La FMES, en partenariat avec l’université de Toulon, a reçu, le 3 novembre 2022, Antoine Bondaz, chargé de recherche et directeur de programmes à la Fondation pour la recherche stratégique. Enseignant à Sciences Po, ses recherches portent sur la politique étrangère et de sécurité de la Chine, de Taïwan et des Corées. « La Chine dans le contexte géopolitique actuel » est un sujet au cœur de l’actualité, comme l’illustre la dernière visite de Emmanuel Macron et de Ursula von der Leyen à Pékin.
Voici un compte rendu de cette excellente intervention. Il a été rédigé dans le cadre du portail « Relations Internationales » sur Clioprépa, et vous pourrez y trouver d’autres articles relatifs aux questions de sécurité et d’actualité. La conférence est disponible sur la chaine Youtube de FMES France, et voici le lien.
La Chine dans le contexte géopolitique actuel
La salle est bien remplie pour cette conférence très attendue. Antoine Bondaz, outre sa parfaite maîtrise du sujet, propose une analyse tout à fait accessible et rigoureuse. Le plan choisi repose sur cinq questions, qui sont traitées de la façon suivante :
1 – Les grands enjeux liés à la Chine et au XXè congrès du Parti Communiste chinois
2 – Un focus sur le cas de Taïwan
3 – Une mise en perspective de la guerre en Ukraine et des relations entre Moscou et Pékin
4 – La montée des tensions avec les États-Unis
5 – Une mis en perspective des défis posés aux Européens par la Chine
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1 – Le XXè congrès du Parti communiste chinois (Octobre 2022)
C’est l’événement phare dans la vie politique du parti communiste chinois.
Fort de plus de 95 millions de membres, (plus que la population allemande) ne clôt pas mais poursuit une dynamique initiée il y a 10 ans, lors du 18e congrès c’était en octobre / novembre 2012, lorsque Xi Jinping a été nommé secrétaire général du parti.
La Chine, à travers son parti, se radicalise et cela va continuer pour Antoine Bondaz. Ceci est perceptible dans les réflexions autour de la réforme de la Constitution (en Chine il y une constitution pour le parti et une pour la République). Il s’agit d’une confirmation de la position centrale de Xi Jinping au sein du parti et de son rôle de directeur de la pensée. Le XXe congrès marque véritablement un point culminant dans l’exercice du pouvoir, et dans sa concentration entre les mains du parti et surtout de Xi Jinping. Ceci est confirmé par les diverses nominations aux postes clés de ce dernier, à l’image de la montée en puissance de Wang Huning qui est très peu connu en France, mais qui est en quelque sorte l’idéologue du parti, très proche de Xi Jinping. Contrairement à ce qui s’est passé il y a 10 ans, il n’y a pas eu de volonté à travers les nominations de respecter une sorte d’équilibre entre des courants politiques au sein du parti. Elles n’ont pas non plus été réalisées en fonction de principe et de méthode habituelles de pratiques habituelles qui étaient celles notamment en matière de méritocratie et d’expérience. Ces nominations de personnes uniquement extrêmement proches de Xi Jinping marquent de fait la poursuite de cette double concentration du pouvoir et de radicalisation. Ceci se confirme dans la validation des actions pratiquées face au Covid, ou dans l’absence de féminisation qui se poursuit.
2 – Le cas de Taïwan
Parmi les récentes modifications de la constitution du parti l’une d’elle mérite une attention particulière : « le parti s’oppose résolument à l’indépendance de Taïwan et au mouvement sécessionniste ».
De fait la conquête de l’île est intégrée aux statuts du parti. Pour Antoine Bondaz ceci s’inscrit dans la logique d’un recherche de leviers de légitimité. Le développement économique a longtemps été l’un d’eux, avec une véritable réussite. Aujourd’hui la croissance ralentit de façon structurelle (rien à voir avec le Covid) et il faut pour le parti trouver de nouveaux leviers trouver de nouveaux leviers pour convaincre la population de la légitimité du parti.
Le focus historique sur le nationalisme contemporain commence en fait dès les années 90 suite aux événements de Tien An Men. Pour simplifier, ce fut un moment où l’idéologie léniniste socialiste entre en contradiction avec le développement économique de la Chine. Le levier patriotique, nationaliste prend alors le relais, notamment dans les manuels scolaires avec en ligne de force le discours de la grande renaissance de la nation chinoise après un siècle d’humiliation (du milieu du XIXe siècle au milieu du 20e siècle et à la proclamation la République populaire en 1949). Aujourd’hui très clairement le nationalisme est un levier très important de la légitimité du parti et ce dernier en joue au maximum, à l’mage des réactions suite à la visite de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des Représentants à Taïwan.
