C’est dans l’atmosphère cosy mais confinée de la boutique du Musée Guimet que Xavier Paulès a présenté son dernier ouvrage, La Chine, des guerres de l’opium à nos jours, publié par la Documentation photographique.
La conférence débute par une réflexion sur la chronologie historique de la Chine contemporaine. Xavier Paulès rappelle tout d’abord que son travail commence en 1839 avec les guerres de l’opium. Les Occidentaux sont alors assignés à Canton par le pouvoir impérial chinois. Les Anglais saisissent un prétexte pour obliger l’ouverture de la Chine aux occidentaux, et ce prétexte c’est la Guerre de l’opium. C’est un événement historique majeur pour les Européens et moins pour les Chinois, plus préoccupés par la révolte des Taiping. En effet, celle-ci remet en cause la dynastie imperiale ce qui n’est pas le cas des guerres menées par les Européens. Cependant, à la fin du XIXème siècle, l’Empire du Milieu est bouleversé au contact de l’Occident. Et les Chinois aujourd’hui considèrent que leur entrée dans la modernité coïncide avec les guerres de l’opium. Les grandes synthèses de l’histoire de la Chine, écrites par des Chinois, commencent avec les guerres de l’opium et avancent une relecture de leur histoire nationale à la suite des événements de 1989. Les autorités chinoises proposent alors un discours historique de substitution, antiimpérialiste plutôt que communiste. Les sanctions sur la Chine après 89 sont d’ailleurs lues comme un retour de l’impérialisme: les étudiants qui manifestent seraient manipulés par les occidentaux impérialistes. Et 1989, c’est la date anniversaire des guerres de l’opium qui sont alors utilisées par le pouvoir, rappellant que cette agression impériale europénne constitue un tournant, une rupture historique, grille de lecture toujours actuelle en Chine.
La couverture de l’ouvrage, elle, représente l’entrée des communistes à Pékin en 1949.
C’est une photo rare d’un épisode historique majeur. On y voit la figure centrale de Mao, sous la forme d’un portrait photographique, entourée de troupes disciplinées et militarisées du nord rural du pays. 1949, c’est une limite forte qui tend de plus en plus à s’estomper avec les années et l’avancée de la recherche. 49 pour les chinois, c’est une « libération » à double sens. Une libération par rapport au Guomindang, représentatif aux yeux des communistes d’une société chinoise pourrie, reposant sur l’oppression des paysans des femmes, et rongé par l’opium, la prostitution ou les jeux. Une libération par rapport aux étrangers, bénéficiant des privilèges d’extraterritorialité notamment à Shanghai, exemptés de droits de douanes, et vivant dans des concessions ou des territoires à bail. C’est une lecture chinoise, celle d’une libération en 1949 après une période d’humiliation. Cette lecture est contestable car ce système a déjà disparu en 1945. D’ailleurs, les efforts fournis face aux japonais ont été principalement portés par le Guomindang alors que les communistes, en retrait, se préparent à de futures luttes. Cette lecture de 1949 comme rupture est aussi soulignée par les Occidentaux, les Américains en particulier, laissant aux politologues le soin d’analyser les événements en Chine.
La grande rupture historique reste 1912 puisque le modèle de l’empire du mandat céleste s’écroule.
Cette philosophie de gouvernement particulière puisqu’elle inclue son propre renouvèlement disparaît. Lorsque une dynastie est corrompue, elle perd son mandat du ciel ce qui a permis un renouvèlement du pouvoir impérial chinois jusqu’au Quing. Un nouveau paradigme apparaît, la République et il n’y a plus d’empereur, fils du ciel, dont il est l’intermédiaire avec son peuple. Finalement 1949 apparaît aujourd’hui comme une rupture par une lecture rétrospective à cause des grandes utopies maoïstes meurtrières : le grand bond en avant responsable de la mort de trente millions de personnes et la Révolution culturelle. Mais aujourd’hui la Chine rappelle celle de 1912 et trace une continuité historique, reposant sur l’ouverture au monde, un pouvoir autoritaire et non totalitaire et un parti unique.
Bien que pressé par le temps, Xavier Paulès tente de présenter quelques traits majeurs de l’histoire chinoise de 1839 jusqu’à nos jours. Il s’appuie tout d’abord sur des images des guerres de l’opium, et notamment celle de la Némésis, navire de guerre à vapeur, fracassant la flotte chinoise dans l’embouchure de la rivière des Perles et symbolisant l’affrontement d’une société industrielle et d’une société pré industrielle. Pourquoi la Chine n’a pas connu dans le premier XIXème siècle de phénomène d’industrialisation? C’est une question actuelle d’historiographie.
