Depuis 1981, les sols artificialisés ont augmenté de 70% en France. On fait également le constat d’un éloignement toujours plus important des ménages modestes des bassins d’emploi. Réduire le rythme de l’artificialisation peut compliquer la production de logements sociaux. En dissociant foncier et immobilier, les Organismes de Foncier Solidaires offrent une solution, comme le confirment les projets du Comité Ouvrier du Logement.
Elissa Al Saad est architecte et doctorante en Architecture et ville, à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense. Elle y étudie le concept d’habiter au regard des enjeux écologiques et sociaux contemporains et interroge notre rapport au sol, comme fonction support de nos activités, ainsi que la notion de propriété.
La création de logement sociaux face à la pression foncière
Prenant comme cas d’étude la ville de Tarnos, port économique de Bayonne, Elissa Al Saad décrit un contexte actuel de raréfaction du foncier et d’augmentation de la population, entraînant la convoitise sur les terrains à bâtir encore disponibles dans le périmètre des métropoles. Le phénomène de desserrement des ménages du fait des évolutions sociétales, la taille moyenne du ménage français ayant diminué (familles monoparentales, baisse de la cohabitation intergénérationnelle, etc…), il faut donc plus de logement pour le même nombre d’habitants. Cela explique l’accroissement de la demande de logements. Cette pression immobilière sur le foncier y entraînerait une augmentation de son coût. La chercheuse nuance à ce sujet la corrélation entre la pression foncière et l’augmentation des prix de cession, qu’elle pense multifactorielle.. Parmi les besoins du territoire, la création de logements sociaux s’impose. Pour rappel, la loi pour la Solidarité et le Renouvellement Urbain (SRU) de 2000 impose à chaque commune de disposer d’au moins 25% de logements sociaux dans leur offre immobilière.. Pour y répondre, la Communauté d’Agglomération du Pays basque, compétente en matière de logement, a réalisé une charte de mixité sociale dans laquelle elle fixe un taux de commercialisation de logements aidés aux opérateurs sur son territoire. Malgré cette charte, le taux de logements sociaux décroît mécaniquement et la problématique de conserver de manière pérenne l’offre de logement sociaux se pose. Elissa Al Saad explique que si les logements sont bien vendus initialement au taux et conditions fixés par l’Etat, leur revente n’est pas contrainte et suit donc naturellement les prix du marché libre.
La réponse proposée par les Organismes de Foncier Solidaire
Pour répondre à cette problématique, le Comité Ouvrier du Logement (COL) s’est constitué après la loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (ALUR) de 2014.Ainsi que ses évolutions de 2015 et 2019. avec pour objectif de générer du logement social qui perdure dans le temps. Constitué en Organisme de Foncier Solidaire (OFS)Les agréments OFS des offices d’Habitation à Loyer Modéré (HLM) sont octroyés par le Préfet de Région., le COL acquiert du foncier et le loue en Bail Réel Solidaire (BRS) contre une faible redevanceComprise entre 1 et 2 euros par mois et par mètre carré.. Le COL reste ainsi propriétaire du foncier et les acquisitions ne concernent que les « murs » des constructions qui y sont faites. Le bail solidaire, d’une durée oscillant entre 18 et 99 ans, peut être transmis par héritage et se régénérer pour une nouvelle durée complète. L’accession à la propriété est possible si le plafond de revenu du futur propriétaire respecte le taux fixé annuellement. Ce dispositif, notamment à destination des primo-accédants, permet entre autre au propriétaire de gagner en stabilité et de pouvoir améliorer sa situation par la suite.
La logique anti-spéculative du procédé intervient à la revente du bien puisqu’une clause du bail réel solidaire limite la plus value en cas de cession. Le prix de cette dernière est plafonné en fonction des revenus observés l’année de la vente.