Dans le détroit Taïwan, le rapport de force a complètement changé ces 20-30 dernières années, mais pas les objectifs de la Chine. La Chine a quintuplé ses dépenses militaires. L’Armée populaire de libération est, il faut le rappeler, l’armée du parti et non pas l’armée du pays (littéralement dans les statuts c’est l’armée du parti). Lors des fameux défilés le premier drapeau qui est porté par les gardes d’honneurs n’est pas le drapeau de la République populaire de Chine, c’est le drapeau du Parti communiste chinois. Cette armée populaire de libération s’est dotée d’importantes capacités militaires notamment balistiques, amphibies, qui pourraient donner à la Chine les moyens d’ici 2027, ce sont les analyses que donnent les Taïwanais, de mener des opérations de grande envergure.
Ceci explique donc la montée en puissance des pressions, la multiplication des exercices, des provocations. La question soulevée, au-delà de la comparaison avec la crise en Ukraine, est bien pour Antoine Bondaz celle de l’ambition d’un membre permanent du Conseil de sécurité de faire disparaître Taïwan en tant quantité politique autonome souveraine. L’enjeu n’est pas tant l’indépendance de Taïwan, mais bien la possibilité d’un simple statu quo pour l’île.
Une dimension importante de cette question est militaire. L’armée populaire du libération entend être en mesure d’installer des bases militaires à Taïwan pour accroître la profondeur stratégique du pays qui se sent encerclé géographiquement par une chaîne d’île qui va du Japon jusqu’aux Philippines en passant par Taïwan. Il s’agit aussi de modifier l’environnement stratégique à son profit, en étant capable de pouvoir se projeter vers le Pacifique les SNLE chinois. Ces sous-marins nucléaires ont aujourd’hui beaucoup de mal à se diluer, c’est-à-dire de pouvoir ne plus être repéré en Mer de Chine méridionale[1]. En effet les fonds en réalité sont peu profonds, sauf une petite fausse non loin des Philippines. Dans le Pacifique existent des fosses beaucoup plus importantes, encore faut-il pouvoir les rejoindre.
Se pose aussi la question d’un modèle extrêmement gênant, aujourd’hui démocratisé après des années de dictature. Ce pays est économiquement solide, développé encore aujourd’hui Taïwan aujourd’hui est la 14e puissance mondiale en termes de pouvoir d’achat par habitant.
Les pressions sont donc énormes, de tous types (diplomatiques, cyberattaques, militaires). La question qui se pose aujourd’hui du point de vue américain et du point de vue européen c’est de plus en plus comment est-ce qu’on fait pour éviter que le scénario ukrainien se reproduise à Taïwan. Comment est-ce qu’on fait pour contribuer à maintenir le statu quo, comment convaincre la Chine que changer de façon unilatérale et par la force ce statut quo c’est à dire essayer de prendre le contrôle de Taïwan serait trop risqué pour le parti pour la Chine etc.
C’est toute la réflexion qu’il y a en ce moment au niveau européen y compris dans le cadre du G7.
3 – La question de l’Ukraine
On a beaucoup parlé la position chinoise sur le conflit et la guerre en Ukraine. La position chinoise quant à cette invasion est mal présentée. Il n’est pas question pour Pékin de lâcher Moscou, et sur ce point Antoine Bondaz est catégorique. L’invasion russe de l’Ukraine est parfaitement cohérente avec ses propres intérêts. Il y a une véritable continuité : faire preuve de pragmatisme et d’opportunisme. Chercher à combiner un soutien implicite à la Russie, tout en associant cela donc à une critique explicite des pays occidentaux et évidemment des États-Unis. La Chine n’entend pas jouer un rôle d’arbitre, mais elle essaye évidemment d’avoir l’image d’une puissance responsable, comme le dit le ministre de la faire étrangères chinois : « la position de la Chine c’est d’être objective juste et du bon côté de l’histoire ».
Il faut toujours faire très attention quand on lit un discours chinois parce qu’il faut le contextualiser. En Europe on va avoir tendance à interpréter un discours en fonction de ce qu’on attend. Un exemple : la Chine parle beaucoup de l’importance de garantir l’indépendance la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays. L’argument utilisé les autorités chinoises est d’utiliser le concept de souveraineté, non pas pour dire que l’invasion russe est illégale, mais pour dire parce que la souveraineté très importante. Vu du côté de Pékin il s’agit donc de dire aux Occidentaux « vous ne devez pas vous occuper de la question de Taïwan puisque c’est une question chinoise ». Ainsi la mise en avant du concept de souveraineté n’est pas du tout contre la Russie et pour l’Ukraine, c’est contre les États-Unis et pour Taïwan dans le sens pour les intérêts chinois.