Le second hiatus historiographique que relève Xavier Paulès c’est la guerre sino japonaise.de 1895.
En effet le Japon, traditionnellement état tributaire de la Chine, bon élève confucianiste, petit état non européen bat militairement l’empire chinois. Cette défaite remet en cause la politique de l’auto renforcement reposant sur l’emprunt de techniques aux européens sans toucher aux aspects culturels et institutionnels. Cette guerre est suivie d’autres changements dans les mentalités, l’organisation intellectuelle comme par exemple avec le mouvement du 4 mai
La grande rupture, c’est celle des années 1901 – 1911, les réformes menées par les Quing avec la suppression des examens impériaux, la refonte de la législation, et l’interdiction de l’opium.
Ces réformes touchent la structure de l’empire afin de la transformer progressivement en une monarchie parlementaire.
En 1916, l’affaiblissement du pouvoir central de Pékin se traduit par l’émergence des seigneurs de la guerre. Souvent caricaturés, ils sont très diverses dans leurs expériences locales de pratique du pouvoir, certains élaborant une pratique politique motivée par l’avancée sociale.
De 1927 à 1937, c’est la décennie de Nankin. Au pouvoir, le Guomindang apaise le pays et s’impose face aux seigneurs de la guerre.
Cette période a longtemps été vue comme celle du match opposant le Parti communiste et le Guomindang. Or pendant cette période, les communistes sont une menace secondaire par rapport aux japonais et aux seigneurs de la guerre. Il y eu une relecture de cette période par rapport au dénouement de 1949. Mais le parti communiste ne devient un challenger crédible qu’à la fin de la guerre face au Japon dans les années 1940. En effet, le parti communiste est au bord de l’anéantissement à la fin des années 1930 lors de la Grande Marche, qui voit les effectifs de l’appareil militaire et politique communiste divisé par dix. Ce qui sauve les communistes, c’est la lutte face au Japon, l’union face à un ennemi commun, le Guomindang arrêtant sa lutte face au parti communiste. Le front entre Guomindang et Japonais se stabilise et permettant pendant ce temps le renforce ment militaire et politique des communistes.
Après la Guerre civile, en 1949, c’est la proclamation de la République Populaire de Chine.
Dans les premières années, une alliance pragmatique est passée avec l’URSS puisque Taïwan rêve toujours de reconquête, ce qui n’est pas utopique avec une aide américaine substantielle. Le modèle économique, c’est un modèle industriel par le haut, l’industrie lourde est privilégiée et les effectifs de l’agriculture sont ponctionnés. Avec la déstalinisation en URSS et le « grand bond en avant », s’ouvre une période de détachement par rapport à l’URSS. La Chine maoïste fait un bond dans l’utopie et l’idéologie, en espérant le détachement face aux contingences matérielles afin de dépasser les puissances occidentales. C’est une utopie meurtrière, suivie par une seconde, la Révolution culturelle, reprise en main par Mao avec l’aide de la jeunesse du parti communiste chinois. C’est une période de chaos, finalement calmée par le biais de l’armée. A la sortie de cette période, le pouvoir est hésitant entre une vision endurcie, défendue par la « bande des quatre » et Mao ou bien une vision pragmatique défendue par Zhou Enlai et Deng Xiaoping.
Cette dernière vision triomphe, et en prenant le pouvoir, à partir de 1978, Deng réalise la décollectivisation des campagnes et l’ouverture périphérique et expérimentale des premières zones économiques spéciales. (Z.E.S). Dans les années 80, c’est au tour de Shanghai de devenir une Z.E.S, ce qui assure une continuité dans le temps long puisque dans l’histoire la Chine rayonne par Shanghai et non par Pékin. Pour la Chine, l’ouverture du marché est une fin et non un moyen. Ce n’est pas une libéralisation du pays puisque le parti communiste impose toujours un modèle économique dans une société cadenassée. Le succès économique a des limites: la société chinoise est beaucoup plus inégalitaire qu’il y a30 ans et les risques écologiques abondent avec un fordisme d’état sacrifiant l’air et les rivières du pays au nom de la quête de puissance.
