte 1391, attestés par une documentation variée, sont un tournant. Partis de Séville, d’autres villes ont été le théâtre  de  pogroms : Gérone, Valence et surtout Barcelone. Au 15siècle, la présence juive se rétracte peu à peu dans les villes d’Espagne, en lien avec les conversions et les mesures prises à leur encontre. À Barcelone en 1399, le Conseil demande la suppression du quartir juif et leur expulsion. Dans d’autres villes, le quartier juif est déplacé à l’écart du centre. Au 15è siècle, la  tendance politique conduit à une séparation des communautés religieuses : chrétienne , juive, musulmane. Il s’agit aussi d’éviter les contacts entre Juifs et les « conversos », leurs anciens correligionnaires convertis au christianisme. Cette politique royale de séparation ne doit pas être analysée uniquement sous le prisme de la discrimination; il s’agit aussi, parfois, de mesures de protection d’une minorité menacée.

En Espagne, la présence des Juifs dans les villes  se réduit donc à tous les niveaux au 15siècle, jusqu’à ce que les Rois catholiques décident de leur expulsion en 1492.

 

La place des Juifs dans les programmes scolaires

Florence Chaix et Francoise Beauger-Cornu prennent le relais pour le volet pédagogique et didactique de la  table ronde.

La première remarque est que la place des Juifs dans les programmes scolaires est réduite. En Cm2, le génocide est évoquée. En sixième, la naissance du monothéisme juif est abordé au début du programme d’histoire. En quatrième, il n’y a aucune mention des Juifs, si ce n’est par le biais de l’antisémitisme moderne avec l’Affaire Dreyfus. En troisième, le génocide a une place importante dans le programme. Au lycée, on aborde les Juifs à travers le PPO sur les frères Péreire et  avec l’affaire Dreyfus en première,  puis le génocide en terminale.

La conclusion de la conférencière est que le judaïsme constitue en quelque sorte une tâche aveugle dans le récit national et l’enseignement secondaire. L´histoire du génocide en troisième et en terminale ne permet pas de faire reculer l’antisémitisme dans les collèges et lycées et les élèves actuels font plus le lien entre Juifs et Israël qu’entre Juifs et France, selon les enquêtes. On peut néanmoins tenter d’insérer l´histoire juive de la France quand on aborde l’affaire Dreyfus, Léon Blum ou Simone Veil, en signalant leur ancrage dans l´histoire de France.

 

Quelques pistes pour une transposition didactique

F. Beauger-Cornu lance quelques idés et propose des pistes pour mieux intégrer les Juifs comme partie intégrante de l’histoire de France. Elle souligne quelques écueils à éviter : Ne pas donner une perception lacrymale et victimaire des Juifs au Moyen âge; éviter un récit téléologique des Juifs (jusqu’à Auschwitz). L’un des objectifs étant de montrer que l’histoire des Juifs n’est pas déconnectée de l’histoire de France mais partie intégrante de cette histoire.

La proposition didactique concerne le programme de cinquième dans le cadre de l’étude du thème « société et pouvoir dans l’Occcident féodal », avec une étude de cas sur « les Juifs dans la ville au Moyen âge ». L’objectif est de montrer que les Juifs font partie intégrante de la société médiévale. On peut aussi illustrer l’affirmation du pouvoir royal à travers la question des expulsions.

Pour construire la lecon, une liste de documents variés est proposée :

  • Enluminure du 13siècle sur des Juifs prêteurs d’argent ( question des stéréotypes) juifs en ville
  • Stèle d’un cimetière juif médiéval
  • Photo du cimetière juif fouillé à Châteauroux
  • Photo d’une plaque de  rue des Juifs
  • Graffiti en hébreu
  • Reproduction d’un vitrail de la cathédrale de Chartres
  • Enluminure du 14siècle
  • Texte de John Tolan sur l’expulsion des Juifs de Blois en 1171

juifs expulsion

La liste n’est, bien sûr, pas exhaustive et le conseil donné est de donner la priorité  à des documents locaux ou régionaux plus parlants pour les élèves.

La reprise des informations extraites des documents peut porter sur l’affirmation du pouvoir royal au cours du Moyen âge et sur les stéréotypes négatifs dont certains ont défié le temps.