Dans les questions finales, Antoine Bondaz revient sur un point essentiel de la question ukrainienne. Le pire des scénarios pour la Chine en Ukraine ne serait pas une défaite russe, ou un effondrement économique qui pourrait d’ailleurs être perçu comme une opportunité. Le pire serait selon le spécialiste un renversement de régime à Moscou. Vladimir Poutine écarté, ce serait une catastrophe car cela alimenterait l’idée qu’une opération militaire tentée contre Taïwan, et qui se solderait par un échec pourrait avoir les mêmes conséquences à Pékin. La question de la solidité politique est fondamentale et s’inscrit d’ailleurs dans un concept clair, « l’initiative de sécurité globale ».
Le concept de l’initiative de sécurité globale[2]
La question du concept de l’initiative de sécurité globale : pour l’instant ça nous dit strictement rien mais, affirme le spécialiste « je reviendrai dans cinq ans faire une conférence parce que ce sera un peu comme les routes de la soie ; quand ça a été lancé tout le monde s’en foutait un petit peu, c’est un concept aujourd’hui qui est au cœur de la diplomatie chinoise ».
À l’ONU aujourd’hui il n’y a pas une seule déclaration chinoise, pas un seul projet de résolution où les diplomates chinois ne viennent pas en disant « il faut rajouter le concept d’initiative de sécurité globale ».
Ce concept vise à déformer le concept de sécurité nationale, pour qu’il aille dans le sens des intérêts chinois et les centres des intérêts chinois. Ceci signifie mettre en avant la sécurité politique, la préservation du régime. C’est au cœur de la pensée de Xi Xinping depuis 2014. Ceci permet de comprendre le fondement du rapprochement sino-russe, par exemple lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver. Lors de la déclaration commune, le sujet la sécurité politique, de la démocratie était au cœur. Le propos était de dire que les Occidentaux ont fourvoyé le concept démocratie et qu’en fait la vraie démocratie était à Moscou et à Pékin. La Chine n’est pas une menace pour le régime russe contrairement à l’Union européenne ou contrairement aux États-Unis et la Russie n’est pas une menace pour le régime chinois. Le but interne reste le contrôle des populations des deux pays.
Donc il n’y a pas d’alternative et une grande partie des arguments chinois dans la guerre en Ukraine, la façon le sujet est couvert par les médias chinois c’est de dire ça c’est de dire les Américains par exemple déstabilisent les autres pays, la façon dont les Américains évidemment sont présentés comme étant responsables de la guerre, comme en profitant, sont limpides. La Chine n’a aucun intérêt aujourd’hui à changer sa politique sur la question de l’Ukraine. Tout est bon pour faire de la communication contre les États-Unis, c’est un point fondamental en matière de politique étrangère chinoise.
4 – L’obsession chinoise vis-à-vis des USA
Lors d’une étude menée au sein de la Fondation pour la recherche stratégique en 2022, au 1er semestre 2021 tous les éditoriaux publiés dans les « Unes » des journaux quotidiens chinois, le Global Times qui est souvent présenté comme très nationaliste alors qu’il n’est pas selon Antoine Bondaz plus nationaliste que d’autres, 95% des éditoriaux sur 160 critiquaient les États-Unis. Ceci est un mouvement de fond.
Cette dégradation des relations entre les deux puissances est remise en perspective avec le célèbre et médiatique « piège de Thucydide ». En réalité ce concept existe depuis des années en théorie des relations internationales. Il s’agit de la théorie de la transition de puissance[3], mais « piège de Thucydide » est mieux passé dans les médias. La réflexion pose la question de savoir se qui se passe lorsque une puissance déclinante face à une puissance émergente, ce qui se passe quand il y a une transition de puissance, que ce soit au sein d’une région ou que ce soit au niveau du système international. Il n’y a pas de consensus dans la recherche, mais il y a souvent une instabilité dans le système, il y a souvent une guerre entre les deux protagonistes. Donc la question qui se pose du côté chinois c’est comment parvenir à passer devant les États-Unis sans qu’il n’y ait de guerre. Cette dernière n’a aucun intérêt si les Chinois peuvent passer devant les Américains, devenir de plus en plus puissants face à une puissance déclinante. Toute une littérature chinoise repose sur comment gérer la relation bilatérale[4].