La Chine ne se voit plus comme « la » civilisation mais il y a le retour à l’idée d’une supériorité de la civilisation chinoise liée à sa longueur dans le temps ce qui contribue à ancrer cette conviction dans les mentalités. L’idée que le rang de la Chine soit celui d’une puissance seconde est une anomalie et pour les Chinois la place de leur pays est celle de la première puissance mondiale. C’est une chance pour le parti communiste en dépit de ses errements politiques et meurtriers. Sa seule légitimité est économique et le parti semble être la seule option possible pour mener la Chine vers la puissance mondiale.
Plusieurs questions sont alors posées dans la salle. Une première porte sur les guerres de l’opium. Xavier Paulès rappelle qu’il s’agit de son « dada ». Au XIXème siècle, la balance commerciale est déséquilibrée en faveur de la Chine vis-à-vis des Européens. L’Europe est obligée d’importer des doublons espagnols et doit donc rechercher des marchandises de substitution comme l’opium produit importé d’Inde. Avec ce produit, le déséquilibre de la balance commerciale bascule dans l’autre sens. Cela provoque un appauvrissement du pays ce qui déplaît au pouvoir central impérial. Les stocks d’opium sont donc confisqués à Canton aux marchands occidentaux. Face à cela, les cargaisons d’opium sont nationalisées par les britanniques, puis brulées par les Quing. Une guerre éclate donc, menée par les anglais, au nom de la liberté commerciale et non de la liberté de consommation de l’opium. Deux guerres opposent la Chine aux Britanniques puis à une coalition unissant ces derniers aux Français.
Il est alors demandé pourquoi il y a eu une remise en cause du système tributaire liant la Chine au Japon. Ce dernier s’affirme comme une puissance et s’oppose à la Chine autour de la question de la domination territoriale de la Corée. L’Empereur de Corée joue alors le jeu de la Chine face au Japon afin de conserver l’indépendance de son pays. Il y a donc un affrontement portant sur l’hégémonie en Corée entre la Chine et le Japon à l’origine de la guerre de1895.
Le public demande si on assiste aujourd’hui à l’émergence d’une classe moyenne chinoise et si cela constitue une remise en cause du pouvoir. La classe moyenne chinoise reste minoritaire. L’objectif de créer une classe moyenne urbaine est d’ailleurs soutenu par le régime. Le problème c’est surtout le creusement des inégalités entre les élites et les classes sociales modestes ou pauvres rurales. Dans les années 70, il n’y avait pas d’élites. Cependant, il n’y a pas d’autonomisation de la classe moyenne, puisque le parti communiste rassemble plus de 80 millions membres et préempte cette classe moyenne motrice du « capitalisme d’état »
Une question est posée sur la succession de Mao, sa mise en place.
La voie capitaliste n’est pas le rêve de Mao, au contraire il a pris des dispositions afin de choisir un successeur fidèle mais à l’envergure politique faible, Hua Guo-feng. Deng Xiaoping lui est un partisan pragmatique de Mao qui n’est jamais allé jusqu’à la rupture avec ce dernier. Pendant la Révolution culturelle, il a d’ailleurs connu un sort enviable, épargné par le pouvoir maoïste, Envoyé dans un atelier de réparation de tracteur. Deng s’impose car le successeur de Mao est médiocre et que le peuple souhaite la disparition de la « bande des quatre ». C’est un pragmatique certes mais il a aussi un pedigree révolutionnaire impeccable, vétéran de la « longue marche », ayant joué un rôle majeur dans la guerre civile. Habile, Deng fait passer les réformes de façon progressive, les présentant comme une avancée vers le communisme et non une libéralisation de l’économie. Deng veut donc restaurer la grandeur de la Chine. Il veut trouver les outils de la puissance et se tourne donc vers l’économie de marché, qu’il considère comme un moyen et non une fin.
Enfin une dernière question porte sur la question démographique.
C’est la faiblesse cachée de la Chine. La transition démographique s’est accomplie en une génération voire moins. La population a donc vieilli très rapidement. Mais ce n’est pas rédhibitoire. Qui sait si dans une génération la Chine ne sera pas une société d’immigration.
Une autre solution, c’est la remise en cause de la politique de l’enfant unique basculant vers celle des deux enfants uniques, deux parents eux-mêmes enfants uniques ayant le droit d’avoir deux enfants. Selon certains démographes chinois, la liberté démographique ne serait d’ailleurs pas déstabilisante, la population ayant intégrées les pratiques occidentales. Le problème actuel c’est le déficit entre les hommes et les femmes lié à un tri effectué lors des naissances aboutissant à une surreprésentation des garçons parmi les nouveau-nés.