En compensation de cette contrainte, le locataire du Bail Réel Solidaire dispose d’une garantie à la revente puisque l’Organisme de Foncier Solidaire s’oblige à racheter le bien en cas où le cessionnaire ne trouverait pas d’acquéreur. Elissa Al Saad note que ce système permettant d’assurer un partenariat social durable est également une manière de pérenniser les aides étatiques et les concevoir comme un véritable investissement. La réussite de ce modèle permet d’envisager l’extension de ce système à d’autres domaines que le logement comme celui de l’activité et des expérimentations sont en cours.
Deux exemples concrets
- Projet Grandôla (Tarnos) : En cohérence avec le schéma directeur de son centre-ville, Tarnos a planifié de renforcer sa centralité en densifiant une dent creuse dont elle est propriétaire. 5 600 m² du site Serpa ont été cédés au Comité Ouvrier pour le Logement pour la somme de 2,6 millions d’euros afin que ce dernier puisse réaliser trois résidences commercialisées, soit en locatif social soit en accession sociale avec un Bail Réél Solidaire. Le projet présente une typologie intermédiairePrendre en compte ici la définition architecturale (et non sociale) du l’intermédiaire. Il s’agit de recréer les conditions de la maison individuelle dans un ensemble collectif, notamment en ménageant des entrées privatives accessibles de l’extérieur pour chaque logement.des années 1970 permettant de combiner densité et qualité de vie. Son offre de logements de 3 à 4 pièces vise les familles avec enfants et dispose d’ espaces plantés ou des jardins en rez-de-chaussée. Un programme défini de manière participative occupe le socle de l’immeuble et a permis d’associer les futurs résidents aux habitants du quartier. Si le prix au mètre carré initial était réduit de 30,5% par rapport au prix de l’accession libre, Elissa Al Saad constate que le prix plafond de ressources du BRS augmente au fur et à mesure et laisse suspecter un choix politique de sélection des résidents de plus en plus aisés.
- Projet Le Vigilant (Bayonne) : Il s’agit d’un projet d’habitat participatif pour la création de 36 logements répartis en deux immeubles au cœur du quartier Saint-Esprit de Bayonne dont les typologies majoritaires de logements prévues seront de deux et trois pièces.
Les limites du dispositif
Bien que le dispositif paraisse vertueux, Elissa Al Saad liste malgré tout certaines limites, notamment sociales, de ce dernier. Dans le cas de l’habitat participatif, la cooptation semble prépondérante dans le choix du futur acquéreur et un risque d’entre-soi pourrait être en être une dériveDans le cas de l’accession sociale, la chercheuse réfute toutefois le discours de « mixité inversée » qu’induirait cette discrimination positive en rappelant que ces opérations sont disséminées dans un tissu dominé par le marché libre et que le critère économique ne gomme pas les autres différences entre les populations des quartiers.. Un second défaut pourrait être la limite de la plus value immobilière qui pénaliserait les foyers les plus modestes comptant sur l’investissement de leur épargne dans leur propriété pour préparer une faible retraite, par exemple. Le plafond du BRS remet également en cause le schéma d’acquisition répandu qui consiste à acquérir à bas coût un logement hors d’eau et hors d’air nécessitant des travaux de second-œuvre importants dont les coûts de réalisation ne seraient pas compris dans le prix de revente.
Elissa Al Saad explique également que le modèle économique reste dangereux puisque le montant de l’investissement d’un OFS est important et ne s’équilibre que sur le très long terme grâce aux redevances mensuelles. La Caisse des Dépôts et des Consignations assurant en grande partie le financement de ces opérations et les collectivités territoriales lui servant de garants, un contexte de récession pourrait stopper net l’investissement. L’OFS se portant également garant pour racheter les logements en cas d’absence d’acquéreur, une baisse démographique impactant la demande de logement pourrait compromettre l’équilibre financier de l’organisme HLM. Pour réduire ce risque, le recours à ce dispositif devrait être cantonné aux contextes de marchés immobiliers tendus. Elissa Al Saad conclue en identifiant le risque d’une possible mise en concurrence des différents organismes d’OFS sur un même territoire et un possible détournement du système avec un retour à une logique spéculative.