Le rôle de la Résistance française dans la préparation des débarquements de Normandie et de Provence a d’abord été surévalué en insistant sur l’application des Plans élaborés à Londres (Plan Vert, Plan bleu, Plan Tortue, Plan Violet etc.), puis dans les années 1980-1990 il a été fortement relativisé par l’historiographie, certains allant jusqu’à affirmer que, sans la Résistance, rien n’eut été différent. Fabrice Grenard estime que la vérité est sans doute entre les deux. Deux courtes vidéos viennent lancer le débat. La première montre le Débarquement de Normandie présenté par Vichy à travers le journal d’actualité hebdomadaire de France Actualités qui ouvre le journal du 16 juin (rien dans le journal du 9 juin sur le sujet !). La seconde est un document filmé par les Alliés et monté sans doute dans le cadre d’un journal de presse filmée passé dans les salles de cinéma après la Libération.

Ces films traduisent une vison militaire, vue par en haut. Peu de participation française, ce qui du point de vue militaire correspond à la réalité ; les quelques hommes du commando Kieffer étant sous commandement allié. Les Français ne sont que des acteurs de l’événement. Des choix sont faits : Vichy montre la puissance de la Wehrmacht ; les Alliés montrent la puissance force de frappe qui arrive en Normandie. On ne montre pas les deux ou trois ans de préparation, le rôle essentiel du renseignement effectué en amont par les réseaux de résistance.

Les participants à l’atelier

Fabrice Grenard est le directeur historique de la Fondation de la Résistance. Il est spécialiste de l’histoire de la Résistance, de celle des maquis en particulier. Il est l’auteur d’ Une légende du maquis. Georges Guingouin, du mythe à l’histoire, de la première synthèse à l’échelle nationale de l’histoire des maquisards,  Les Maquisards. Combattre dans la France occupée et du très récent ouvrage, Ils ont pris le maquis.

Attaché temporaire d’enseignement et de recherche en histoire contemporaine à l’Université Paris-est-Créteil et chercheur partenaire à l’UMR SIRICE, Guillaume Pollack a soutenu sa thèse de doctorat consacrée aux réseaux de résistance de la France combattante (1940-1945) sous la direction de Alya Aglan en 2020 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Avec pour titre A travers les frontières, la résistance des réseaux (1940-1945), « cette thèse a pour but de poser les premiers jalons d’une étude globale sur la résistance des réseaux déployés par les services secrets alliés durant la Seconde Guerre mondiale (1940-1945) ».L’ouvrage a été publié en 2022 sous le titre L’Armée du silence. Histoire des réseaux de Résistance en France 1940-194.

Sophie Bachmann est docteure en histoire du XXe siècle, chargée de développement éducatif et culturel à l’Institut national de l’audiovisuel. Elle est notamment responsable de la programmation culturelle de plusieurs festivals en lien avec l’histoire et poursuit des partenariats avec de nombreux musées et des acteurs du monde scolaire.

La résistance française, cheville ouvrière du débarquement allié

C’est le titre du documentaire dont sont ensuite projetés quelques moments choisis. Il fut diffusé en 2004. La télévision régionale de Normandie a réalisé des films à plusieurs reprises lors de commémorations de 1974, 1994, et 2004. Il s’agit surtout de monter le rôle militaire de la Résistance, l’exécution des plans préparatoires au Débarquement. En juin 1944, la Résistance est une force indéniable, les maquis voient leurs effectifs exploser et les maquisards passer à l’action par des opérations de sabotage et de guérilla. Il arrive même que des villes soient libérées et que des risques énormes soient pris. En effet, jusqu’à la percée d’Avranches fin juillet 1944, la Wehrmacht reste puissance et dangereuse. Il est rappelé que l’affirmation selon laquelle la division Das Reich n’aurait pas pu arriver à temps en Normandie suite aux actions des maquis est fausse, c’est Hitler qui lui a ordonné de rester dans le Limousin. Poser la question du rôle de la Résistance en terme militaire est un faux débat.  Son véritable rôle et son efficacité sont ailleurs.