Du point de vue chinois, il y a eu une inquiétude extrêmement au moment de la crise économique et financière de 2007-2008 et de l’arrivée au pouvoir de Barack Obama. La crise économique et financière de 2007-2008 a accéléré le déclin relatif des pays occidentaux face aux émergents. Quant au président Obama qui arrive au pouvoir en janvier 2009, il annonce un retrait d’Irak, qui va se faire en 2011 et un retrait d’Afghanistan, qui prendra beaucoup plus de temps puisqu’il n’interviendra qu’en 2021 finalement. Du point de vue chinois ceci marque le retour États-Unis en Asie, avec le renforcement des liens avec le Japon et la Corée du Sud[5].
Ce nouveau focus américain sur la région pacifique, les tensions constatées sous l’administration Trump, la question de Huawei et plus largement d’autres mesures dès 2018 ont été les marqueurs d’une montée des tensions, qui ne se sont pas calmées, loin de là.
Fin septembre 2022 un texte est passé assez inaperçu en Europe, rédigé par le conseiller national à la sécurité Jack Sullivan[6]. Il porte sur la question de la compétition technologique entre les deux grandes puissances et les Américains disent ouvertement que les Chinois veulent surclasser les États-Unis sur le plan technologique. Il s’agit donc de mobiliser les énergies pour que cela n’arrive pas. Ce texte a accompagné des mesures négatives pour la Chine, à commencer par la question des semi-conducteurs et des supercalculateurs. Du point de vue européen la question se pose aussi, de savoir comment nous protéger dans cette montée de tensions et ces courses technologiques.
5 – UE et Chine
En 2019 la commission européenne, mais avec l’accord de conseil a décidé de considérer la Chine comme un partenaire de coopération sur les grands sujets notamment, sur le réchauffement climatique par exemple, comme un compétiteur économique et rival systémique en matière de système de gouvernance. L’ouverture réciproque des marchés, la dépendance vis-à-vis de certaines technologies (voitures électriques et batteries), la question des acquisitions stratégiques des infrastructures, notamment en Méditerranée en Grèce, en Espagne, au Portugal, sont au cœur des réflexions et tensions. Toute la question est de savoir comment les Européens peuvent, ou pas, faire preuve de cohésion car la tentation est forte pour chaque pays de jouer sa partition.
Conclusion
Les problèmes sont donc aujourd’hui non seulement une radicalisation du côté chinois, à l’instar de tout se qui se passe en Mer de Chine, mais aussi la nécessité, pour les Européens, de mieux nous coordonner. La stratégie la Chine ne changera pas et donc la vraie question aujourd’hui est de savoir comment est-ce qu’on se protège et ce qu’on défend au mieux nos intérêts qui soient économiques scientifique et technologique ou même politique.
Les questions de la salle portent notamment sur les relations complexes entre la Chine et le Japon ou encore la place de la Corée du Sud. La conférence s’achève avec la sensation d’avoir assisté à un grand moment de réflexion, extrêmement stimulant. Merci donc à la FMES, à l’Université de Toulon et à Antoine Bondaz de permettre de partager ces analyses.
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[1] On parle de dilution pour un sous-marin lorsqu’il se dilue dans son environnement, devient discret au point de ne plus pouvoir être suivi par des systèmes sonars. Une fois en zone de plongée, le submersible gagne les profondeurs et devient quasiment invisible. Le problème du Détroit de Taïwan est sa faible profondeur qui ne permet pas cette dissolution rapide.
[2] Voir l’article suivant pour approfondir : http://cm.china-embassy.gov.cn/fra/zxxx/202205/t20220504_10681462.htm
[3] Voir ici : https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2002-v33-n4-ei531/006667ar.pdf
[4] On pourrait rajouter que pour Sun Tsu, la meilleur des guerres est celle que l’on a pas besoin de mener pour obtenir la victoire. Être victorieux dans tous les combats n’est pas le fin du fin ; soumettre l’ennemi sans croiser le fer, voilà le fin du fin. » (L’art de la guerre, chapitre 3)
[5] Voir cet article pour aller plus loin : https://www.lemonde.fr/idees/article/2014/09/04/le-pivot-americain-vers-l-asie-fin-de-partie_4482096_3232.html
[6] https://yaroos.com/artificial-intelligence/jake-sullivan-la-guerre-technologique-entre-washington-et-pekin-le-grand-continent/#