Professeur honoraire en didactique de la géographie à l’université de Liège, Christine Partoune expose en préalable un quadruple ancrage pour évoquer son attachement aux apprentissages « hors les murs de la classe » : un ancrage familial (famille nombreuse en milieu plutôt rural), un ancrage en géographie (enseignante dans le second degré puis chercheure en didactique), un ancrage associatif (notamment au sein de l’institut d’écopédagogie), un ancrage en école primaire (via la recherche « Extramuros »).

L’intervenante insiste d’emblée sur l’idée que « l’Extramuros » n’est pas forcément « dehors » mais juste ailleurs que dans la classe. L’idée générale de la conférence est qu’il ne faut pas se lancer à l’aveuglette dans une telle entreprise. Un grand paradoxe existe : on peut être un bon pédagogue en intérieur et se tromper ensuite face à la pression qu’il y a à tenter des expériences hors les murs d’autant que les souvenirs d’enfance des enseignants sont souvent associés au jeu et à la liberté.

Et les inégalités spatiales à toutes échelles pointent déjà :

  • les villes « marchables » ne le sont pas toutes de manière équivalente,
  • la place disponible pour observer des lieux ne fonctionnera pas bien avec des classes surchargées,
  • l’inclusion peut-elle fonctionner à plein (fauteuil roulant, béquilles) ?
  • les enseignants ne résident pas nécessairement là où ils travaillent (et ainsi ils perdent du temps à investiguer des lieux plus éloignés).

Christine Partoune présente ensuite une typologie :

  • la « classe en plein air » (plutôt axée sur les vertus médicales et sportives),
  • « l’étude du milieu » (plutôt axée sur la géographie mais pas forcément sur la seule étude de la nature…un musée, une carrière, une usine…sont des lieux tout aussi intéressants à investiguer),
  • la « classe dans la nature » qui cherche à développer la créativité et la débrouillardise de l’enfant (mais attention à la phase de structuration, aux traces écrites dans les cahiers, qui peuvent manquer – d’où le choix en Belgique de réduire cette option à la seule maternelle),
  • la classe « projet en communauté locale » plutôt orienté vers la dimension écocitoyenneté.

Si les enjeux pour l’enfant sont psychologiques, physiques, liés à la connaissance du milieu et de nature praxique (débrouillardise), ils sont aussi globaux (responsabilité à créer pour respecter l’environnement et l’aimer, développer un esprit critique et une possibilité d’émancipation collective, amener à l’analyse réflexive et la prise de conscience).

Un nuage de mots est ensuite présenté : la classe dans la nature peut être associé à un cocon, un remède magique (la nature soigne), la matrice/gaia/pachamama, un matériel didactique (collecte de ceci ou cela), un écosociosystème, la cité (un lieu de débat), un cadre vert, un laboratoire, un musée, un gymnase, un habitat.

Il faut donc outiller l’enseignant.

1/Déjà il ne faut pas se lancer seul, la charge de travail est forte. Il y a la concurrence du numérique (TBI, Chat GPT) et des autres collègues. Pourquoi ne pas imaginer des professeurs qui se spécialiseraient là-dedans pour que ce soit gérable ? Notons que les jeunes parents d’aujourd’hui sont très « indoor » et ne savent pas où aller et pour quoi y faire.

2/Ensuite, il faut éviter les discriminations. La pauvreté est forte dans certaines zones et des enfants n’ont ni bonnets, ni manteaux chauds…Dans une société marchande, l’offre vestimentaire est énorme et, même en prenant de l’occasion, on arrive vite à 100 euros par personne, ce qui reste un vrai budget…que l’institution devrait prendre en charge selon la chercheure.

3/Il faut également aménager l’école : végétaliser les cours, favoriser le retour des jardins scolaires du XIXème siècle, proposer un vestiaire approprié et un pédiluve, désigner une classe qui serait amenée à être plus sale que les autres…

4/Créer des partenariats avec différents acteurs : associations, parcs naturels, ADEME, CAUE, ligues de protection…

5/Aménager les cours « oasis » et les penser comme des espaces partagés pour y accueillir les parents,

6/Saisir des opportunités pour aménager des espaces naturels en les laissant suffisamment sauvages dans le cadre de participation citoyenne (beaucoup de citoyens voulant des espaces « manucurés » qui ne permettent pas le cache-cache (risque de mauvaise rencontre).

7/Doter les écoles de moyens de déplacements. Une autre inégalité spatiale tient à la différence de propreté des quartiers (des zones avec seringues, déchets ou encore des rivières accueillant des rejets industriels pollués) nécessitant de faire des kilomètres en bus, et donc de manière payante, ce qui pénalise encore les écoles déjà défavorisées.

8/Se méfier de l’essentialisme et des illusions Rousseauistes. Il y a une certaine tendance idéalisée et naïve à voir la relation homme-nature comme vertueuse (l’homme reste un prédateur et ce, dès la Préhistoire) et à voir la nature comme un espace où, grâce au jeu et au grand air, les conflits entre enfants disparaitraient. Il faut mettre à distance cette idée « d’expérience de la nature » (on peut tout à fait s’en imprégner en lisant, en regardant des films…d’autant que notre forte empreinte carbone ne rend pas chaque déplacement expérientiel indispensable).

Comment enfin donner le goût de sortir aux enseignants ?

  • En accompagnant les enseignants en situ. Il y a une forte méconnaissance du milieu par les enseignants
  • En expliquant aux élèves qu’ils sont responsables de leur fréquentation du milieu et des conséquences associées : si on construit une cabane, il faut ensuite la démonter…
  • En allant vers des témoignages, des ressources (voir la revue Symbiose), les monographies de l’exposition universelle de 1900, des carnets de voyage.
  • En réformant la formation initiale des enseignants (il faut apprendre aux novices à développer une approche sensible de l’environnement, une démarche scientifique, une identification des risques, une identification du potentiel d’un lieu).

Quelques statistiques montrent que l’immense majorité des étudiants convient de l’intérêt de sortir de la classe mais qu’ils sont tout aussi nombreux à ne pas le faire une fois en poste.

La sédentarité, devenant structurelle avec la numérisation de la société (tablettes, smartphones…permettant de commander et se faire livrer), a été encore renforcée pendant la période COVID. Il y a des conséquences chez la jeune génération d’enseignants : déficit d’expérience, peur, émerveillement trop éphémère, ignorance, conceptions erronées (exemple des marées qui ne sont pas uniformes sur la planète), intolérance à la météo et à l’effort (5 kms de marche leur parait énorme).

Dans les propositions des maquettes de formation en Belgique, il y a eu des immersions de plusieurs mois, des expérimentations sur le géocaching, des valises et livrets pédagogiques. Les résultats sont probants, les objectifs atteints et le plaisir pris, la conscience environnementale s’en est trouvée développée également.