Les réseaux de résistance

268 réseaux de résistance furent reconnus parmi les Forces françaises combattantes (FFC). Après sa longue plongée dans le monde des réseaux et de leurs agents, Guillaume Pollack propose une nouvelle approche de la réalité du réseau. Il n’est pas « une entité dotée de structures qui, créées en amont, agrégeraient ses agents », ni « un instrument exécutant aveuglément des directives venues de Londres ou d’Alger ». « Il est le fruit d’une rencontre d’une résistance pionnière et des services secrets qui s’efforcent de prendre pied sur le continent. » Il reprend à son compte la tripartition entre réseaux d’évasion, de renseignement et d’action (qui ne se limite pas au sabotage) et en établit une autre, entre réseaux « opératoires » (chargés d’entretenir les communications transfrontalières pour garantir l’arrivée et le départ du personnel), réseaux « préparatoires » (chargés de recevoir et de stocker le matériel) et réseaux « saboteurs » (qui frappent les infrastructures industrielles et de transport).

Les services secrets dont dépendent les réseaux sont tous, à l’exception du MI6 (l’Intelligence Service) des « inventions de la Seconde Guerre mondiale » : le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) créé par De Gaulle pour « renforcer sa légitimité et peser sur les relations avec les Anglais », le MI9, créé en décembre 1939 pour récupérer des soldats britanniques bloqués en territoire étranger, le Special Operations Executive (SOE), créé par Churchill en juillet 1940, rattaché au ministère de la Guerre économique et doté de sections nationales (pour la France, la Section F, commandée à partir de la fin de 1941 par le major Maurice Buckmaster assisté de Vera Atkins), l’Office of Strategic Services (OSS) créé en juin 1942, ancêtre de la CIA dont la mission est de créer des réseaux en Europe et autour de la Méditerranée, de coordonner l’action des services spéciaux et de fournir une aide logistique et financière aux organisations de résistance intérieure. Les gouvernements belge, néerlandais, polonais et tchécoslovaque, repliés en Angleterre après l’invasion et la victoire allemande, organisent leurs services secrets et créent des réseaux.

Michel Hollard et le rôle essentiel du renseignement

Le renseignement est une activité menée par des civils qui observent et répondent à des questionnaires. L’état-major à Londres doit savoir qui est où. Des renseignements de tous ordres sont collectés, rassemblés et transmis à Londres par des « centrales ». Ils le sont aussi par des « courriers » qui arrivent à Londres par de petits avions qui se posent sur des terrains homologués par Londres.

Pour illustrer l’importance du renseignement dans la préparation du Débarquement de Normandie, Fabrice Grenard et Guillaume Pollack racontent l’action d’un résistant peu connu mais dont le rôle fut « décisif et crucial pour la réussite du Débarquement, l’ingénieur Michel Hollard, le créateur du réseau «  Agir », «  l’homme qui, littéralement a sauvé Londres » suivant Sir Brian Horrocks, premier collaborateur du maréchal Montgomery. C’est le baptême d’un train Eurostar en avril 2004, du nom de Michel Hollard, qui rappellera que c’est un Français resté dans l’ombre après la guerre qui participa avec son réseau à sauver la capitale britannique des « bombes volantes V-1 » destinées à la raser. Ce valeureux combattant de la Grande Guerre, cousin du futur explorateur et humaniste Théodore Monod, fut « scandalisé par la capitulation française du 21 juin 1940, le spectacle des troupes d’occupation qui défilaient à Paris lui fut insupportable » rapporte son fils qui lui a consacré une biographie. C’est donc tout naturellement qu’au printemps 1941, grâce à sa couverture de représentant, qu’il allait créer en solitaire un réseau de renseignements avec pour objectif d’identifier le plan de bataille des divisions allemandes en France et de le communiquer aux Anglais. Seul, sans moyen, mais avec une détermination sans faille, en l’espace de trois ans, il effectua 49 voyages, à pied ou à vélo, vers la Suisse traversant ainsi 98 fois cette frontière étroitement surveillée, pour transmettre les informations à l’attaché militaire de l’ambassade britannique à Berne. D’un immense courage, d’un charisme de tous les instants, il sut créer un réseau « rustique » par ses méthodes et son fonctionnement, mais efficace dont les renseignements « précis et sérieux s’étaient vite imposés » aux autorités anglaises.

C’est l’un des agents de son réseau « Agir » qui remarqua les étranges constructions qu’élevaient dans la région d’Abbeville les Allemands et réussit à en escamoter les plans ; l’ensemble de ces documents permit aux spécialistes anglais, qui surveillaient déjà ces travaux, d’en préciser la nature : il s’agissait bien de sites de lancement. Michel Hollard, aura quelque temps après la chance, grâce à des complicités, de s’introduire dans un hangar où était stocké « un étrange engin volant », d’en faire le relevé, d’en noter les caractéristiques et de les faire parvenir aux services anglais. Il mobilisa tous les agents du réseau pour suivre l’avancement des travaux allemands le long des côtes de la Manche face à l’Angleterre avant que l’ennemi ne frappe Londres. Le 22 décembre 1943 au cours de l’opération Crossbow les bombardiers de la Royal Air Force commencèrent à détruire les catapultes ; à la fin janvier 80 % des rampes de lancement étaient hors d’usage. Mais le 5 février 1944 près de la gare du Nord, la trahison est au rendez-vous, Michel Hollard en compagnie de trois amis est arrêté, affreusement torturé il en gardera des séquelles toute sa vie. En avril 1945 il est sauvé grâce à une mission conduite par le prince Bernadotte qui le conduit avec quelques camarades en Suède.

Au sortir de la guerre, les Anglais lui témoigneront déférence et admiration, en le décorant en même temps que le général Leclerc de la haute distinction que représente le Distinguished Service Order. La France fut semble-t-il à son égard plus réservée, deux petites plaques commémoratives près de la gare du Nord et de la gare de Lyon ! Solitaire et franc-tireur de la Résistance, il n’avait pas fait partie de la cohorte des Français libres, « son devoir familial l’empêcha de suivre le général de Gaulle à Londres » écrit son fils, de plus il n’avait pas appartenu à aucun des grands mouvements français de Résistance (Jean Novosseloff, in La Lettre de la Fondation de la Résistance, 2022.) Guillaume Pollack parvient au chiffre de près de 90 000 agents homologués au sein des Forces françaises combattantes, un peu moins de la moitié ayant appartenu au BCRA, un peu plus de 20% au SOE et environ 13% à l’IS. La mémoire gaulliste a voulu oublier celles et ceux qui étaient engagés dans des réseaux qui ne dépendaient pas du BCRA, bien qu’ils aient évidemment pris les mêmes risques et soient parvenus à la même efficacité.

A propos du débarquement de Provence

Il fait l’objet de la dernière partie des interventions. Ici la France est totalement associée. Le commandement est américain mais les troupes françaises (pour l’essentiel des soldats des territoires sous domination coloniale) sont sous le commandement de De Lattre de Tassigny. Les opérations sont bien mieux coordonnées entre la Résistance et les Alliés. Dès le 17 août, Hitler donne l’ordre  de retraite à la Wehrmacht afin qu’elle en soit pas prise en tenaille entre les armées marchand de la Normandie vers l’Est et celles qui s’apprêtent à remonter la vallée du Rhône. La Résistance française reçoit des missions précises. Tout ce qui fait perdre du temps est confié aux FFI (par exemple garder et rassembler les prisonniers allemands). A Marseille il est demandé aux FFI de déclencher une insurrection alors qu’à Paris les Alliés ont dû marcher vers Paris parce que l’insurrection avait été déclenchée.

Il suffit de regarder la chronologie pour comprendre l’efficacité de cette coordination entre les forces alliées et celles de la Résistance intérieure. Les Alliés avaient prévu six mois pour libérer Lyon et Grenoble. Il a fallu quinze jours. Un autre fait le montre aussi malheureusement, c’est l’ordre spécial d’Hitler d’exécuter tous les agents du réseau Alliance qui s’était montré très efficace.

Dans une conclusion vibrante, Fabrice Grenard raconte la réaction du maréchal Keitel venant signer l’acte de reddition de l’Allemagne. Dans les ruines de la capitale d’un Reich qui devait durer mille ans, il voit aux côtés des Soviétiques, des Américains et des Anglais le Français De Lattre de Tassigny et maugrée « Les Français, il ne manquait plus que cela ». Leur présence, non seulement l’irrite, mais l’étonne